Le paludisme est une infection due à un protozoaire du genre Plasmodium transmis par un moustique du genre Anophèle. La très grande majorité des 198 millions de cas survenus en 2013 dans le monde l’était dans des pays tropicaux.1 Néanmoins, près de 125 millions de voyageurs internationaux visitent chaque année l’un des 100 pays répertoriés à risque de paludisme (figure 1).2 En Europe en 2012, 5161 cas de paludisme ont été déclarés.3 En Suisse, l’incidence annuelle reste stable sur les dernières années avec 200 à 300 cas par année.4,5
Depuis l’avènement des trithérapies, la survie et l’état de santé des patients vivant avec le VIH (PVVIH) se sont significativement améliorés et ont permis à ces personnes de voyager davantage.6 En effet, entre 20 à 25% des PVVIH effectuent des voyages internationaux annuellement.7–9 L’interaction réciproque entre le paludisme et l’infection par le VIH est, par ailleurs, bien documentée. Les PVVIH ayant un taux de CD4 abaissé et vivant dans des pays endémiques du paludisme présentent un risque augmenté de paludisme clinique, de parasitémie élevée ainsi que de complications.10 Cette affirmation est également valable pour les cas importés.11
Au travers d’un cas clinique, nous vous proposons un bref rappel sur le paludisme et son interaction avec le VIH. Par souci de concision, nous n’aborderons pas les situations particulières que sont celles de la femme enceinte ou des enfants.
En juillet 2014, une femme de 43 ans, originaire de Côte d’Ivoire et résidente à Genève depuis de nombreuses années, se présente aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) pour un état fébrile de trois jours accompagné de nausées et de vomissements. Cette femme était rentrée dix jours plus tôt d’un voyage de deux semaines en Côte d’Ivoire. Alors qu’elle s’y était rendue pour assister aux obsèques de son père, dans la précipitation, elle n’avait pas pris de prophylaxie contre le paludisme. Nous apprendrons par la suite que la patiente vit avec l’infection VIH et qu’elle est en rupture de traitement antirétroviral. L’examen clinique d’entrée révèle une patiente avec un état général diminué, pâle et ictérique. Sa température est de 40,1°C et elle est hémodynamiquement stable. Elle ne présente ni trouble neurologique ni hépatosplénomégalie. Une goutte épaisse pose le diagnostic de paludisme à Plasmodium falciparum avec une parasitémie à 25%. La bilirubine est augmentée à 61 mmol/l et une anémie à 70 g/l est mise en évidence. La patiente est hospitalisée et traitée par injections intraveineuses d’artésunate. A 24 heures, sa parasitémie est descendue à 12,6% et à 48 heures à 0,04%. Un relais per os par artéméther/luméfantrine est entrepris dès le deuxième jour pour trois jours. Elle bénéficie d’une transfusion érythrocytaire au troisième jour d’hospitalisation en raison d’une aggravation de son anémie à 59 g/l. Le bilan VIH révèle des CD4 à 140/μl (10%) et une virémie à 1,4 x 104. Elle rentre à domicile cinq jours après son admission et sera ensuite suivie en ambulatoire.
Le paludisme est une maladie fréquente avec près de 198 millions de cas rapportés dans le monde ainsi qu’un nombre de décès proche de 600 000 en 2013.1 Le cycle parasitaire du Plasmodium est présenté dans la figure 2. Le paludisme est une maladie fébrile avec une incubation allant de sept jours à plusieurs semaines.
