En 2015, 37 millions de personnes vivent avec le VIH, 2 millions de personnes à travers le monde ont été nouvellement infectées et 1,2 million de personnes sont décédées des suites du sida.1 La prévalence du VIH en Suisse est de 20 000 personnes environ, avec 529 nouveaux diagnostics en 2014.2 L’OMS estime à 15 millions le nombre de personnes qui bénéficient d’un traitement antirétroviral.
Au vu de la persistance de nouvelles contaminations, de l’épidémiologie mondiale actuelle, l’effort mis pour le développement de nouvelles stratégies de prise en charge des différents aspects de l’infection à VIH reste plus que jamais indispensable. L’OMS a récemment publié des recommandations sur les modalités de prise en charge des personnes séropositives pour le VIH3 afin d’atteindre l’objectif global 90-90-90 fixé en 2014 : 90 % de patients infectés par le VIH sont diagnostiqués, 90 % d’entre eux reçoivent un traitement adapté et 90 % atteignent une virémie VIH inférieure aux seuils habituels de détection.
Afin de mieux caractériser les écarts qui subsistent à chaque étape de la prise en charge, de nombreux pays ou régions se sont attachés à établir ce qui a été ensuite appelé la « cascade de soins » ; cette cascade a été dessinée en Suisse dans un article récemment publié ;4 elle peut donc être chiffrée selon le schéma de la Figure 1. Il est intéressant de constater que, même en Suisse, seuls 68 % des 15 000 à 20 000 individus vivant avec le VIH ont une charge virale indétectable, reflétant la prise d’un traitement efficace.
Dans cet article, nous aborderons les nouveautés liées aux stratégies de prévention, celles liées au dépistage ainsi que les différents aspects liés à la prise en charge des patients infectés ; nous verrons à quel point l’utilisation des antirétroviraux a bouleversé la pratique actuelle, devenant aussi indispensable dans les stratégies préventives que dans le traitement de toutes les phases de l’infection.
La PreP (Pre Exposure Prophylaxis), ou la prophylaxie préexpositionnelle, est une stratégie de prévention de l’acquisition du VIH. Plusieurs études ont montré l’efficacité d’un traitement antirétroviral oral préventif chez des patients non infectés par le VIH et faisant partie de groupes dits à risque. La prophylaxie consiste en l’administration d’une ou de deux molécules antirétrovirales (ténofovir seul, ou en combinaison avec l’emtricitabine) chez des personnes séronégatives dont le comportement laisse présager un haut risque d’acquisition du VIH. La prise peut être continue et quotidienne, ou précéder un rapport sexuel à risque.
En 2012 déjà, le Truvada (ténofovir/emtricitabine) a été approuvé par la FDA pour l’utilisation préventive pour les catégories de personnes à risque substantiel d’acquisition du VIH, à savoir les catégories de population avec une incidence de VIH attendue de plus de 2 % par année. Ces groupes à risque diffèrent bien entendu selon les endroits du globe : en Europe, on retrouve notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), ou encore les personnes en situation de sexualité vulnérable, dans un contexte de prostitution par exemple.
De nombreux essais randomisés, incluant plus de 18 000 patients à ce jour, ont démontré la sécurité d’emploi, mais aussi l’efficacité de l’utilisation du ténofovir seul ou en association à l’emtricitabine pour réduire le nombre de nouvelles infections VIH au sein de populations cibles. Ces essais ont montré une diminution du risque allant jusqu’à 75 %,5 avec une disparité dépendant principalement du niveau d’adhérence. Dans les études avec des niveaux d’adhérence > 70 %, on constate une réduction du risque d’acquérir le virus de 70 %, tandis qu’avec des niveaux d’adhérence de 40-70 % et < 40 %, la réduction n’est respectivement plus que de 45 et 5 %.6 Le tableau 1 donne un aperçu des principales études concernant la prophylaxie préexpositionnelle. Elles portent sur différentes catégories de population à risque, notamment des HSH, des personnes transgenres, mais également des couples hétérosexuels sérodiscordants essentiellement dans des régions endémiques (Afrique subsaharienne).
L’utilisation d’autres molécules antirétrovirales que celles précitées, ainsi que d’autres modes d’administration sont également à l’étude.7 Ainsi, l’utilisation d’antirétroviraux à longue durée d’action administrés sous forme parentérale aurait l’avantage d’augmenter l’adhérence en éliminant la contrainte d’une prise quotidienne. Sous cette forme sont notamment étudiés la rilpivirine LA (inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse à longue durée d’action) et le cabotégravir (inhibiteur de l’intégrase), qui ont étés testés dans des modèles animaux et dans des premières phases d’étude chez l’homme (phase II).
