Aujourd’hui, les patients en rémission oncologique sont de plus en plus nombreux et un tiers présente des douleurs chroniques d’étiologies diverses.Dans l’objectif d’un plan multimodal de gestion des douleurs chroniques, les objectifs thérapeutiques, les conditions et les modalités de prescription d’opioïdes au long cours doivent être discutés. La voie transdermique peut être une alternative intéressante lorsque le traitement antalgique des douleurs modérées à fortes est équilibré. Elle permet d’obtenir notamment un confort accru chez certains patients chez qui la prise par voie orale est difficile ou la polymédication gênante. Le rapport bénéfices/risques d’une prescription d’opioïdes dans le traitement de douleurs chroniques des patients oncologiques en rémission doit être régulièrement réévalué.
Aujourd’hui, les patients en rémission oncologique complète sont de plus en plus nombreux. En effet, 66% des patients présentent une survie à cinq ans et 30-50% à dix ans.1 La majorité de ces patients présentent des douleurs dans l’histoire de leur maladie oncologique, que celles-ci soient liées au cancer lui-même et à ses traitements ou à d’autres affections. Certaines douleurs persistent et deviennent des douleurs chroniques.
Les opioïdes sont largement utilisés pour le traitement des douleurs en lien avec le cancer du fait de leur efficacité sur ces douleurs, nociceptives en particulier, des nombreuses formes galéniques disponibles et de la variété des voies d’administration possibles.2 Si la prise en charge des douleurs oncologiques aiguës a progressé ces dernières années, il existe peu de consensus sur les modalités de traitement des douleurs chroniques dans le contexte de cancers à évolution lente ou chez les patients en rémission.3
Les douleurs séquellaires lors de rémission complète d’un cancer peuvent s’apparenter à des douleurs chroniques non cancéreuses où l’emploi à long terme des opioïdes doit être justifié et auquel doivent s’ajouter toutes les approches non médicamenteuses reconnues dans la prise en charge des douleurs chroniques.
Le but de cet article est de présenter quelques spécificités de l’utilisation des opioïdes en patchs pour le traitement des douleurs chroniques chez les patients en rémission oncologique.
Le cancer est aujourd’hui devenu une maladie chronique caractérisée par une prévalence élevée de symptômes physiques et psychosociaux qui altèrent la qualité de vie des patients.4 L’estimation de la prévalence des douleurs en lien avec le cancer varie considérablement, principalement à cause d’un manque d’uniformisation de leur définition, de la diligence avec laquelle elles sont recherchées et de la variété des cancers eux-mêmes. Globalement, la prévalence est estimée à 50-60% sous traitement anticancéreux et elle s’élève à plus de 75% dans les stades avancés de la maladie. Une revue de la littérature récente révèle une prévalence de douleurs de 33% chez les patients en rémission oncologique. Chez plus d’un tiers de ces patients, les douleurs sont d’intensité modérée à forte (échelle visuelle analogique (EVA) > 4).5
Les étiologies des douleurs chroniques lors d’une maladie cancéreuse sont diverses. Elles peuvent être liées au cancer lui-même, à l’envahissement tumoral, à la conséquence des traitements anticancéreux, ou encore être d’origine non cancéreuse, préexistantes à la maladie oncologique (tableau 1).3,4,6
Jusqu’à la rémission oncologique, le cancer et les traitements spécifiques prennent une large part des préoccupations du patient. En rémission, quitter le statut de malade pour accéder à un statut moins défini n’est pas facile, ce d’autant plus si la rémission s’accompagne de douleurs séquellaires. Les patients présentant des douleurs provoquées par un cancer ou son traitement éprouvent couramment plus d’un type de douleurs. La présence de douleurs chroniques préexistantes à l’apparition du cancer peut également complexifier le diagnostic. De plus, les facteurs psychologiques tels que la dépression ou l’anxiété influencent la perception de la douleur en agissant comme des facteurs qui aggravent le vécu et augmentent l’impact fonctionnel des symptômes. Certains patients développent une hypervigilance face à la douleur lors de la maladie oncologique, ainsi les douleurs séquellaires peuvent être interprétées comme la réapparition de la maladie ou la progression de celle-ci, source d’angoisse et d’inquiétude.7
