JE M'ABONNE DÈS AUJOURD'HUI
et j'accède à plus de contenu
ISO 690 | Innaurato, G., Simonet, M., L., Piguet, V., Antalgie chez les patients avec une atteinte hépatique, Rev Med Suisse, 2015/480 (Vol.11), p. 1380–1384. DOI: 10.53738/REVMED.2015.11.480.1380 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2015/revue-medicale-suisse-480/antalgie-chez-les-patients-avec-une-atteinte-hepatique |
---|---|
MLA | Innaurato, G., et al. Antalgie chez les patients avec une atteinte hépatique, Rev Med Suisse, Vol. 11, no. 480, 2015, pp. 1380–1384. |
APA | Innaurato, G., Simonet, M., L., Piguet, V. (2015), Antalgie chez les patients avec une atteinte hépatique, Rev Med Suisse, 11, no. 480, 1380–1384. https://doi.org/10.53738/REVMED.2015.11.480.1380 |
NLM | Innaurato, G., et al.Antalgie chez les patients avec une atteinte hépatique. Rev Med Suisse. 2015; 11 (480): 1380–1384. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2015.11.480.1380 |
Exporter la citation | Zotero (.ris) EndNote (.enw) |
The lack of clear recommendations makes optimal pain management difficult in patients with hepatic function impairment. This article reviews the evidence on commonly used analgesics (paracetamol, NSAIDs, opiates). Paracetamol can be safely used at low doses (2-3 grams per day) for a period not exceeding a few days. NSAIDs should be avoided because of their direct hepatic toxicity and an increased risk of life-threatening side-effects (hemorrhagic, renal). Glucuronoconjugated opiates should be preferred but all must be used carefully because of the risk of side effects. Dosage reduction and/or increased dose interval are often required.
Chez les patients souffrant d’une atteinte hépatique, la prise en charge optimale de la douleur est rendue difficile en raison de l’absence de recommandations claires. Cet article revoit la littérature concernant les antalgiques d’usage courant (paracétamol, AINS, et opiacés). Le paracétamol peut être utilisé de manière sûre pour une courte durée en limitant la dose à 2 à 3 grammes par jour. Les AINS sont contre-indiqués en raison de leur hépatotoxicité et du risque accru d’effets indésirables graves (hémorragiques, rénaux). Il est préférable d’utiliser les opioïdes glucuronoconjugués (morphine, buprénorphine) mais tous doivent l’être avec prudence en raison du risque d’effets indésirables ; leur utilisation nécessite souvent une diminution des dosages et une augmentation des intervalles d’administration.
La prescription d’un traitement antalgique chez le patient souffrant d’une atteinte hépatique est une situation rencontrée fréquemment dans la pratique clinique. Le choix de l’antalgie chez ces patients est souvent difficile pour trois raisons : le risque d’hépatotoxicité directe lié au traitement administré et la susceptibilité individuelle de ces patients à cette toxicité ; la survenue de complications liées aux effets indésirables des traitements (encéphalopathie, hémorragie digestive, rétention hydrosodée, aggravation de la fonction rénale) ; enfin, le risque de modification du métabolisme et de l’élimination de ces traitements pouvant conduire à l’accumulation ou à une perte d’efficacité des molécules administrées.
La clairance hépatique d’une substance est déterminée par le flux sanguin hépatique, sa liaison aux protéines plasmatiques et l’activité métabolique intrinsèque du foie (oxydoréduction par les cytochromes P450 et conjugaison). En cas d’atteinte hépatique, ces trois déterminants de la clairance sont altérés, et peuvent mener à une augmentation de la biodisponibilité de certaines molécules, de la fraction libre des substances fortement liées aux protéines, et une diminution du métabolisme intrinsèque (les réactions d’oxydation étant touchées plus précocement que celles de conjugaison). Malgré l’existence de scores de sévérité de l’atteinte hépatique, comme le score de Child-Pugh et le Model for End-Stage Liver Disease (MELD), il n’existe pas de mesure directe de la fonction hépatique qui permette d’anticiper le risque de toxicité hépatique lors de l’administration d’antalgiques et d’adapter facilement leur posologie. Le faible nombre d’études de qualité sur le sujet, ainsi que la variabilité importante des patients et des molécules utilisées font qu’il n’existe pas aujourd’hui de recommandations établies concernant la prescription et la sécurité de ces traitements. Ceci conduit le plus souvent à une sous-utilisation des antalgiques chez les patients avec atteinte hépatique et, par conséquent, un traitement insuffisant de leur douleur.1
Cet article a pour objet de revoir la littérature disponible concernant l’utilisation d’antalgiques d’usage courant (paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens et opioïdes) chez les patients avec atteinte hépatique en évaluant leur efficacité et les risques liés à leur utilisation, afin d’en tirer des recommandations quant à leur utilisation et l’adaptation de leur posologie.