Cette stratégie préventive est maintenant préconisée dans de nombreuses recommandations internationales. L’OMS recommande que la PrEP orale à base de ténofovir soit proposée comme une méthode de prévention additionnelle chez les patients avec un risque substantiel d’infection pour le VIH. Les nouvelles directives européennes (EACS 2015) recommandent également que la PreP soit prescrite chez des personnes à risque substantiel d’acquisition du VIH.8
Il n’existe à ce jour pas de recommandations officielles pour la Suisse ; la prescription de molécules à but de prophylaxies préexpositionnelles en Suisse reste hors recommandation de mise sur le marché (off label) et donc sous la responsabilité du médecin prescripteur. Elles ne sont pas remboursées par les caisses maladie.
L’offre de dépistage diversifiée et efficace est une mesure incontournable dans la lutte contre la pandémie. Un dépistage précoce permet de diminuer la morbidité, la mortalité ainsi que les coûts engendrés pour le système de santé. En suisse, 30 % des diagnostics sont effectués à un stade avancé (CD4 < 200/mm3) et seuls 20 % des nouveaux diagnostics sont faits au stade de la primo-infection.9
L’OFSP a émis depuis 2007 des directives pour le dépistage dans les cabinets médicaux, les centres de soins ambulatoires, les services d’urgences et les hôpitaux afin d’augmenter le nombre de dépistages initiés par les médecins. Il s’agit du Provider Initiated Counseling and Testing (PICT), qui est donc un test VIH où entretiens/conseils sont réalisés à l’initiative des médecins dans des situations prédéfinies. Ces directives, mises à jour en mai 2015, sont résumées dans le tableau 2.
En Suisse, les tests de dépistage peuvent être effectués par tous les médecins diplômés, et par des cliniques ou des centres anonymes de dépistage. Toutefois, l’ordonnance du 17 octobre 2001 sur les dispositifs médicaux10 interdit la pratique du dépistage rendu accessible au public pour les maladies transmissibles. Ce n’est pas le cas en France, où l’autotest (ou test VIH à faire à domicile) a fait son apparition dans les pharmacies depuis le 15 septembre 2015.
L’autotest VIH mis en vente en France est fait sur sang capillaire (lancette) et repose sur la détection des anticorps anti-VIH-1 et 2 (mais pas l’antigène p24) ; sa sensibilité est, selon le fabriquant, de 100 % et sa spécificité de 99,8 %11 lorsqu’il est correctement utilisé. Son coût est de 25 euros, soit environ la moitié du coût d’un test de dépistage rapide pratiqué aux HUG (CHF 55.–). Comme tous les tests de diagnostics rapides, un test positif se doit d’être confirmé par un test Elisa dans un laboratoire de référence.
Parmi les avantages des autotests, on retient bien sûr le dépistage de populations qui ne viendraient pas se faire dépister dans la constellation de l’offre actuelle, ou qui nécessitent des tests fréquents ; le délai minimal après une prise de risque est toutefois de trois mois, pour ne pas être dans la fenêtre de séroconversion durant laquelle un résultat négatif pourrait se révéler faussement rassurant. Son principal désavantage réside dans l’absence de conseil immédiat au moment du diagnostic et leur pratique au domicile ne permet pas forcément de relier le patient au système de soins.
Le traitement antirétroviral, qui permet notamment de diminuer la transmission mais également de réduire la morbi-mortalité liée au virus, est l’élément central de toutes les stratégies de contrôle de l’épidémie et de ses conséquences. Pour la première fois depuis 2006, l’ensemble des recommandations internationales se sont alignées sur une seule règle : traiter toutes les personnes infectées, quel que soit le stade de l’immunosuppression mesurée par le compte de CD4.