Les patients en rémission diminuent la fréquence de leur visite chez l’oncologue, le relai étant souvent pris par le médecin traitant qui devient alors l’interlocuteur médical principal.7 Dès lors, celui-ci doit pouvoir prendre en charge la complexité des douleurs chroniques ainsi que leurs répercussions sur la qualité de vie et l’estime de soi. L’évaluation rigoureuse et régulière des symptômes constitue la pierre angulaire de l’approche médicale et des choix thérapeutiques. La classification des douleurs en douleurs nociceptives et/ou neuropathiques se fait principalement par le biais de l’anamnèse et de l’examen clinique. Les outils à disposition sont notamment constitués par les échelles de la douleur, telles que l’échelle visuelle analogique et le questionnaire DN48 qui constitue un outil de dépistage validé des douleurs neuropathiques. La recherche standardisée de facteurs psychosociaux susceptibles d’entretenir ou de moduler l’expression symptomatique de la douleur peut être réalisée par le biais d’échelles de mesure de l’anxiété et de la dépression, comme l’échelle de Hamilton par exemple.9 Les douleurs chroniques nécessitent une approche biopsychosociale et sont typiquement résistantes à une seule approche biomédicale. Divers auteurs proposent que la prise en charge des douleurs chroniques chez les patients en rémission d’un cancer suive les principes de prise en charge multimodale des douleurs chroniques non cancéreuses.3,4,7
Les douleurs chroniques se caractérisent par leur persistance au-delà de trois à six mois et par le fait qu’elles sont souvent rebelles aux traitements usuels. Le traitement médicamenteux implique régulièrement des antalgiques associés à une médication adjuvante (modulateurs centraux de la douleur : antidépresseurs, antiépileptiques). Les traitements non médicamenteux regroupent les prises en charge physique et psychologique. Le but tend principalement à améliorer la fonction et la qualité de vie des patients sans nécessairement parvenir à éliminer les douleurs.3,10
Si les opioïdes constituent un recours fréquent lors du traitement des douleurs cancéreuses aiguës, la poursuite de la prescription d’un opioïde dans la phase de rémission doit être réévaluée. Dans l’objectif d’un plan global de gestion des douleurs chroniques chez les patients en rémission, les objectifs thérapeutiques, les conditions et les modalités de prescription d’opioïdes au long cours doivent être discutés entre le patient et le médecin prescripteur.7 Il s’agit d’éviter l’escalade posologique et de discuter avec le patient des objectifs analgésiques et fonctionnels à atteindre. L’efficacité thérapeutique doit notamment être régulièrement réévaluée sur la base d’objectifs individualisés, réalistes et mesurables. Une information sur les bénéfices et les effets indésirables doit être délivrée, en particulier en raison de la longue durée du traitement et des phénomènes de tolérance et de dépendance. Dans tout traitement par opioïdes à long terme, patients et thérapeutes doivent régulièrement rediscuter de l’équilibre bénéfices/risques.10,11
Jusque dans les années 1990, la morphine constituait l’opioïde fort de première intention pour traiter les douleurs cancéreuses modérées à fortes.7 Actuellement, plusieurs dérivés opioïdes sont disponibles sous différentes formes galéniques et propriétés pharmacocinétiques. Lors d’un traitement au long cours, la forme retard est souvent privilégiée. L’utilisation des patchs transdermiques est une option thérapeutique chez les patients en rémission qui présentent des douleurs stables, d’intensité modérée à forte, sans paroxysme et dans les situations suivantes : malabsorption digestive, polymédication orale gênante pour le malade et lors d’emploi préalable d’un patch avec une antalgie et une tolérance bien contrôlées.4 L’utilisation des patchs est envisageable dès qu’une antalgie adéquate est obtenue avec une forme orale ou parentérale d’opioïdes à action rapide.
