Le génome d’une femme est à la fois très proche et très différent de celui d’un homme. Ainsi, la similarité génétique entre deux hommes ou deux femmes approche les 99,9 %, alors qu’une femme partage 98,5 % de son code génétique avec un homme.1,2 Ces diversités représentent évidemment le fondement de la différenciation sexuelle, mais pourraient représenter aussi une raison des variations d’incidence, de progression, de potentiel métastatique et de réponse au traitement des cancers urologiques entre hommes et femmes. Plusieurs autres hypothèses incriminant le rôle des thérapies hormonales, des hormones sexuelles, de l’expression des ré cepteurs aux androgènes/œstrogènes et des comportements sociaux (tabac, alcool,…) sont avancées pour expliquer ces inégalités hommes-femmes face au cancer.
Plusieurs études rapportent des différences significatives d’incidence, de récidive et de progression des cancers urothéliaux de la vessie et des cancers du rein entre hommes et femmes.3,4 L’objectif de cette revue est de sensibiliser le praticien à ces différences en résumant l’état des connaissances et les mécanismes conduisant à cette inégalité des sexes face au cancer en urologie.5
Le cancer urothélial de la vessie représente le 11e cancer le plus fréquent dans le monde (4e chez l’homme et 17e chez la femme), avec une incidence estimée à plus de 350 000 cas par an.6 Bien que ce cancer soit diagnostiqué dans son état « superficiel » (c’est-à-dire n’envahissant pas le muscle) dans 80 % des cas, la récidive est fréquente et concernera un patient sur deux. La progression d’un cancer urothélial superficiel vers un cancer invasif de la vessie (c’est-à-dire infiltrant le muscle) est décrit dans 20 % des cas.7 Le risque de développer un cancer de la vessie au cours de sa vie est trois fois plus élevé pour un homme que pour une femme. L’âge moyen des hommes au moment du diagnostic est de 62 ans alors qu’il est de 67 ans chez la femme.8 De plus, le nombre de nouveaux diagnostics reste constant chez la femme, alors qu’une augmentation de l’incidence est observée chez l’homme.9
Cependant, plusieurs facteurs de risque de développer un cancer de la vessie spécifiques à la femme ont été identifiés. La parité semble réduire le risque de cancer urothélial de la vessie de 30 % comparée aux femme nullipares10 et la multiparité semble apporter un effet protecteur supérieur à l’uniparité.11 Le rôle de la substitution hormonale dans le développement du cancer de la vessie reste par contre très débattu.12,13 D’autres facteurs comme l’âge à la ménopause, l’utilisation de contraception orale et l’hystérectomie ont été étudiés, sans conclusions significatives (tableau 1).
Alors que les facteurs pronostiques tels que le stade, le grade, le nombre et la taille des tumeurs, le nombre de récidives et la présence de carcinome in situ sont validés et inclus dans la majorité des nomogrammes visant à calculer le risque de récidive et de progression, le sexe ne l’est pas.14
Contrairement aux hommes, les femmes sont plus souvent diagnostiquées à un stade plus avancé de la maladie, résultant en un pronostic plus sombre. Ces constatations supportent l’hypothèse du sexe comme facteur pronostique indépendant de progression et de mortalité.15 Une étude incluant 916 patients présentant un cancer de la vessie de stade T1, de haut grade, a démontré que le sexe féminin représente un facteur de risque indépendant de récidive (HR : 1,36 ; IC 95 % : 1,07-1,72 ; p = 0,012).16 Dans une série de 517 patients bénéficiant d’une cystectomie radicale pour cancer de la vessie, les femmes présentaient un cancer de stade plus avancé (p = 0,017), un risque accru de métastases ganglionnaires (p = 0,047) et une proportion plus élevée de chimiothérapie adjuvante (p = 0,009).17 Messer et coll. ont aussi montré un risque accru de récidive et de mortalité lié au cancer chez les femmes, comparées aux hommes (p = 0,007) (tableau 1).18
La consommation de tabac représente le facteur de risque le mieux établi dans le développement, la récidive et la progression du cancer de la vessie.19 Il est estimé que l’utilisation de tabac demeure plus fréquente chez l’homme que chez la femme, bien que cette différence tende à diminuer.20
Force est de constater que cette différence de consommation de tabac n’est pas suffisante pour expliquer les inégalités des sexes face au cancer de la vessie. Plusieurs auteurs ont évoqué le rôle des hormones sexuelles et de leurs récepteurs dans le développement et le comportement du cancer de la vessie.4 La surexpression du récepteur aux androgènes a été démontrée dans le cancer de la vessie invasif, suggérant un rôle de la testostérone dans la carcinogenèse.21,22 Selon une étude in vivo, des souris « knockout » pour le récepteur aux androgènes ne développaient pas de cancer de la vessie induit !23 De manière intéressante, Izumi et coll. ont comparé des hommes atteints à la fois d’un cancer de la vessie et d’un cancer de la prostate bénéficiant d’un blocage hormonal complet à des patients avec un cancer de la vessie et de la prostate, mais sans blocage hormonal.24 A cinq ans, le taux de récidives était de 24 % dans le groupe bénéficiant du traitement hormonal, comparé à 60 % dans le groupe sans traitement hormonal (p < 0,001). Ces observations ouvrent la voie à de nouvelles cibles thérapeutiques.
