Venue de Californie et portée par des insectes, la bactérie Xylella fastidiosa est arrivée dans le sud de l’Italie en 2013. Elle y ravage les oliviers, et menace désormais la vigne et de nombreux végétaux du sud du continent. Face au risque épidémique, l’Union européenne commence simplement à se mobiliser. Cette nouvelle dynamique pathologique végétale n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé il y a vingt ans avec le passage à l’espèce humaine de la protéine prion pathologique, responsable de la maladie de la «vache folle». Mêmes réactions nationales de précaution-prévention, dissensions quant à la lecture du risque, refus de partager le savoir, d’harmoniser les actions.
L’Europe, du moins celle du nord, n’a pas encore pris la pleine mesure de cette nouvelle réalité de pathologie végétale. Il s’agit donc de Xylella fastidiosa. Plus précisément, de l’une de ses sous-espèces, celle dénommée pauca. Les biologistes végétaux nous apprennent qu’il s’agit ici d’une «protéo-bactérie Gamma», un vaste groupe dont font partie les entérobactéries et les légionelles bien connues en médecine humaine. Chez les végétaux, cette bactérie peut constituer un agent pathogène d’une portée considérable. Elle peut infecter plusieurs centaines d’espèces et de nombreuses entités pathologiques ont été décrites, le plus souvent de l’autre côté de l’Atlantique. C’est notamment le cas aux Etats-Unis avec la «phoney peach disease» du pêcher, le «leaf scorch» du laurier-rose, la «maladie de Pierce» ou de la Citrus variegated chlorosis des citronniers brésiliens.
Cette bactérie ne serait rien sans le couple dévastateur qu’elle peut constituer avec des insectes vecteurs, au premier rang desquels les cicadelles. Ou plus précisément certaines cicadelles. On désigne ainsi des insectes suceurs (de l’ordre des hémiptères) dont l’une des caractéristiques est de se nourrir de la sève de certains végétaux grâce à leur rostre, redoutable pièce buccale, modifiée au fil du temps pour devenir une perceuse-aspireuse. Dans les temps anciens, le terme cicadelle ne désignait que les membres de la famille des Cicadellidae. Ce n’est plus le cas et les entomologistes peinent ici à guider ceux qui ne le sont pas. Les vignerons connaissent tout particulièrement la cicadelle de la vigne, vectrice de la contagieuse et mortelle flavescence dorée.
Quand une plante est piquée par l’insecte (porteur sain), les bactéries forment des obstacles dans le «tissu xylémique», structure de soutien formée de l’association de vaisseaux et de cellules mortes ou vivantes. Le phénomène empêche la sève brute d’y circuler, les feuilles s’asphyxient, meurent et tombent. C’est une forme, lente et sans espoir, d’infarctus végétal. Avec toutes les conséquences économiques que l’on peut imaginer.
Depuis quelques années, on sait tout ou presque de la génétique du pathogène. Le séquençage du génome de Xylella fastidiosa a été réalisé par une collaboration de plus de trente laboratoires de recherche et financée notamment par une fondation brésilienne, créée sous tutelle de l’enseignement supérieur, pour développer la recherche scientifique. Les résultats ont été publiés en 2000 dans Nature. Il existe aussi un nom de domaine www.xylella-fasti diosa.org, géré par l’Université de Californie qui fournit des informations pour chaque type de plante et offre un service d’analyse d’échantillon.
On savait Xylella fastidiosa endémique en Californie. Sans doute venue du sud (Mexique, Costa-Rica, Venezuela, Brésil…) il y a plus d’un siècle, elle s’y était installée dans un contexte favorisant sa prolifération au sein, notamment, de vastes monocultures de vignes génétiquement peu diversifiées. Son vecteur y a longtemps été la cicadelle Graphocephala atropunctata (ou blue green sharpshooter). Rien de très grave avant l’arrivée, un siècle plus tard, de la cicadelle Homalodisca vitripennis (ou glassy-winged sharpshooter) qui se révéla être un bien meilleur vecteur pour la bactérie pathogène.
Aujourd’hui, les projecteurs sont braqués sur le sud de l’Italie. Ils se tournent aussi vers Bruxelles et le siège de la Commission européenne. Nul ne sait comment Xylella fastidiosa, sous-espèce pauca, a été introduite, venant de Californie, dans les oliviers de la région des Pouilles. Elle menace désormais l’ensemble du pourtour méditerranéen. Les oliviers mais aussi, par voie de contagion, les vignes, les pêchers, les amandiers, les pruniers, les chênes ou les mûriers. Soit une fraction de la civilisation méditerranéenne.