Le type actuel de système transdermique est matriciel, constitué d’une masse polymérique dans laquelle le principe actif est dissous ou dispersé. Le taux de libération du principe actif est relativement constant, ce qui est dû à la matrice de polymère libératrice et à la diffusion du principe à travers les couches cutanées.12 La substance active traverse la peau selon un gradient de concentration puis est stockée dans les tissus adipeux sous-cutanés. Ces mécanismes dépendent de la qualité de la peau et du tissu sous-cutané ainsi que du débit sanguin sous-cutané. C’est donc la peau et sa vascularisation qui déterminent la pénétration et la résorption du principe actif. Ceci explique la variabilité interindividuelle des taux sanguins observée pour un même dosage, spécialement chez les patients cachectiques et âgés avec un faible «réservoir» sous-cutané, ce qui peut résulter en une toxicité ou une analgésie inadéquate. Classiquement, des variations intra-individuelles peuvent aussi être observées lors de modifications des conditions cutanées (source externe de chaleur, hyperthermie, sueurs, inflammation locale) et ces aspects doivent être discutés avec les patients.12–14 Par ailleurs, les concentrations sériques susceptibles d’être atteintes sont également proportionnelles à la taille du patch. Un possible avantage est que les patchs matriciels peuvent être en théorie coupés : en effet, le principe actif est présent sous forme solide et est réparti de manière homogène.15 En pratique toutefois, cette façon de faire n’est pas recommandée par les fabricants car elle ne permet pas d’assurer un dosage suffisamment précis et reproductible. Une information concernant l’utilisation des patchs d’opioïdes est disponible sur le site du Réseau douleur des HUG (http://reseaudouleur.hug-ge.ch/).
Les deux opioïdes disponibles sous forme transdermique sont le fentanyl et la buprénorphine. Ils possèdent des caractéristiques idéales pour l’administration transdermique de par leur lipophilie et leur bas poids moléculaire.14 L’avantage de la galénique transdermique est d’être dépourvue d’effet de premier passage hépatique et intestinal.12 Les principaux désavantages sont constitués par la longue durée d’action qui rend les adaptations de doses ainsi que la gestion des effets indésirables plus difficiles. La galénique des patchs implique un délai d’action long de 12-24 heures, nécessitant de poursuivre la prise d’opioïdes per os pendant ce laps de temps lors de la première pose, d’être attentif aux signes de surdosage à partir de 24-48 heures, et de poursuivre la surveillance durant les 12-24 heures qui suivent le retrait du patch.12 En effet, le dépôt sous-cutané de la substance active permet la poursuite de la diffusion de la substance active dans le sang plusieurs heures après le retrait du patch et ceci complique classiquement la prise en charge en cas d’intoxication ou de survenue d’effets indésirables (tableau 2).
Lors de la prescription, les risques liés à l’usage des opioïdes forts doivent être pris en compte afin d’anticiper et de diminuer la survenue d’effets indésirables. Il s’agit essentiellement de troubles digestifs sous forme de nausées, de vomissements lors de l’instauration du traitement, ou encore d’une constipation avec nécessité fréquente d’avoir recours à un traitement laxatif pendant toute la durée du traitement. Les autres effets indésirables principaux sont : une confusion, une sédation, des effets dysphoriques et une rétention urinaire. Une altération du réflexe de toux ou une dépression respiratoire peuvent s’observer en cas de surdosage ou lors d’interactions médicamenteuses. Des atteintes cutanées sont fréquentes avec l’utilisation de patchs, avec un érythème autour de la zone d’application du patch et un prurit.19 Cette problématique semble plus fréquente avec la buprénorphine.14 Un moyen de limiter la survenue d’une irritation locale est d’alterner les sites d’application.
