On va peut-être croire à une plaisanterie : l’hôpital comme acquisition thérapeutique en 2015 ? Et pourtant. Si la réduction drastique des lits hospitaliers psychiatriques et la « fermeture des asiles » datent d’il y a bien longtemps, l’image de l’hôpital psychiatrique reste mauvaise et il continue d’être réduit à sa caricature asilaire. Il est donc important de rappeler que l’hôpital psychiatrique a changé et qu’aussi bien la forme que le contenu des soins qui y sont proposés se sont modifiés, de manière à ce que les patients qui en ont besoin osent s’y rendre et ne s’y sentent pas stigmatisés. On parlera aussi dans cet article d’une consultation pour étudiants sur le site de l’UNIL et de l’EPFL ainsi que d’un red-flag simple et précoce qui doit alerter le médecin sur le risque de prise de poids massive sous traitement psychotrope.
Sous l’impulsion du mouvement antipsychiatrique des années 60 et 70 et de son discours critique à l’égard des asiles psychiatriques, un changement salutaire est survenu, conduisant à une réduction drastique du nombre des lits psychiatriques et au développement d’alternatives ambulatoires aux soins asilaires. De nouvelles approches visant une meilleure intégration des patients dans la société ont été développées et une psychiatrie aussi bien respectueuse des droits que mieux adaptée aux besoins des patients a pu voir le jour. La question de savoir jusqu’où aller dans ce « virage communautaire » continue cependant d’animer les débats. Si pour certains,1 l’idéal serait de se passer complètement de lits psychiatriques, d’autres se sont inquiétés des conséquences possibles de réductions trop extrêmes dont on s’est rendu compte, par exemple qu’elles peuvent conduire à ce que les patients fragiles viennent grossir les rangs des sans domicile fixe, ou de la population carcérale.2
Pratiquement partout, l’hôpital psychiatrique existe toujours ; il semble même nécessaire, puisque l’ensemble des structures hospitalières psychiatriques, suisses romandes en particulier, sont très régulièrement saturées. Il est pourtant souvent perçu « en négatif », comme cette portion de la psychiatrie qui n’a pas pu être modernisée et qui a résisté au virage communautaire. De plus, alors qu’il a changé de manière fondamentale par rapport à l’asile, il reste perçu de manière souvent défavorable, soit comme un lieu d’enfermement et de contrainte, soit globalement comme un lieu de soins qu’il serait bon d’éviter. Cette mauvaise image est délétère, non seulement pour l’hôpital et ceux qui y travaillent, mais surtout pour les patients qui en ont besoin et qui sont stigmatisés par le simple fait qu’ils doivent y séjourner.
Comment comprendre ce préjugé négatif ? L’hôpital, de manière générale, est un lieu symbolique et redouté : il nous rappelle l’existence de la maladie et de la mort, éléments du possible auxquels nous évitons de penser. L’hôpital psychiatrique quant à lui nous amène à penser à la souffrance psychique, à l’impasse existentielle et à la folie, dont il est peutêtre encore plus insupportable de ressentir la potentialité en nous. Cette réticence ne date pas d’hier, l’hôpital psychiatrique étant le plus souvent construit en dehors des villes, mis à part comme pour éviter une proximité désagréable. De plus, dans une société de l’efficience, l’idée même de l’existence et de la gravité de ces moments de souffrance psychique devient presque devient presque inacceptable,inacceptable, et le refus actif de ce continuum entre « l’homme sain » et « l’homme malade psychiatrique » participe probablement au rejet et à la stigmatisation de l’hôpital psychiatrique, ce lieu qui accueille une souffrance dont on souhaiterait peut-être nier l’existence en 2015. Ceux qui s’y trouvent seraient donc très différents de « nous », dangereux, menaçants et nécessiteraient ainsi la contrainte et l’enfermement.
L’hôpital psychiatrique contemporain est pourtant très différent de cette caricature réductrice : s’il est vrai qu’il est parfois le lieu où l’on contient l’agitation, le désordre et la violence, il est surtout ce lieu qui soigne et qui tolère les moments de non-fonctionnement, qui accepte et reconnaît l’être souffrant qui ne peut plus répondre aux exigences de l’extérieur. Au fond, l’hôpital psychiatrique semble « inévitable » et c’est heureux, tant il est important qu’existe un lieu capable d’accueillir l’homme « dans tous ses états », un endroit où est tolérée, pour un moment de crise, son inadéquation à notre société. Les soins qui y sont proposés sont souvent complexes et reposent sur l’équipe hospitalière qui est présente, qui discute, qui met en mots, qui métabolise ces trajectoires existentielles souvent chaotiques et qui autorise un moment de discontinuité et de repos dans le flux de l’existence.3 Ces soins sont conduits en visant le partenariat avec le patient chaque fois que son état psychique le permet, ceci dans un contexte aussi peu contraignant que possible, les unités étant en général ouvertes (bien que fermables en cas de besoin). Enfin, l’hôpital est devenu un lieu de soins aigus dans lequel les séjours sont souvent brefs et durent en moyenne trois semaines au cours desquelles on reçoit des soins spécialisés tout en gardant un étroit contact avec les intervenants ambulatoires.