Tout s’est accéléré avec la montée des inquiétudes du gouvernement français face à l’évolution de la situation italienne : on dit que le couple bactérie-insecte vecteur remonte des Pouilles vers le nord. Dès lors la Corse est menacée. Début avril, Stéphane Le Foll, ministre français de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, prenait des «mesures nationales exceptionnelles» afin de prévenir le risque d’introduction de Xylella fastidiosa sur le territoire français. Quelques jours plus tard, on découvrait la bactérie-pathogène sur des plants de caféier chez un revendeur de la banlieue parisienne. Ces plants, vraisemblablement originaires du Costa-Rica, avaient été introduits dans l’Union européenne via Rotterdam. Aujourd’hui, en France, plus de deux cents agents sont mobilisés, des contrôles et des prélèvements sont effectués dans les pépinières et les exploitations agricoles et des inspecteurs sont en alerte aux trente-deux points d’entrée des végétaux dans les ports et aéroports du pays.
Le commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire prône désormais une «vigilance absolue» pour empêcher la propagation de la bactérie. Les premières expertises menées laissent penser «qu’au moins 10%» des onze millions d’oliviers de la province italienne de Lecce sont touchés. Bruxelles laisse aussi entendre que l’Italie (qui a circonscrit une zone d’urgence de 241 000 hectares dans la région méridionale des Pouilles) aurait quelque peu «trainé les pieds» pour lutter contre l’épidémie – et ce sous la pression de ses agriculteurs. Les spécialistes français font la même analyse. Des mesures draconiennes pourraient prochainement être prises par l’Europe.
«Nous sommes confrontés à une équation comportant un nombre considérable d’inconnues, a expliqué au site Slate.fr Jean-Yves Rasplus, spécialiste d’entomologie à l’Institut national français de la recherche agronomique. Le spectre des végétaux pouvant être atteints est considérable et si cette maladie est depuis longtemps connue, nous ne savons rien ou presque quant aux insectes pouvant transmettre le germe. Tous les insectes qui se nourrissent de cette sève doivent être considérés comme des vecteurs potentiels. Les cicadelles sont vraisemblablement impliquées mais elles ne sont sans doute pas les seules. Cinquante espèces, dont les cigales, peuvent être impliquées – et faute de techniques pouvant, en pratique, être utilisées sur le terrain – nous sommes considérablement démunis.»
«Il en va de même pour la thérapeutique. Nous ne pourrons pas avoir recours aux insecticides et, pour l’heure la seule méthode consiste à procéder au plus vite à l’abattage et à la destruction des végétaux infectés, ajoute l’entomologiste. Cela soulève, en pratique, de considérables obstacles et résistances. De nombreux travaux de recherche restent à mener et, pour l’heure, nous sommes particulièrement inquiets de l’évolution de la situation.»
Pour l’écologiste (et député européen), José Bové il s’agit là d’une «peste végétale». «C’est absolument terrifiant ! La souche, qui a été identifiée, peut infecter trente-neuf végétaux, souligne-t-il. Avec la vigne, l’olivier, les agrumes, c’est tout le patrimoine méditerranéen qui est atteint. Du jamais vu ! Le seul parallèle, que l’on peut faire dans la mémoire paysanne, est l’épisode du phylloxéra quand la vigne a été totalement anéantie. Là, c’est pire, vu la multiplicité des végétaux à risque ! La situation est excessivement grave.»
Le phylloxéra, minuscule insecte piqueur venu des Etats-Unis fut, à compter des années 1860, responsable d’une épidémie qui détruisit la quasi-totalité des vignobles français et européens. De nombreux traitements chimiques furent tentés, sans succès, pendant des décennies. Seules des greffes avec des plants de vignes américains naturellement immunisés contre le phylloxéra permirent de sauver les cépages et les cultures du Vieux Continent. Une thérapeutique aujourd’hui inenvisageable contre Xylella fastidiosa et ses insectes porteurs.
Cette nouvelle peste réclame plus de science, plus de médecine et plus d’entraide. Comme toutes les pestes.