Le paludisme sévère regroupe un ensemble de facteurs cliniques et biologiques associés à une altération du pronostic et nécessitant une prise en charge hospitalière urgente. Les critères de sévérité et d’hospitalisation sont résumés dans les tableaux 1 et 2. Les cas sévères sont majoritairement liés à une infection par Plasmodium falciparum et contractés en Afrique subsaharienne.12 Ils représentent aux Etats-Unis et en France 4 à 14% des cas de paludisme importés.13,14
En Europe, la létalité est basse. Une étude française rétroactive de 1996 à 2003, regroupant 21 888 patients avec une infection à P. falciparum, a montré une létalité de 0,4%.14 En Suisse, le taux de létalité était entre 1988 et 2002 de 1,2% (33 décès sur 4600 cas déclarés), en baisse (0,7% : 6 décès sur 687) entre 2006 et 2010.6,15
L’infection VIH provoque une diminution de l’immunité cellulaire (Th1) en raison d’une baisse du nombre des lymphocytes T de type CD4. Cette perte progressive de l’immunité cellulaire donne lieu à des infections opportunistes dont la tuberculose est un exemple bien documenté.10 En raison de l’immunité humorale Th2 (anticorps) partielle présente chez les personnes vivant dans les zones impaludées, il a longtemps été estimé que l’infection VIH ne devait pas interférer avec cette réponse. Ceci d’autant plus qu’un déplacement de la réponse immunitaire Th1 vers Th2 était bien documenté chez les PVVIH.10,16 Cependant, il est actuellement établi que les lymphocytes CD4 jouent également un rôle central dans les réponses Th1 et Th2 en cas d’infection par Plasmodium.17
L’infection VIH augmente le nombre d’épisodes cliniques de paludisme.18 Dans une étude ougandaise parue en 2000,18 le risque d‘accès palustre était augmenté de 2,5 x chez les PVVIH, avec un risque maximal chez les patients avec un taux de CD4 inférieur à 200/µl.19,20 Il est également bien établi que les PVVIH ont un risque augmenté de développer un paludisme sévère associé à une mortalité accrue, quel que soit le niveau de transmission du paludisme (zones stables ou instables).20–24
Pour ce qui est des cas de paludisme importés, une étude française rétrospective a compilé les données de 226 PVVIH diagnostiqués en France présentant un premier épisode d’infection à P. falciparum entre 2000 et 2003.11 Une association forte a été mise en évidence entre paludisme sévère et infection VIH avancée (CD4 inférieurs à 350/μl). Sur le plan biologique, l’infection VIH mène à une augmentation de la parasitémie de manière inversement proportionnelle à la baisse des CD4.22,25,26
Les effets attribuables du paludisme sur l’infection VIH sont plus nuancés et ont des répercussions cliniques moins évidentes. Il a été démontré en 1997 que le paludisme active les cellules CD4. Cet environnement favorise l’entrée du virus dans les cellules CD4 et stimule la réplication virale.27 Cette activation accélèrerait la destruction des CD4 et mènerait la maladie plus rapidement à un stade avancé.28 Des modèles mathématiques, à prendre avec beaucoup de précautions, suggèrent d’ailleurs que des crises répétées de paludisme accélèreraient la baisse des CD4 de 40/μl par année.29
Par ailleurs, lors d’un épisode aigu de paludisme, la charge virale VIH augmente puis diminue dans les quatre semaines suivant un traitement antipaludéen.30 Bien qu’une charge virale élevée soit liée à une transmission VIH augmentée, il n’est pas prouvé à l’heure actuelle que cette augmentation transitoire de la virémie VIH soit un facteur associé à l’augmentation de la prévalence VIH dans les pays co-infectés.10 La figure 3 résume l’ensemble des interactions entre le paludisme et le VIH.
