Les injections intra-articulaires (IA) font partie de notre arsenal thérapeutique et sont largement utilisées dans la pratique quotidienne. Elles sont utiles lorsqu’il s’agit de traiter une atteinte mono-articulaire comme dans l’arthrose ou des poussées pauci-articulaires d’un rhumatisme systémique. Leur principe est de délivrer le produit actif à proximité du tissu ciblé et ainsi de devoir recourir à une dose inférieure de médicament et de réduire les effets systémiques de ce dernier. Cependant, l’effet local et systémique d’un tel geste est difficilement prévisible, ce qui engendre des controverses sur son indication. Nombreux sont les produits utilisés. Nous nous proposons dans cet article de revoir les spécificités de la membrane synoviale et du liquide synovial en termes de pharmacocinétique, et les effets locaux et systémiques des médicaments injectés par voie IA. Nous décrirons les plus couramment utilisés en rhumatologie. Quelques considérations sur les développements futurs clôtureront le propos.
L’articulation est entourée par le tissu articulaire, la synoviale. La cavité articulaire, en contact avec le liquide articulaire, est bordée de synoviocytes, c’est la membrane synoviale. Cette dernière repose sur un tissu conjonctif composé de matrice extracellulaire riche en collagène et glycosaminoglycanes, au sein de laquelle on trouve un riche réseau de capillaires et de vaisseaux lymphatiques. Cette matrice est entourée d’une capsule fibreuse externe. La cavité articulaire contient, physiologiquement, une petite quantité de liquide synovial visqueux qui est constitué de petites molécules plasmatiques diffusant à travers la synoviale (ultrafiltrat plasmatique) et de protéines sécrétées par les synoviocytes telles que la lubricine et l’acide hyaluronique (AH). Cette membrane est très perméable et permet la diffusion passive de nombreuses substances, y compris des médicaments. Ces derniers, liés ou non aux protéines, pénètrent dans les cellules synoviales ou sont distribués aux tissus environnants, comme le cartilage et l’os, par diffusion, en fonction de la taille des solutés, mais aussi des pressions physiques exercées sur le cartilage et le liquide synovial, lors de la mobilisation et de la mise en charge des articulations.1
La perméabilité de la membrane synoviale s’explique par le fait que la bordure synoviale est très fine et interrompue entre chaque synoviocyte. De plus, les capillaires contenus dans la matrice extracellulaire sont fenêtrés, et laissent donc facilement passer ces substances. De ce fait, il semble que les petites molécules pénètrent et soient rapidement éliminées (minutes / heures) de l’espace IA alors que les grandes, telles les glycoprotéines et l’AH persistent plus longtemps (heures / jours) car elles sont drainées vers le compartiment systémique par les lymphatiques. En cas d’inflammation, les propriétés du liquide synovial se modifient ; il contient des molécules plus grosses car les capillaires sont plus perméables. Il perd sa viscosité car il contient des enzymes produites par les cellules inflammatoires ayant infiltré la synoviale, capables de scinder l’AH. L’accumulation de liquide IA s’explique alors par le délai entre drainage lymphatique et diffusion accrue vers la cavité synoviale de liquide et de protéines à travers les capillaires dilatés.
Dès lors, la demi-vie des médicaments dans la cavité articulaire dépend de leur poids moléculaire, de leurs propriétés biochimiques (lipo ou hydrophile, charge, affinité pour les protéines), de la surface d’absorption mais aussi de la pathologie synoviale, notamment du degré d’inflammation. Les formes dépôt (formulations peu solubles), absorbées plus lentement, augmentent le temps d’action IA d’un médicament.
Les corticostéroïdes (CS) sont certainement les médicaments les plus utilisés en IA. De nombreuses études ont démontré leur efficacité clinique dans la polyarthrite rhumatoïdes (PR), l’arthrose, les arthrites microcristallines et autres rhumatismes. Il existe plusieurs préparations qui se distinguent par leur puissance, la taille des molécules, leur solubilité (tableau 1).
La très grande majorité du produit actif se retrouve éliminée dans les urines en 48 heures, pour la plupart des formes dépôt, mais des traces persistent jusqu’à plus d’une semaine. Leur durée d’action varie toutefois en fonction de la pathologie ciblée,2 mais elle est en général beaucoup plus longue que la demi-vie IA du produit. Dans la PR et les autres rhumatismes inflammatoires, le bénéfice peut persister jusqu’à plusieurs mois (dans le genou, durée > 22 semaines) alors que dans l’arthrose où les phénomènes inflammatoires, principales cibles des stéroïdes sont au deuxième plan, le bénéfice est en général de plus courte durée (dans le genou durée de 3-4 semaines), de moindre magnitude, principalement sur la mobilité et moins sur la douleur.3 La discordance entre effet clinique et demi-vie reste mal élucidée. Elle pourrait en partie être liée à un effet bolus local, responsable de l’arrêt de la cascade inflammatoire.