A long terme, on peut observer la survenue d’un dérèglement endocrinien. Les modifications hormonales induites par les opioïdes dépendent de l’hypothalamus et de l’hypophyse (diminution de la sécrétion de cortisol, de testostérone et d’œstrogènes) qui peuvent être à l’origine d’une perte de libido, de dépression, d’une ostéoporose ou d’une aménorrhée.10 Par ailleurs, la prise concomitante de médicaments dépresseurs du SNC (système nerveux central) peut potentialiser les effets sédatifs et autres effets centraux des opioïdes.18 De même, tout médicament agissant sur les cytochromes, notamment par inhibition du CYP3A4, peut ralentir l’élimination du fentanyl principalement et provoquer ainsi son accumulation. Il est possible de prévoir qualitativement les interactions potentielles en consultant les tables des interactions médicamenteuses (www.pharmacoclin.ch).
Pour prévenir l’utilisation abusive et les détournements d’usage des opioïdes, il est nécessaire de prévoir la prescription par un seul médecin et d’avoir recours à une administration régulière d’applications transdermiques assurant une concentration plasmatique stable.18 Le rapport bénéfices/risques de l’utilisation d’un opioïde fort est considéré comme favorable si l’effet antalgique est jugé significatif par le patient et le médecin et si les effets indésirables peuvent être qualifiés de mineurs, en l’absence d’effets parallèles (abus, dépendance).
Les douleurs chroniques des patients oncologiques en rémission nécessitent des études supplémentaires afin de clarifier notamment leur prévalence, leurs mécanismes physiopathologiques, la qualité des impacts biopsychosociaux secondaires, les facteurs de risque ainsi que les stratégies de traitements optimales dont les objectifs doivent être de diminuer la souffrance et d’améliorer la qualité de vie des patients.
Environ un tiers des patients en rémission oncologique présente des douleurs chroniques. Celles-ci ont des conséquences importantes sur la qualité de vie et doivent être dépistées et traitées. Si les douleurs cancéreuses aiguës répondent généralement de manière satisfaisante aux opioïdes, les douleurs chroniques chez les patients en rémission le font moins. Ainsi, l’apport des coanalgésiques et des approches non pharmacologiques, apparentés à la prise en charge des douleurs chroniques non cancéreuses, sont nécessaires. Le rapport bénéfices/risques d’une prescription d’opioïdes dans le traitement de douleurs chroniques doit être évalué avec précision afin de ne pas utiliser un médicament qui pourrait soit être inefficace ou peu efficace, soit provoquer des effets indésirables délétères. Si le traitement ne permet peut-être pas de supprimer toute douleur, il doit apporter un soulagement significatif afin de permettre une amélioration fonctionnelle et de la qualité de vie. La voie transdermique est une alternative intéressante à la voie orale lorsque le traitement antalgique des douleurs modérées à fortes est équilibré. Elle permet d’obtenir des concentrations plasmatiques stables, en offrant l’avantage d’un confort accru chez certains patients chez qui la prise par voie orale est difficile ou la polymédication orale gênante et qui nécessitent une antalgie par opioïdes pour une période prolongée (tableau 3).
> Les douleurs séquellaires lors de rémission complète d’un cancer peuvent s’apparenter à des douleurs chroniques non cancéreuses où l’emploi à long terme des opioïdes doit être justifié et auquel doit s’ajouter toutes les approches non médicamenteuses reconnues dans la prise en charge des douleurs chroniques
> L’utilisation des patchs d’opioïdes (buprénorphine ou fentanyl) est une option thérapeutique chez les patients en rémission qui présentent des douleurs stables, d’intensité modérée à forte
Aujourd’hui, les patients en rémission oncologique sont de plus en plus nombreux et un tiers présente des douleurs chroniques d’étiologies diverses.Dans l’objectif d’un plan multimodal de gestion des douleurs chroniques, les objectifs thérapeutiques, les conditions et les modalités de prescription d’opioïdes au long cours doivent être discutés. La voie transdermique peut être une alternative intéressante lorsque le traitement antalgique des douleurs modérées à fortes est équilibré. Elle permet d’obtenir notamment un confort accru chez certains patients chez qui la prise par voie orale est difficile ou la polymédication gênante. Le rapport bénéfices/risques d’une prescription d’opioïdes dans le traitement de douleurs chroniques des patients oncologiques en rémission doit être régulièrement réévalué.