Le concept n’est pas neuf : attaquer le processus cancéreux en usant du système immunitaire de l’organisme au sein duquel il se développe. L’immunothérapie est-elle, véritablement, à une nouvelle étape de sa déjà longue histoire ? 1 Cette perspective est régulièrement évoquée depuis quelques années. Elle vient à nouveau de l’être, preuves expérimentales à l’appui, dans le cadre du congrès annuel de la Société américaine d’oncologie clinique (Asco) qui, du 29 mai au 5 juin, s’est tenu à Chicago.
L’enthousiasme était déjà au rendez-vous il y a un an. «En cancérologie, cette stratégie thérapeutique devrait avoir un avenir intéressant, expliquait alors l’immunologiste Sebastian Amigorena, directeur de l’Unité immunologie et cancer (U932 Inserm/Institut Curie, Paris). Les résultats obtenus dans les essais en cours sont au-delà de nos espérances puisque, désormais, il est possible de traiter des malades atteints de cancers très avancés. On peut donc penser que chez des patients présentant des cancers moins avancés, les traitements seront encore plus efficaces. Toutefois, ces médicaments ne sont pas sans effets secondaires. Il est donc très important de développer en parallèle des travaux visant à limiter ces effets.»
A quoi tient, sur le fond, cet enthousiasme, pour une approche qui a depuis longtemps été envisagée et perçue comme prometteuse ? «Grâce à un changement de point de vue. Désormais, le cancer n’est plus uniquement vu comme une maladie des gènes, mais aussi comme une maladie de l’organisme, de l’environnement de la tumeur et du système immunitaire» explique Sebastian Amigorena. En comprenant comment les cellules tumorales échappent au système immunitaire. «Très schématiquement, l’immunothérapie se résume à deux pistes, explique le Dr Vassili Soumelis, médecin et immunologiste à l’Institut Curie de Paris. Si le système immunitaire ne reconnaît pas la tumeur comme étrangère à l’organisme, il va falloir induire une réponse en l’éduquant, c’est-à-dire en lui apprenant à la reconnaître comme dangereuse. Si la réponse est là, mais pas assez forte, il s’agira alors de la stimuler, pour lui donner une dimension qui soit à la hauteur de son adversaire…»
Pour le Dr Agnès Buzyn, présidente de l’Institut national français du cancer, «l’immunothérapie va orienter les travaux des cliniciens pendant les quatre à cinq prochaines années qui viennent». «Et cela concerne probablement tous les champs de la cancérologie» estime-t-elle. Une bonne partie des travaux en cours résulte des travaux de l’immunologiste américain James P. Allison (Université du Texas). Comme prévu, l’immunothérapie a été au centre du congrès 2015 de l’Asco.
«Cette édition a confirmé les pistes prometteuses, résume Christophe Le Tourneau, responsable de la "médecine de précision" à l’Institut Curie. Après les cancers métastatiques du poumon et les mélanomes, les essais dans les cancers ORL, de la vessie, du rein, de l’ovaire et d’autres encore semblent également prometteurs.» L’une des cibles résulte d’un constat : certaines cellules tumorales «apprennent» à «verrouiller» certains points de contrôle du système immunitaire (les «immunocheckpoints»). Il s’agit dès lors d’identifier ces points de contrôle et d’agir à ce niveau.
L’une des premières molécules développées pour bloquer ce «frein immunitaire» est un anticorps anti-CTLA4, l’ipilimumab. Cette molécule a marqué un réel tournant dans la prise en charge des patients atteints de mélanomes métastatiques, pathologie pour laquelle très peu de thérapies avaient montré un bénéfice en termes de survie.2 C’est la seconde génération de cette classe de molécules thérapeutiques, les anti-PD-1 et les anti-PD-L1 (pembrolizumab, nivolumab), qui a fait l’objet de publications remarquées au dernier congrès de l’Asco. Outre le mélanome (pour lequel cette nouvelle classe s’est aussi avérée active), un essai de phase III a montré une augmentation de 27% de la survie des patients présentant un cancer du poumon non à petites cellules traités par nivolumab par rapport à la chimiothérapie habituelle.