Il est donc important que cette image de l’hôpital soit mieux connue afin que les patients qui y séjournent puissent le considérer comme un lieu de soins utile et complémentaire aux autres approches plutôt que comme le marqueur d’un échec dans leur évolution. Il est aussi important que les partenaires externes, dont font partie aussi bien les médecins généralistes que les organes de justice par exemple, le considèrent comme tel et ne le « prescrivent » donc plus comme une sentence ou un internement, mais comme une chance donnée au patient que sa problématique puisse être abordée sous un angle nouveau dans le cadre d’un partenariat constructif visant le rétablissement de la personne.
Ce que l’on savait déjà
Le nombre de lits psychiatriques a été drastiquement réduit au cours des 40 à 50 dernières années. Et les soins ambulatoires ont été massivement développés.
Ce que cela apporte de nouveau
Les préjugés à l’égard de l’hôpital psychiatrique persistent et il reste souvent considéré comme un lieu d’enfermement et de contrainte, alors qu’il s’est massivement transformé. Il est devenu un lieu de soins dynamique et partenarial dans lequel les patients séjournent pour une période brève dans des unités en grande majorité ouvertes.
Ce que l’on ne sait toujours pas
Le nombre idéal de lits psychiatriques est difficile à définir et dépend de nombreuses variables telles que la disponibilité en alternatives ambulatoires et en soins dans le milieu, l’encadrement familial et son équilibre par exemple.
Les premiers signes de la majorité des troubles psychiques se manifestent durant l’adolescence ou le début de l’âge adulte. Une détection précoce et un traitement adapté améliorent le pronostic clinique et fonctionnel.4 La prévalence des troubles psychiques non traités est importante chez les jeunes adultes. La population étudiante est également concernée, avec une prévalence de troubles psychiatriques élevée et un faible recours aux soins en santé mentale.5,6 Parmi les obstacles identifiés, on relève la méconnaissance de l’offre de soins, des arguments économiques, l’absence de perception du besoin de se traiter, le scepticisme vis-à-vis de l’efficacité des traitements. Ces troubles ont pourtant un retentissement important sur les études.
La consultation psychothérapeutique pour étudiants UNILEPFL, qui fait partie du Service de psychiatrie générale du CHUV, propose des interventions brèves visant à traiter la crise qui amène l’étudiant à consulter et à diagnostiquer les éventuels troubles sous-jacents.7 Cette consultation est organisée de manière à faciliter l’accès des étudiants aux soins : située sur le campus, signalée sur les sites internet de l’UNIL et de l’EPFL, offrant gratuitement une première consultation (financée par l’UNIL et l’EPFL), facilitant la prise de rendezvous par email avec réponse le jour même 5 / 7, cette consultation est de plus trilingue pour répondre à la mobilité croissante dans cette population.
Nous constatons que la majorité des étudiants qui consultent (55 % en 2014) le font en raison de symptômes ayant un impact sur leur capacité à mener à bien leurs études (troubles de la concentration, baisse de motivation, perte d’intérêt, troubles du sommeil). Les autres motifs invoqués sont des difficultés relationnelles (isolement, conflits) ou des difficultés en lien avec les études (remise en question du choix, retard, situation d’échec). L’âge moyen est de 24 ± 5 ans, la majorité sont en mobilité (59 % viennent de l’étranger et 22 % d’un autre canton). Les étudiants en Bachelor consultent plus, proportionnellement à ceux en Master et aux doctorants.
Les jeunes en souffrance psychique se confient tout d’abord à des non-professionnels : amis, famille, personnel encadrant. Ce dernier, personnel administratif ou académique, est sollicité par les étudiants lorsque les difficultés psychiques ont un impact sur le cursus académique. Afin d’améliorer le dépistage et de permettre l’orientation des individus en souffrance auprès des services adaptés, divers programmes de formation pour les professionnels non soignants ont été développés ces dernières années.8 Depuis mars 2014, une formation à l’accueil de l’étudiant en détresse est organisée sur le campus pour le personnel encadrant. A ce jour, 70 participants ont été formés, qui se sentent par la suite mieux armés pour faire face aux situations difficiles auxquelles ils sont confrontés. Donnée par groupes d’un maximum de douze participants, cette formation expérientielle et interactive se déroule en trois parties : a) travail commun à l’élaboration d’une vignette issue de la pratique quotidienne des participants, puis mise en pratique de cette vignette en jeu de rôle ; b) discussion sur les idées reçues en matière de troubles et de soins psychiatriques, sur les signes de détresse psychologique et sur le risque suicidaire et c) présentation du réseau d’aide sur le campus et de l’offre de soins locale et régionale. Les participants peuvent par la suite contacter la consultation au besoin directement par email pour des conseils. Cette formation vient s’ajouter aux diverses mesures visant à faciliter l’accès aux soins pour les jeunes adultes, avec pour objectif une intervention rapide qui leur permette de poursuivre au mieux leur cursus d’étude.