Le rôle des œstrogènes et de leurs récepteurs est plus difficile à caractériser. L’effet des œstrogènes est relayé par deux types de récepteurs : les récepteurs alpha, principalement exprimés dans les cancers de vessie superficiels, et les récepteurs bêta, surexprimés dans les cancers plus invasifs.25 Alors que le rôle du récepteur aux œstrogènes alpha semble protecteur, le rôle du récepteur aux œstrogènes bêta reste ambigu.26,27 En effet, les œstrogènes semblent agir de deux façons : si, d’un côté, ils paraissent inhiber le développement du cancer de la vessie, de l’autre, ils semblent favoriser la progression de la maladie une fois que le cancer est diagnostiqué. Comme pour la testostérone et le récepteur aux androgènes, les œstrogènes et leurs récepteurs alpha et bêta ouvrent de nouveaux horizons thérapeutiques. Deux essais cliniques multicentriques de phase II étudiant le rôle du tamoxifène dans le contexte du cancer de la vessie superficiel (ClinicalTrials.gov ID : NCT02197897) et métastatique (ClinicalTrials.gov ID : NCT00589017) sont actuellement en cours. Ces résultats sont attendus avec impatience.
L’inégalité des sexes face au cancer de la vessie trouve aussi une autre source, potentiellement modifiable, et donc hautement importante pour le praticien. En effet, il est démontré que, à symptômes égaux, le délai écoulé jusqu’à une consultation spécialisée et un traitement est significativement plus long pour une femme que pour un homme.28 Alors que 78 % des hommes consultent un urologue à la présentation du premier symptôme (hématurie macroscopique, dysurie, urgence, nycturie), seuls 55 % des femmes (p < 0,05) le font. De plus, 16 % des femmes reçoivent au moins trois traitements antibiotiques pour infection urinaire, comparées à 4 % des hommes (p < 0,05) avant de consulter un urologue.29 Ainsi, une attention particulière doit être apportée aux femmes présentant une macrohématurie, surtout en présence de symptômes irritatifs (urgences, faux besoins, nycturie, dysurie,…) et persistante après antibiothérapie, afin de réduire cette inégalité.
Le cancer du rein représente 3-4 % de tous les cancers solides de l’adulte et le rapport homme : femme est de 2:1.30 Les principaux facteurs de risque sont la consommation de tabac, l’obésité et l’hypertension, alors que la consommation d’alcool semble diminuer le risque de développer un cancer du rein.31,32 Le cancer du rein peut être subdivisé en trois types histologiques distincts avec du plus fréquent (et plus agressif) au plus rare (et moins agressif) : le cancer rénal à cellules claires, papillaire et chromophobe. Les femmes ont moins tendance à développer un cancer rénal papillaire et plus tendance à développer un cancer rénal chromophobe, expliquant en partie le meilleur pronostic réservé aux femmes (tableau 2).33
Le stade TNM, la taille tumorale, le grade histologique de Fuhrman ainsi que le type histologique représentent des facteurs pronostiques établis du cancer du rein.34 Plusieurs études ont permis d’identifier le sexe comme facteur de risque indépendant pour le développement, la progression et la survie du cancer du rein, en défaveur des hommes. Selon la base de données américaine SEER (Surveillance Epidemiology and End Results), les hommes sont plus à risque de présenter des tumeurs plus volumineuses et de plus hauts stade et grade au moment du diagnostic.35 L’impact du sexe sur la survie spécifique au cancer n’est par contre pas clairement établi.36
Parmi les femmes, celles ayant bénéficié d’une hystérectomie semblent présenter un risque plus élevé de développer un cancer du rein.37 Aucun lien de causalité n’a été établi entre parité, ménopause, traitement hormonal et contraception orale et cancer du rein. Par analogie au cancer de la vessie, le rôle des récepteurs aux œstrogènes (alpha et bêta) et aux androgènes a été investigué aussi dans le cancer du rein. Si les œstrogènes semblent avoir un rôle protecteur, les androgènes semblent favoriser le développement et la progression du cancer du rein. Toutefois, la plupart des études sont basées sur des lignées cellulaires in vitro ou alors in vivo sur modèle murin.38,39 Des études sur l’homme, la femme en l’occurrence, sont nécessaires (tableau 2).
L’incidence du cancer de la vessie et du rein est plus élevée chez l’homme. Le sexe féminin représente un facteur prédictif négatif pour le cancer de la vessie et protecteur pour le cancer du rein. Les hormones sexuelles et leurs récepteurs jouent probablement un rôle dans la carcinogenèse et la progression des cancers de la vessie et du rein, représentant ainsi des cibles thérapeutiques potentielles. L’inégalité des sexes face aux cancers urologiques doit être connue du praticien et devrait être considérée lors du conseil aux patients. Les nomogrammes prédictifs devraient, à l’avenir, tenir compte de cette inégalité homme-femme.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Plusieurs études ont identifié le sexe comme facteur pronostique d’incidence, de récidive et de progression des cancers de la vessie et du rein
▪ Bien que les hommes soient plus fréquemment atteints d’un cancer de la vessie, les femmes présentent le plus souvent des tumeurs plus avancées et de moins bon pronostic
▪ Le cancer du rein atteint plus fréquemment les hommes. Ces derniers présentent le plus souvent des tumeurs de plus grande taille et de plus hauts stade et grade. Le sexe féminin semble être un facteur protecteur indépendant
▪ Les différences socio-récréationnelles comme la consommation de tabac et d’alcool, les expositions professionnelles, la carcinogenèse, les hormones sexuelles et leurs récepteurs peuvent expliquer l’inégali