Un homme de 67 ans vous demande, lors de son check-up annuel, un « contrôle de sa prostate » ; il est anxieux car son frère vient de se faire enlever celle-ci suite à un diagnostic de cancer de cet organe. Votre patient n’a aucun problème mictionnel et est en très bonne santé. Au toucher rectal, la prostate est peu augmentée de volume, lisse, souple, symétrique, sans aucune induration suspecte.
Vous hésitez à en faire plus car vous vous souvenez de la remise en question, en 2012, de l’opportunité de dépister précocement une telle tumeur.1 Par ailleurs, l’un de vos patients a récemment subi des biopsies prostatiques pour suspicion de cancer, heureusement négatives ; il a souffert cependant d’une septicémie dans les suites immédiates de ces biopsies. Il lui a néanmoins été conseillé de répéter cet examen dans les six mois, en raison du risque de faux négatif de l’ordre de 20 %.
Il a été démontré, il y a deux ans, que le dépistage de masse du cancer de la prostate n’est pas rentable, sur la base notamment d’une étude européenne multicentrique randomisée (European Randomized study for Screening of Prostate Cancer – ERSPC) regroupant plus de 180 000 patients.2 En résumé, il fallait traiter près de 40 patients dont le dépistage s’était avéré positif pour sauver une vie. Ce résultat est principalement lié au fait que près de la moitié des cancers de la prostate sont indolents et surviennent chez l’homme âgé. Ainsi, lorsqu’on s’aventure dans un processus diagnostique de cancer de la prostate, il faut toujours avoir à l’esprit la perspective suivante : si on découvre une tumeur, le patient risque-t-il de mourir avec ou à cause de celle-ci ? La détection précoce reste cependant, comme de principe en oncologie, la meilleure opportunité de mettre en évidence un éventuel cancer au stade localisé et de le guérir, plutôt que d’attendre que des métastases provoquent des symptômes et soient le prélude d’une issue défavorable. Pour le cancer de la prostate, ceci a été démontré dans une population suédoise de 20 000 sujets, au sein de laquelle traiter douze hommes dépistés précocement sauve une vie.3
Par ailleurs votre patient, dont la santé est excellente, a plus de quinze ans d’espérance de vie,4 et fait donc potentiellement partie de la sous-population diagnostiquée susceptible de mourir à cause du cancer. Qui plus est, il porte un facteur de risque familial, ce qui l’expose évidemment à un diagnostic positif.
Il est donc légitime de lui expliquer les bénéfices d’une détection précoce et, s’il est d’accord, de doser son PSA sanguin.
Les progrès récents de l’IRM et de l’échographie tridimensionnelle ont permis, ces deux dernières années, de diminuer le nombre de biopsies prostatiques inutiles, fréquentes auparavant. L’IRM permet désormais de localiser avec précision et d’identifier des nodules prostatiques dont le risque de cancer peut être quantifié.5 En employant un logiciel spécifique, ces séquences peuvent être fusionnées avec l’échographie tridimensionnelle transrectale de la prostate qui guide la réalisation des biopsies. Celles-ci peuvent désormais être ciblées sur les nodules à haute suspicion de malignité.6 Ainsi, grâce à ces progrès d’imagerie, le rendement de biopsies prostatiques réalisées pour un PSA entre 4 et 10 ng/ml a passé de 20-25 %7 à près de 60 %, sans augmenter le taux de diagnostics de tumeurs cliniquement non significatives.6,8 Inversement, s’il n’y a pas de nodules significativement suspects de tumeur à l’IRM, on peut renoncer aux biopsies et suivre semestriellement le PSA sanguin.
Le risque de prostatite postbiopsie est de l’ordre de 2-4 %, et peut être limité en recherchant préalablement, par frottis anal, des souches d’entérobactéries productrices de BLSE (bêtalactamases à spectre largi), ce qui permet d’adapter la prescription antibiotique péribioptique.
Le score de Gleason est le principal facteur pronostique du cancer de la prostate. Il est quantifié sur une échelle de 2 à 10, cette dernière valeur indiquant la malignité la plus élevée. Un score de Gleason de 6 sur 10 témoigne d’une tumeur peu agressive, ce qui est bien corrélé avec le PSA qui est resté inférieur à 10 ng/ml. Ce patient fait donc probablement partie de cette moitié des cancers de prostate qui sont relativement indolents. La normalité du toucher rectal, le score de Gleason et son taux de PSA le classent dans la sous-population qui pourrait bénéficier d’une surveillance active. Il n’est finalement pas éligible car le nombre de biopsies positives est trop élevé (> 2). Par contre, seul le lobe gauche est concerné.
Classiquement, ce sont les traitements de choix selon les guidelines. La prostatectomie radicale robotisée da Vinci a désormais fait ses preuves tant sur le plan oncologique que fonctionnel en comparaison avec la chirurgie ouverte, qu’elle supplante également nettement en termes de mini-invasivité.9 Toutefois, la tumeur étant peu agressive (Gleason ≤ 6, PSA ≤ 10 ng/ml), et n’intéressant de surcroît qu’un seul des deux lobes de la prostate, une nouvelle option plus sélective et mini-invasive est récemment devenue disponible, sous forme de traitement focal. Celui-ci peut être administré en employant des ultrasons focalisés à haute intensité (HIFU), associés à une résection endoscopique de la prostate s’il y a un prostatisme associé (dans la moitié des cas environ). Les patients bénéficiant de cette option sont suivis selon des protocoles qui visent à valider à longue échéance l’efficacité de la méthode. Contrairement à la radiothérapie, il n’y a pas de dose limite à long terme, ce qui permet de répéter les séances si nécessaire. Ce traitement ne coupe également aucun pont quant à l’indication future à une prostatectomie radicale, ainsi qu’à une radio ou une cryothérapie. La mini-invasivité du traitement du cancer de la prostate par ultrasons à haute intensité se caractérise également par sa faisabilité en ambulatoire sous anesthésie locorégionale.10