«Nous avons été très surpris par ces résultats, car nous ne nous attendions pas à ce que ces immunothérapies soient également efficaces dans des tumeurs moins immunogènes que les mélanomes, souligne le Dr Le Tourneau.
Avec cette nouvelle classe de médicaments, on entrevoit une réelle possibilité de guérison chez des patients atteints de cancers métastatiques, même après l’arrêt des traitements. Cela ne concerne pas plus de 10% des patients, mais on envisage déjà de combiner les approches immunothérapie et thérapie ciblée pour améliorer ces résultats.»
Un autre résultat marquant de l’Asco 2015 a été celui de l’étude «CheckMate 067» (financée par Bristol-Myers Squibb). Il s’agit d’un essai de phase III, mené dans 137 centres, chez 945 personnes atteintes de mélanome III-IV (non traitées auparavant). Les participants étaient randomisés entre l’ipilimumab, un inhibiteur de CTLA-4, le nivolumab, un inhibiteur de PD-1, ou l’association des deux anticorps. Les résultats ont été présentés par le Pr Jedd Wolchok (Memorial Sloan Kettering Cancer Center, New-York). Au terme d’un suivi de neuf mois (minimum), la médiane de survie sans progression était de 2,9 mois chez les patients traités par ipilimumab seul, de 6,9 mois dans le groupe traité par nivolumab, et de 11,5 mois avec la bithérapie. Ces résultats sont associés à une toxicité accrue : des événements indésirables (de grade 3 ou 4) ont été rapportés chez 55% des patients traités par les deux anticorps – et ce contre 16,3% des patients traités par nivolumab, et 27,3% des patients traités par ipilimumab. On compte par ailleurs 36% d’interruptions de traitement liées à ces effets dans le groupe bithérapie (aucun décès lié à la toxicité du traitement). Les effets secondaires les plus fréquemment observés avec la bithérapie sont des diarrhées et des colites sévères.
Ces résultats a priori spectaculaires doivent encore être confirmés pour ce qui est de la survie. Outre la question de la toxicité de la bithérapie, le problème de fond est celui du coût de cette nouvelle thérapeutique. «Aux Etats-Unis, le prix de l’ipilimumab est environ 4000 fois plus élevé que celui de l’or», a déclaré le Dr Leonard Saltz (Memorial Sloan Kettering Cancer Center, New-York) en session plénière. Le site Medscape rapporte que ce spécialiste a aussi souligné que le coût des médicaments de chaque patient dans CheckMate 067 se chiffrait en centaine de milliers de dollars. La tendance «n’est pas soutenable» a-t-il estimé, en indiquant que, selon lui, de tels prix de vente ne reflètent pas les coûts de développement, et ne favorisent pas l’innovation.
«Les prix sont basés sur ce qui s’est fait avant, et sur l’idée que se fait le vendeur de ce que le marché va pouvoir supporter». Pour le Dr Saltz, l’incapacité de la Food and Drug Administration à envisager les coûts, et celle des centres Medicare et Medicaid à les négocier, constituent l’un des éléments du problème. Il faudrait selon lui qu’aux Etats-Unis la collectivité commence à admettre qu’il y a un plafond à ce qu’elle peut payer pour traiter un patient cancéreux. «C’est une discussion très désagréable, reconnaît le Dr Saltz. Mais elle est nécessaire.»
Il est convenu de dire que dans le domaine de l’immunothérapie les défis des années à venir consisteront à définir de façon plus précise quels sont les patients susceptibles de répondre aux traitements administrés en monothérapie et ceux chez qui des associations seront nécessaires, que ce soient des associations de plusieurs immunothérapies ou avec des thérapies ciblées, des agents de chimiothérapie ou encore avec la radiothérapie. Le congrès de l’Asco 2015 restera peut-être aussi celui où, pour la première fois de manière aussi claire, on aura publiquement exposé en chaire une nouvelle forme de toxicité médicamenteuse : la toxicité financière.