L’infiltration répétée de CS a été incriminée dans la survenue de lésions du cartilage en raison de cas rapportés de destruction articulaire liée à des injections répétées de hautes doses d’hydrocortisone. Plusieurs études animales ont cherché à comprendre l’impact des CS sur le cartilage. Certaines ont démontré une altération du cartilage par une diminution de la synthèse des constituants du cartilage (acide hyaluronique et protéoglycans), ou une toxicité sur les chondrocytes.4 Ces altérations semblent toutefois peu importantes et réversibles selon une étude plus récente qui met également l’accent sur l’effet toxique des anesthésiques injectés.5 Chez l’homme, l’effet direct des CS est difficile à démontrer. Les papiers qui ont relaté une destruction articulaire – nommée alors « arthropathie de Charcot » – après injection de CS, datent des années 50-60 et rapportaient des infiltrations itératives avec des doses cumulées beaucoup plus importantes que celles utilisées en pratique courante.6
Sur le plan osseux, les injections IA semblent avoir un effet protecteur sur les érosions dans la PR, expliqué par la diminution du RANK Ligand, mais diminuent transitoirement l’activité ostéoblastique en réduisant l’ostéocalcine.7
De nombreuses études ont rapporté des poussées inflammatoires après injection, sous forme de synovite aiguë qui apparaît dans les heures suivant l’injection. Le risque estimé d’infections au site d’injection est de 4,6 / 100 000 injections selon une enquête réalisée chez des rhumatologues.8 On voit par contre plus fréquemment des calcifications intra et périarticulaires, des atrophies et des dépigmentations cutanées ou des ruptures tendineuses.
L’effet de l’absorption systémique des CS injectés dans les articulations dépend de nombreux facteurs. Les taux sériques observés après injection IA sont proches de ceux après injections intramusculaires et l’immobilisation initiale de l’articulation ne semble pas jouer un rôle déterminant. Il en résulte que l’effet clinique n’est pas limité à l’articulation infiltrée.
La diffusion systémique va avoir de plus une influence sur l’axe hypothalamo-hypophysaire. Après infiltration IA, le cortisol basal diminue avec un nadir à 24-48 heures et une récupération en deux à trois semaines. Mais des suppressions allant au-delà de deux mois ont été décrites. Le niveau et la durée de suppression dépendent de la préparation et de la dose.9 Le syndrome de Cushing ne se voit en général que chez des patients qui ont eu des injections répétées. Il se résout habituellement en plusieurs mois à l’arrêt des infiltrations. Comme la dégradation des stéroïdes dépend de certains cytochromes hépatiques notamment du P 450, il a été rapporté chez des patients VIH, traités par ritonavir, puissant inhibiteur enzymatique de ce cytochrome, un syndrome de Cushing suivi d’une insuffisance cortico-surrénalienne après une seule injection.
Le flush est certainement l’effet secondaire le plus fréquent et touche presque la moitié des patients. Des décompensations psychiatriques et des dysphonies avec œdème des cordes vocales sont également assez fréquentes.
Des hyperglycémies se voient en général chez les patients diabétiques avec des hausses significatives de la glycémie entre deux et cinq jours. L’élévation de la TA est habituellement minime et transitoire, surtout avec l’acétonide ou l’hexacétonide de triamcinolone qui n’a pas d’effet minéralocorticoïde.
Le syndrome de Nicolau est une vive douleur au site d’injection associée à une coloration violacée de la peau régressant rapidement et correspondant à l’injection intra-artérielle du produit qui engendre un spasme vasculaire. Le syndrome de Tachon qui survient 1 x / 8000 injections est un malaise environ une minute après l’injection avec douleurs thoraciques ou lombaires intenses, associées à une dyspnée, une sensation de mort subite et qui régresse en 15 minutes dans 85 % des cas. Il pourrait être dû à un passage des cristaux dans la circulation sanguine.7,10,11
Toutes les préparations passent le placenta et ont démontré chez l’animal un effet tératogène. Ainsi, les injections de CS devraient être réduites au minimum chez la femme enceinte et ne pas être administrées dans les trois premiers mois de grossesse. Les CS peuvent couper la lactation.