Le paracétamol est fréquemment utilisé comme antalgie de première ligne en cas de douleurs nociceptives aiguës ou chroniques. A doses thérapeutiques, une faible proportion du paracétamol (<5%) est oxydée en métabolite hépatotoxique qui est détoxifié par le glutathion. En cas de surdosage, la part de paracétamol oxydée augmente de 15%, induisant une nécrose hépatique lorsque le glutathion est épuisé. Lors de la prise de paracétamol aux doses habituelles recommandées, des cas d’hépatite grave ont été décrits, mais seulement chez des patients présentant une consommation d’alcool chronique, une malnutrition ou la prise concomitante d’un inducteur des cytochromes.2 Il a également été démontré que, chez le patient présentant une hépatopathie, la demi-vie d’élimination du paracétamol peut augmenter de 50 à 100%.3
Le caractère dose-dépendant de l’hépatotoxicité liée au paracétamol et les modifications de son métabolisme chez les patients avec atteinte hépatique pourraient faire craindre une sensibilité accrue à ce médicament chez ces derniers. Ceci pourtant n’a pas pu être démontré: à dose thérapeutique (4 grammes par jour pendant treize jours), le paracétamol est très bien toléré tant cliniquement que biologiquement par des sujets avec atteinte hépatique chronique stable.4 De même, le paracétamol ne semble pas être un facteur de risque de décompensation cirrhotique. Une étude cas-contrôle a comparé 91 patients cirrhotiques (dont 84% avaient un score Child-Pugh B ou C et un score de MELD moyen à 19) hospitalisés pour décompensation de cirrhose à des patients cirrhotiques équivalents non hospitalisés et n’a pas retrouvé une consommation de paracétamol accrue dans les 30 jours précédant leur hospitalisation.5
La consommation régulière d’alcool est considérée comme un facteur de risque d’hépatotoxicité accrue au paracétamol en raison de la diminution des stocks de glutathion et de l’induction du cytochrome 2E1 par l’éthanol, qui augmente la production du métabolite toxique du paracétamol. Cependant, une étude randomisée contrôlée, conduite auprès de 150 volontaires sains et consommant 1 à 3 unités d’alcool par jour, a démontré que la prise de 4 grammes par jour de paracétamol pendant dix jours n’entraîne qu’une élévation modérée des ALAT (alanine aminotransférase) (2 à 3 fois) sans autre signe d’hépatotoxicité.6 Une autre étude randomisée contrôlée a inclus 200 patients alcooliques chroniques (sans signe biologique d’atteinte hépatique) immédiatement après l’arrêt d’une consommation chronique d’alcool. La prise de 4 grammes/jour de paracétamol pendant deux jours n’a pas montré de différence d’élévation des transaminases chez ces patients par rapport au placebo.7
En résumé, ces études démontrent une bonne tolérance au paracétamol à court terme chez les patients avec une atteinte hépatique peu sévère ou présentant des facteurs de risque connus pour une hépatopathie. Malgré tout, au vu de l’hépatotoxicité connue du paracétamol, des facteurs de risque associés (alcool), et des données pharmacocinétiques, les experts recommandent de limiter le dosage du paracétamol à 2 à 3 grammes par jour chez les patients avec une atteinte hépatique (tableau 1) et de ne le prescrire que pour de courtes périodes.8,9
Les AINS sont métabolisés par voie hépatique (oxydation par les cytochromes et conjugaison). Les études pharmacocinétiques chez des patients avec cirrhose légère à modérée (maximum Child B), n’ont pourtant démontré que de faibles modifications de la clairance totale des AINS chez ces patients. Les AINS sont connus pour leur hépatotoxicité directe dont le mécanisme reste encore peu clair (mais considéré comme dose-indépendant). Jusqu’à 10% de toutes les atteintes hépatiques d’origine médicamenteuse leur sont attribués.10 Les patients avec une atteinte hépatique chronique ayant été exclus de ces études, il est impossible de déterminer si cela représente un facteur de risque de survenue d’hépatotoxicité aux AINS.