Ce que l’on savait déjà
La majorité des troubles psychiques se déclarent avant l’âge de 25 ans. Les étudiants, de par leur âge et le contexte dans lequel ils se trouvent, sont à risque de développer de tels troubles.
Ce que cela apporte de nouveau
Les études s’intéressant aux raisons pour lesquelles les étudiants en souffrance ne consultent pas montrent l’intérêt de promouvoir des programmes contribuant à la prévention et à la détection précoce. Le personnel encadrant les étudiants est bien placé pour repérer les signes de détresse psychologique, il peut y être sensibilisé.
Ce que l’on ne sait toujours pas
Il s’agit de stratégies récentes dont l’efficacité doit être évaluée. L’impact concret sur l’accès aux soins pour les étudiants d’une meilleure connaissance des signes de détresse psychique par le personnel encadrant n’est pas encore connu.
Plusieurs études ont démontré une prévalence deux à quatre fois plus élevée de problèmes métaboliques et une prévalence environ double de décès dus à un problème cardiovasculaire dans une population de patients schizophrènes par rapport à la population générale. Les maladies cardiovasculaires représentent une des causes principales de l’excès de mortalité chez les patients psychiatriques.9–12 Cet excès de mortalité, associé à une plus grande prévalence de facteurs de risque cardiovasculaires (obésité, dyslipidémie, diabète, hypertension, inactivité physique, tabagisme), est en partie lié à la maladie et aux comportements qui peuvent y être associés (manque d’exercice, alimentation) mais aussi à la prescription de certains psychotropes. Ainsi, des effets indésirables métaboliques sont observés avec la majorité des antipsychotiques atypiques, mais également avec certains antipsychotiques classiques (par exemple : lévomépromazine, zuclopentixol), stabilisateurs de l’humeur (par exemple : lithium et valproate) et / ou antidépresseurs (par exemple : antidépresseurs tricycliques, miansérine, mirtazapine).9–11 Des consensus publiés par différentes sociétés médicales soulignent l’importance d’un suivi des paramètres métaboliques (par exemple : poids, tension artérielle, profil lipidique) lors d’un traitement incluant les psychotropes mentionnés cidessus.9–10 Une directive pour le suivi clinique des patients est en vigueur depuis de nombreuses années au Département de psychiatrie du CHUV pour les patients recevant des psychotropes à risque (www.chuv.ch/psychiatrie/en/dp-uppc-suivi-effets-secondaires-17dec2013.pdf).
L’objectif du travail qui vient d’être publié dans la revue The Journal of Clinical Psychiatry12 était de trouver un facteur prédictif précoce pour une prise de poids importante sous médication psychotrope. Le potentiel prédictif d’une prise de poids à un mois pour une prise de poids à trois et douze mois de traitement a ainsi été évalué dans une cohorte de 351 patients. Une prise de poids > 5 % à un mois s’est avérée être le meilleur prédicteur pour une prise pondérale importante à 3 (> 15 %) et 12 (> 20 %) mois de traitement. Il a été aussi démontré que ce seuil pouvait être utilisé indépendamment des facteurs de risque connus pour une prise pondérale (jeune âge, premier épisode, poids initial faible, prescription de psychotropes à risques, facteurs génétiques,13 etc.).
Cette étude souligne l’importance d’un suivi du poids et des autres paramètres métaboliques à l’introduction ou bien lors d’un changement de psychotropes à risque. Une prise de poids forte et rapide doit être considérée par le prescripteur comme un signal d’alerte indiquant un risque élevé pour une prise de poids importante à long terme, mais également, comme démontré dans l’étude, pour des valeurs plus élevées de triglycérides et plus faibles de HDL-cholestérol. Une attention particulière doit être portée dans la gestion de ces patients en considérant les conséquences des altérations métaboliques sur la qualité de vie, la morbidité et la mortalité. Cette gestion implique d’une part des interventions comportementales (conseils sur l’alimentation et l’activité physique), mais également une évaluation de la possibilité d’un changement de psychotropes en considérant le rapport risques / bénéfices.14
En résumé, la population psychiatrique est à risque élevé pour des troubles métaboliques et un suivi métabolique est indispensable lors de la prescription de psychotropes à risques. Une prise de poids supérieure à 5 % après un mois de traitement est associée à un risque élevé de prise de poids importante à long terme chez des patients adultes. Il reste à déterminer si le même seuil peut être utilisé pour les enfants et adolescents.
Ce que l’on savait déjà
Les neuroleptiques, les stabilisateurs de l’humeur et certains antidépresseurs font prendre du poids.
Ce que cela apporte de nouveau
Les études dont il est question démontrent qu’une prise de poids supérieure à 5 % après un mois de traitement est associée à un risque élevé de prise de poids importante à long terme chez des patients adultes, et qu’il est donc important de suivre l’évolution du poids en début de traitement et de réagir vite si le poids augmente.
Ce que l’on ne sait toujours pas
On ne connaît pas encore de marqueurs biologiques ou génétiques qui permettraient d’identifier les patients à risque de prise de poids avant la mise en route du traitement.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.