En pratique, les CS utilisés sont ceux dont les médecins ont le plus l’habitude. Bien que l’efficacité en termes d’amélioration des douleurs et de la fonction entre la méthylprednisolone, l’acétonide de triamcinolone et l’hexacétonide de triamcinolone semble être équivalente, l’hexacétonide de triamcinolone semble avoir une plus longue durée d’action, liée à sa plus faible solubilité. De plus, il a moins d’effets systémiques que les autres préparations.3,7,12
La fréquence des infiltrations, au maximum toutes les trois à douze semaines, est fondée sur l’opinion d’experts, en partie sur les données concernant la suppression de l’axe hypothalamo-hypophysaire.13
L’AH est l’un des composants essentiels du liquide synovial. C’est lui, avec les phospholipides et la lubricin, qui est responsable de la viscosité du liquide synovial, assurant les fonctions de lubrification et d’amortissage des chocs et de milieu de transfert des nutriments et de médicaments au cartilage. Dans une articulation enflammée, il est dépolymérisé, son poids moléculaire diminue et sa demi-vie intra-articulaire est raccourcie passant de vingt à dix heures en moyenne. Ces modifications entraînent une diminution de la viscoélasticité du liquide synovial.
La viscosupplémentation consiste en l’injection d’AH exogène, dans le but de lubrifier l’articulation et de restaurer la viscoélasticité du liquide synovial. L’efficacité de ce traitement est largement débattue, en raison de l’hétérogénéité des produits utilisés. Néanmoins, même avec les produits contenant, en plus du fluide, du gel hautement polymérisé, la demi-vie intra-articulaire n’excède pas un à deux jours, expliquant mal, comme pour les stéroïdes, un effet clinique s’étalant sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. En effet, dans la gonarthrose, plusieurs études ont démontré une efficacité – comparable à celle des AINS –, plus durable (jusqu’à six mois) dans cette pathologie que l’infiltration de CS, avec, en plus, un bon profil de sécurité.14
Les patients plus jeunes avec une arthrose moins avancée auraient un meilleur bénéfice selon certaines études, mais il n’y a pas de preuve que la viscosupplémentation ralentisse la progression de l’arthrose. Différentes méta-analyses concluent néanmoins à un effet global modeste sur les symptômes (douleur et fonction) et suggèrent une importante composante placebo.15 Ces produits ne sont pas considérés comme des médicaments et ne sont pas remboursés par les caisses maladie en Suisse.
L’effet secondaire le plus fréquent de ces infiltrations, touchant 1 à 3 % des patients, est une arthrite aiguë pseudo-infectieuse, qui semble davantage liée à l’injection des molécules de plus grande taille.
L’injection d’AH semble donc une alternative envisageable dans le traitement de l’arthrose débutante ou chez les patients chez lesquels les autres traitements sont contre-indiqués.
Les plaquettes sont des cellules anucléées contenant de nombreux facteurs de croissance qui jouent un rôle important dans les processus de réparation et possèdent des propriétés anti-inflammatoires. Il existe plusieurs types de préparation de PRP, aboutissant à des produits très différents en termes de contenu plaquettaire, leucocytaire et de support fibrinaire. La fibrine joue un rôle important dans la persistance de ces facteurs au sein de l’articulation. Le PRP a surtout été utilisé dans les pathologies abarticulaires mais a montré également des effets positifs sur la douleur et la fonction dans la chirurgie du cartilage et dans l’arthrose débutante. Comparativement à l’AH, l’effet du PRP, malgré un temps de rétention IA limité à quelques jours au mieux, semble plus important et de plus longue durée (jusqu’à douze mois). Cependant, celui-ci paraît davantage lié aux propriétés anti-inflammatoires que régénératrices sur le cartilage ; on n’a d’ailleurs pas pu démontrer jusqu’à présent un ralentissement de l’évolution de l’arthrose.16–18
L’utilisation de PRP est donc en plein essor et pourrait devenir une seconde alternative intéressante dans le traitement de l’arthrose. Des études de confirmation sont nécessaires, car il persiste des questions sur son efficacité réelle dans les lésions structurelles, sur la meilleure formulation du produit, l’utilisation d’activateurs et le nombre d’injections requises.