La prise d’AINS est par contre un facteur de risque de complications graves chez les patients cirrhotiques. Une étude cas-contrôle menée chez 125 patients cirrhotiques (dont 83% Child B ou C et 95% avec varices œsophagiennes stade 2-3) a démontré que la prise d’aspirine seule (à dose non spécifiée mais à but antalgique) ou en combinaison avec d’autres AINS augmentait de trois fois le risque de premier épisode d’hémorragie digestive haute par rupture de varices œsophagiennes.11 De même, une étude cas-contrôle incluant 3900 patients cirrhotiques (toutes sévérités confondues) a montré un risque significatif d’hémorragie digestive haute chez les patients avec une anamnèse de prise d’AINS (sélectifs ou non) dans les 30 jours précédant l’événement.12
Concernant la fonction rénale, de nombreuses études ont démontré une aggravation du taux de filtration glomérulaire chez les patients avec une atteinte hépatique après administration d’AINS (aspirine, ibuprofène, indométhacine).13 Certains travaux ont également démontré que les AINS, via l’inhibition des prostaglandines, induisent une diminution de la natriurèse plus importante chez les patients avec une atteinte hépatique par rapport aux sujets sains, ce qui fait des AINS un facteur de risque potentiel pour une décompensation d’ascite.14,15
En résumé, l’utilisation d’AINS est contre-indiquée chez les patients avec une hépatopathie chronique en raison des risques d’hépatotoxicité directe et de complications graves hémorragiques et rénales (tableau 1).
Les opioïdes exercent leur effet analgésique par l’activation des récepteurs opioïdergiques. Au vu du métabolisme hépatique de tous les dérivés opioïdes, le risque lié à leur utilisation est celui d’une accumulation liée à une clairance diminuée et à une biodisponibilité augmentée ou, au contraire, une inefficacité liée à une non-activation de la molécule-mère.16
La morphine est glucuronoconjuguée au niveau hépatique avec un important effet de premier passage hépatique qui réduit sa biodisponibilité orale à 20-40% chez les sujets sains. Bien que les réactions de conjugaison soient relativement peu modifiées en cas d’atteinte hépatique, des travaux ont montré que la biodisponibilité de la morphine augmente jusqu’à 100% et que sa demi-vie d’élimination double chez les patients avec une hépatopathie sévère (Child B et C).17,18 Au vu de ces données pharmacocinétiques, et en l’absence de données cliniques quant à la survenue d’effets indésirables liés à ces modifications, il est suggéré de doubler l’intervalle posologique et d’envisager une diminution de la posologie en cas d’administration per os.
La codéine a une action analgésique par la transformation en morphine (via le CYP2D6) d’environ 10% de sa dose administrée. Bien qu’aucune étude clinique ou pharmacocinétique n’ait été réalisée sur l’emploi de codéine chez les patients avec atteinte hépatique, on s’attend à une perte d’efficacité de la codéine chez ces patients en raison de l’atteinte des cytochromes dans ce contexte.
Le tramadol possède une action antalgique via une modulation des voies monoaminergiques inhibitrices de la douleur. Il a également une action opioïdergique via son métabolite principal (CYP2D6). Chez des patients avec atteinte hépatique non spécifiée, des études pharmacocinétiques ont montré une multiplication par trois des concentrations plasmatiques du tramadol et un doublement de sa demi-vie.19 Ainsi, en l’absence d’étude clinique et par analogie à ce qui a été démontré chez les métaboliseurs lents du CYP2D6, on s’attend à une possible diminution de l’efficacité antalgique du tramadol chez le patient avec atteinte hépatique et à une accumulation de la molécule-mère avec un risque de syndrome sérotoninergique.20 Pour ces raisons, il est conseillé d’augmenter l’intervalle posologique du tramadol chez le patient avec atteinte hépatique.
L’oxycodone est une molécule active qui nécessite également une oxydation hépatique par les cytochromes CYP2D6 et 3A4 pour acquérir son effet antalgique complet. Une étude pharmacocinétique, chez des patients avec une atteinte hépatique non spécifiée, a démontré une augmentation de la concentration de la molécule-mère avec allongement de sa demi-vie d’élimination et une diminution de la concentration du métabolite actif.21 Une étude, chez des patients souffrant de cancer et d’une insuffisance hépatique, a démontré une augmentation de la concentration de la molécule-mère (de 1,5 à 3 fois pour les scores de Child-Pugh B et C respectivement).22 Pour ces raisons, il est conseillé d’augmenter l’intervalle posologique et/ou de diminuer les doses.3
L’hydromorphone subit un important premier passage hépatique avec un métabolisme par glucuronoconjugaison. Une étude du fabricant chez les patients avec une atteinte hépatique modérée a démontré une augmentation d’un facteur quatre des concentrations plasmatiques après une seule dose.23 Il n’existe aucune étude pharmacocinétique ou clinique chez des patients porteurs d’une atteinte plus sévère ou lors de prises répétées.