Les risques d’interactions des principaux traitements antipaludéens, prophylactiques (méfloquine, atovaquone/proguanil, doxycycline) et thérapeutiques (artéméther/luméfantrine) avec les médicaments antirétroviraux sont importants dans la pratique médicale. Ayant été récemment traités dans la Revue Médicale Suisse, nous n’y reviendrons pas ici.31
Dans les cas de paludisme sévère, comme la patiente décrite dans cet article, l’artésunate intraveineux (Malacef) est recommandé depuis 2010 par l’OMS comme première ligne de traitement chez l’adulte et l’enfant.32 En 2012, une revue Cochrane compilant les données de cinq essais cliniques (n = 1664 patients) chez l’adulte en Asie et en Afrique a montré une réduction significative du risque de décès (RR 0,61 ; IC 95% : 0,5-0,75 ; p < 0,00001) avec l’artésunate par rapport à la quinine intraveineuse.33 Sur le plan pharmacologique, l’artésunate est hydrolysé en quelques minutes en dihydroartémisinine (DHA). L’élimination de la DHA est biliaire. Elle n’utilise pas les cytochromes habituels mais la voie de la glucuronidation (UGT1A9 et 2B7) (www.hiv-drug-interactions.org). Aucun risque d’interaction significative avec les trithérapies antivirales n’est à relever.
Le paludisme est une cause de morbidité et de mortalité importante mais facilement évitable. Les recommandations habituelles prévoyage sont primordiales, à savoir : porter des vêtements longs dès la tombée de la nuit, utiliser régulièrement des répulsifs, dormir sous une moustiquaire imprégnée d’insecticide ou dans un espace climatisé et bénéficier d’une chimioprophylaxie adaptée (www.safetravel.ch). Les données de l’étude suisse de cohorte VIH rapportent que près de 15% des PVVIH ont effectué un voyage sous les tropiques durant l’année 2013.34 Alors que ces derniers constituent une population vulnérable y compris lors des voyages, seuls 40%, selon une étude récente,9 se présentent à une visite médicale prévoyage, ce qui est moins que la population générale. Entre 13 et 17% reçoivent les conseils d’une consultation spécialisée de médecine des voyages.9,35 La proportion de patients avec une immunosuppression sévère (CD4 < 200/μl), retournant brièvement dans leur pays d’origine, ne consulte de manière générale pas plus que l’ensemble des PVVIH. Lorsque ces derniers se rendent en Afrique subsaharienne, ils consultent dans près de 57% des cas.
Par ailleurs, le voyage pourrait interférer avec l’observance thérapeutique. Une étude canadienne révèle un problème d’observance majeur dans la population étudiée (rupture totale et oubli de plus de trois comprimés) atteignant 30%.35 Les PVVIH originaires d’Afrique subsaharienne rendant visite à leurs amis et familles sont donc une population particulièrement à risque d’être infectée par Plasmodium spp et méritent de ce fait une attention toute particulière.
L’immunosuppression liée au VIH augmente le risque de malaria sévère et de mortalité. Les PVVIH se rendant en Afrique subsaharienne, en particulier les patients retournant dans leur pays d’origine, doivent attirer toute l’attention afin de prescrire la prophylaxie antimalarique compatible avec le traitement antirétroviral. De plus, un PVVIH fébrile de retour des tropiques doit faire envisager le diagnostic de paludisme. En cas de paludisme sévère, le traitement par artésunate intraveineux est extrêmement efficace et sans risque d’interaction médicamenteuse avec les trithérapies antirétrovirales.
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par une recherche Medline des articles publiés en anglais et en français depuis 1990 dans le domaine de la médecine des voyages et de l’infectiologie. Les principaux mots-clés utilisés dans la recherche étaient «malaria», «HIV», «severe malaria» et «imported malaria». Cette recherche a été complétée par la lecture des différentes références mentionnées dans les articles de revues. Les articles inclus dans les références ont été sélectionnés uniquement dans la mesure où ils correspondaient à des revues solides ou à des études-pivots dans le domaine de l’infectiologie.
> Le paludisme est une pathologie tropicale potentiellement mortelle en cas de retards diagnostique et thérapeutique
> Les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) avec une immunosuppression majeure sont un groupe particulièrement à risque de développer un paludisme sévère
> L’artésunate intraveineux est la première ligne de traitement du paludisme sévère, y compris chez les PVVIH
> Des conseils adaptés aux PVVIH, en particulier à ceux se rendant en Afrique subsaharienne, diminuent le risque de survenue du paludisme