La toxine botulinique de type A pourrait produire un effet analgésique en agissant par voie rétrograde sur les neurones nocicepteurs. Dans plusieurs études, elle a été démontrée comme bénéfique sur la douleur chez des patients avec arthrose non opérables.19,20
La radiosynoviorthèse consiste à injecter dans l’articulation des radionucléides sous forme de colloïdes à forte émission radioactive , capables de pénétrer dans la synoviale sur une profondeur de quelques millimètres (10 pour l’Yttrium 90 utilisé dans le genou). L’effet du rayonnement s’estompe en 48 à 72 heures. La grande majorité du produit reste au lieu d’injection bien qu’une très faible partie puisse se retrouver dans les ganglions inguinaux, d’où la contre-indication relative de cette technique pour les patients en âge de procréer et les précautions d’immobilisation de l’articulation pendant 48 heures et d’injection conjointe de CS (diminution de l’inflammation et de la clairance lymphatique du radio-isotope). L’efficacité a surtout été démontrée dans les rhumatismes inflammatoires. Actuellement, la synoviorthèse continue à être pratiquée dans les services universitaires de rhumatologie. Elle est réservée à des cas d’épanchement récidivants ne cédant pas aux stéroïdes.21
Les agents biologiques utilisés par voie systémique dans les rhumatismes inflammatoires (anti-TNF, anti-IL1) ont été testés par voie IA.22 Comme il s’agit de protéines solubles, elles diffusent rapidement à travers la membrane, de sorte que leur effet est autant systémique que local. Les quelques études ayant testé cette approche n’ont d’ailleurs pas réellement démontré de bénéfices par rapport à la voie systémique.23
Dans l’arthrose, les premiers essais sur l’homme avec des facteurs de croissance, produits par voie biologique, comme le recombinant human growth factor injecté de manière répétée dans la cavité articulaire semblent avoir un effet structural intéressant sur le cartilage. Plusieurs autres substances biologiques visant à augmenter le métabolisme du cartilage et à favoriser sa réparation ont déjà démontré une efficacité structurelle dans des modèles d’arthrose chez les animaux.24
Comme décrit ci-dessus la principale limitation à l’utilisation des injections IA est souvent la courte persistance du produit actif au sein de l’articulation. De nombreuses recherches en cours, tant chez l’animal que chez l’homme, visent à augmenter le temps de rétention IA. Plusieurs approches sont en cours d’évaluation comprenant : les liposomes, les microsphères, les biogels, les micro ou nanoparticules. Ces dernières peuvent cibler les tissus en fonction de leur taille, par exemple en étant phagocytées par la membrane synoviale. Elles peuvent ainsi pénétrer dans les macrophages du tissu conjonctif (subsynovium) et même entrer par convection dans la matrice du cartilage. Les microparticules restent dans le liquide synovial, adhèrent au cartilage ou sont emprisonnées dans les franges synoviales. Les substances actives sont ensuite relarguées dans le liquide synovial puis diffusent dans les vaisseaux sanguins, les lymphatiques et les différents tissus.24,25
Mais ces nouvelles approches ne sont pas sans danger. En fonction de la taille (entre 1 et 20 µm), les nanosphères peuvent induire une réaction inflammatoire qui contribue à une perte des protéoglycans du cartilage. Des réactions à corps étrangers et de fibrose ont également été décrites avec des particules de plus grande taille.
Compte tenu de leur efficacité, les CS restent les médicaments de choix dans le traitement IA des arthrites inflammatoires. Ils peuvent être utilisés dans l’arthrose, mais en raison d’un meilleur profil de sécurité, l’acide hyaluronique pourrait leur être préféré pour les patients polymorbides. Dès lors que les méthodes d’obtention du PRP seront mieux validées et si les études à venir confirment son efficacité, ce sera une excellente alternative dans l’arthrose, du fait de sa bonne tolérance. Par ailleurs, nous allons sûrement voir arriver différents médicaments sous des formes qui permettront d’augmenter leur rétention articulaire.
Les bénéfices des traitements IA dépassent largement leurs inconvénients. Lors de toute injection IA, il est important d’avertir les patients des effets secondaires potentiels et de leur donner les recommandations qui s’imposent pour y faire face.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les infiltrations intra-articulaires sont utiles en pratique clinique
▪ Les corticostéroïdes sont surtout efficaces dans les arthrites inflammatoires, mais peuvent être bénéfiques dans les articulations arthrosiques
▪ Les effets secondaires principaux des corticostéroïdes sont un flush du visage, une dysphonie, des troubles du sommeil et une élévation transitoire de la glycémie
▪ Dans l’arthrose, l’acide hyaluronique et le plasma riche en plaquettes peuvent être envisagés comme options thérapeutiques