La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs mu administré par voie parentérale ou sublinguale en raison d’un important effet de premier passage hépatique. Elle subit un métabolisme hépatique principalement par une glucuronoconjugaison et partiellement via le CYP3A4 et est éliminée par la bile. Il n’existe aucune étude clinique ou pharmacocinétique concernant son utilisation chez les patients avec une atteinte hépatique. Cependant, au vu de la prédominance de la glucuronoconjugaison, on ne s’attend pas à une modification majeure de ses concentrations. Par analogie, une inhibition médicamenteuse du CYP3A4 n’a pas démontré de modification de son métabolisme.24
L’utilisation du fentanyl chez les patients avec une atteinte hépatique a surtout été étudiée en administration intraveineuse sans altération de sa cinétique. En utilisation transdermique, des études réalisées par le fabricant ont démontré une augmentation des concentrations plasmatiques (73%) chez les patients avec cirrhose de sévérité inconnue.25 La longue demi-vie (17-27 heures) de cette forme galénique rend son utilisation difficile chez les patients à haut risque de complication, et ce traitement n’est donc pas recommandé chez les patients avec une atteinte hépatique.
En raison du petit nombre d’études cliniques, de la difficulté de prédire l’effet d’une atteinte hépatique sur le métabolisme des médicaments et de la variabilité des patients inclus dans les études, il est actuellement difficile de donner des recommandations basées sur l’évidence concernant l’utilisation des antalgiques chez les patients souffrant d’une atteinte hépatique. Ainsi, les recommandations retrouvées se basent sur des avis d’experts et sur des hypothèses pharmacocinétiques (tableau 1).3,9,26 En résumé, à part les AINS, peu de traitements antalgiques sont formellement contre-indiqués en cas d’atteinte hépatique. De manière générale, il convient d’utiliser de préférence les traitements sans hépatotoxicité directe connue, les molécules glucuronoconjuguées, et d’envisager une diminution des doses administrées et/ou un allongement de l’intervalle entre les doses selon le degré d’atteinte hépatique. En cas d’utilisation des opioïdes, il convient de surveiller l’apparition de signes de sédation ou de constipation.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> La douleur est souvent insuffisamment traitée chez les patients avec atteinte hépatique
> Le paracétamol peut être utilisé de manière sûre en limitant la dose à 2 à 3 grammes par jour pour quelques jours
> Les AINS sont à éviter en raison de leur hépatotoxicité directe et de la survenue d’effets secondaires graves hémorragiques et rénaux
> Il convient de préférer les opioïdes glucuronoconjugués et d’envisager une adaptation de la dose ou de l’intervalle posologique
Le produit a bien été ajouté au panier ! Vous pouvez continuer votre visite ou accéder au panier pour finaliser votre commande.
Veuillez entrer votre adresse email ci-dessous pour recevoir un lien de réinitialisation de mot de passe
Vous pouvez créer votre nouveau mot de passe ici
Certains de ces cookies sont essentiels, tandis que d'autres nous aident à améliorer votre expérience en vous fournissant des informations sur la manière dont le site est utilisé.
Les cookies nécessaires activent la fonctionnalité principale. Le site Web ne peut pas fonctionner correctement sans ces cookies et ne peut être désactivé qu'en modifiant les préférences de votre navigateur.
Ces cookies permettent d’obtenir des statistiques de fréquentation anonymes du site de la Revue Médicale Suisse afin d’optimiser son ergonomie, sa navigation et ses contenus. En désactivant ces cookies, nous ne pourrons pas analyser le trafic du site de la Revue Médicale Suisse
Ces cookies permettent à la Revue Médicale Suisse ou à ses partenaires de vous présenter les publicités les plus pertinentes et les plus adaptées à vos centres d’intérêt en fonction de votre navigation sur le site. En désactivant ces cookies, des publicités sans lien avec vos centres d’intérêt supposés vous seront proposées sur le site.
Ces cookies permettent d’interagir depuis le site de la Revue Médicale Suisse avec les modules sociaux et de partager les contenus du site avec d’autres personnes ou de les informer de votre consultation, lorsque vous cliquez sur les fonctionnalités de partage de Facebook et de Twitter, par exemple. En désactivant ces cookies, vous ne pourrez plus partager les articles de la Revue Médicale Suisse depuis le site de la Revue Médicale Suisse sur les réseaux sociaux.