Deux essais randomisés, publiés en juillet 2015, ont démontré, avec un niveau de preuves incontestable, un bénéfice individuel à l’initiation d’un traitement antirétroviral chez les patients asymptomatiques, même avec un taux de CD4 > 500/mm3. L’étude START12 a observé une diminution globale des événements classant sida et non sida de 62 et 39 % chez les patients qui avait bénéficié d’un traitement antirétroviral précoce. Malgré une différence statistiquement non significative, d’autres événements comme les lymphomes, la tuberculose ou encore les sarcomes de Kaposi étaient également moins fréquents dans le groupe ayant bénéficié d’un traitement immédiat. L’étude TEMPRANO13 a confirmé cette tendance. Dans cette vaste étude randomisée réalisée en Côte-d’Ivoire, incluant 2056 patients avec des CD4 ≤ 800/mm3, les résultats ont montré un risque de décès et de maladies sévères liés au VIH diminué de 44 et 35 % chez les patients ayant bénéficié respectivement d’un traitement antirétroviral immédiat seul ou associé à l’isoniazide.
L’OMS et la Société européenne du sida (EACS) ont donc publiécette année de nouvelles recommandations14 pour un traitement universel de toutes les personnes avec un diagnostic d’infection VIH, et ce indépendamment de leurs taux de CD4 (tableau 3).
Les traitements antirétroviraux sont actuellement simples, efficaces, et le taux de succès en première ligne dépasse les 90 % chez les patients infectés par le VIH. Dans la grande majorité des cas, le premier traitement prescrit ne comporte qu’un seul comprimé, en une prise quotidienne. Avec l’augmentation de l’espérance de vie des patients, la durée d’exposition plus longue aux traitements antirétroviraux, l’absence de perspective à court terme de guérison, en raison également des fréquentes comorbidités, le besoin de nouvelles molécules persiste.
Depuis mai 2014, les molécules suivantes ont été validées par Swissmedic : un nouvel inhibiteur de l’intégrase avec le dolutégravir, ainsi que l’association du dolutégravir avec l’abacavir et la lamivudine en un seul comprimé. Les différentes possibilités pour le traitement de première ligne d’après les nouvelles recommandations 2015 de l’EACS sont résumées dans le tableau 4.
Parmi les médicaments en cours de développement, on retiendra le ténofovir alafénamide (TAF), en phase III d’essai clinique ; il s’agit d’un promédicament dont la métabolisation intracellulaire libère le principe actif, diminuant ainsi la concentration plasmatique de près de 90 %.15 Une réduction des effets indésirables rénaux et osseux est le principal bénéfice attendu, en comparaison avec le ténofovir disoproxil fumarate (TDF) qu’il est appelé à remplacer.
Plusieurs autres molécules sont actuellement en cours de développement et sont résumées dans la Figure 3.
La recherche de formulations innovantes et plus efficientes est intéressante à plus d’un titre ; la meilleure dissolution, et donc la meilleure biodisponibilité du principe actif, permet d’en diminuer la dose, et donc le coût. De plus, l’utilisation de ces particules afin de les administrer à des sites spécifiques (par exemple, système nerveux central, organes lymphoïdes, tube digestif) est prometteuse.16 Ces développements sont encore à leur début, avec quelques études sur l’administration de molécules à longue durée d’action sous forme injectable en phase II.
La lutte contre le VIH nécessite encore des efforts à tous les niveaux de la prise en charge : de la prévention à la recherche clinique qui permet de développer de nouvelles molécules pour le traitement et la prévention de l’infection. Le nombre persistant de nouvelles infections à travers le monde malgré les efforts consentis nous rappelle la nécessité de poursuivre ces efforts et de constamment réfléchir à de nouvelles stratégies, notamment pour atteindre l’objectif de l’ONUSIDA d’éradication de l’épidémie en 2030.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Dans la prise en charge du VIH, avec les nouveautés 2015 on pourra retenir que :
▪ La prophylaxie préexpositionnelle est actuellement recommandée par l’OMS comme moyen de prévention de l’infection VIH pour certaines catégories de la population dont le risque d’infection est supérieur à 2 %, et cela suite aux résultats de nombreuses études à grande échelle. Cependant, la prescription d’une telle prophylaxie reste off-label en Suisse
▪ Le dépistage, en Suisse, reste régi par les directives de l’OFSP, avec le Provider Initiated Counseling and Testing (PICT) qui encourage les dépistages initiés par les médecins en fonction notamment des symptômes et pathologies évocateurs. De nouvelles méthodes pour augmenter l’accès au dépistage existent dans les pays voisins, en France notamment, et permettraient d’élargir l’accès au dépistage aux personnes qui « échappent » aux méthodes habituelles
▪ Le traitement antirétroviral est, suite aux conclusions notamment de l’étude START, recommandé de manière universelle chez tous les patients infectés par le VIH
▪ Les inhibiteurs de l’intégrase occupent une place préférentielle dans le traitement de première ligne