Identifier tôt une maladie pour intervenir précocement et améliorer son pronostic est un concept immédiatement compréhensible. Appliqué aux individus asymptomatiques, ce concept s’appelle un dépistage, et devient en fait un geste complexe. Ceci contraste avec le test de dépistage qui est en général simple.
Le programme de dépistage est une intervention complexe dans les populations humaines, qui va du recrutement des personnes à dépister jusqu’à la prise en charge des malades. C’est le médecin, praticien hospitalier ou ambulatoire, praticien de premier recours ou spécialiste, qui est souvent en première ligne pour affronter cette complexité.
Durant les décennies à venir, le domaine des dépistages verra son importance croître encore, avec de nouvelles propositions de pathologies à dépister, de nouveaux tests facilement accessibles (tests génétiques, par exemple), ou de nouvelles techniques de décision (celle de la décision partagée, par exemple). Dans ce contexte, il est important de se limiter à faire ce que l’on sait, et surtout de ne pas faire ce que l’on ne sait pas.
S’il est communément admis qu’un traitement ne peut être prescrit sans preuve d’efficacité, il est moins usuel de ne considérer un dépistage que s’il a montré une preuve formelle d’efficacité. La prescription, sans preuve d’efficacité, d’un bêtabloquant ou d’un dosage de PSA, relève de logiques différentes. Certains ne retiennent du dépistage que le test, c’est-à-dire une mesure en général simple, inoffensive, bon marché, ce qui conduit à penser que dépister « est mieux que de ne rien faire ». Les risques liés au test de dépistage et, au-delà, au programme de dépistage (par exemple : dysfonctions sexuelles et urinaires liées à la prostatectomie, anxiété liée aux faux positifs) sont en général peu perceptibles. Le dépistage entraîne toujours des faux positifs et des faux négatifs. Il est toujours utile de paraphraser J. A. Muir Gray et A. E. Raffle : « Tous les programmes de dépistage font du mal. Certains font aussi du bien. Parmi ceuxlà, certains font plus de bien que de mal à un raisonnable coût ».
On rappellera par exemple que les cas de maladies diagnostiqués dans le cadre d’un dépistage ne sont pas identiques à ceux diagnostiqués durant la phase symptomatique. Les différences portent autant sur l’histoire naturelle que la réponse aux traitements. Une conséquence importante en clinique est que les connaissances disponibles pour un type de cas ne sont pas forcément applicables à l’autre type. Le biais de surdiagnostic est un cas extrême du biais de sélection pronostique. Certaines lésions diagnostiquées dans le cadre d’un dépistage ne se seraient jamais manifestées cliniquement en l’absence de dépistage parce qu’elles n’évoluent que très lentement, voire pas du tout. Un certain nombre d’individus sont donc inutilement traités parce qu’on a diagnostiqué une condition non évolutive. Toutes les maladies chroniques dégénératives présentent une certaine proportion de lésions dormantes. Dans la plupart des dépistages, il n’existe actuellement pas de méthodes permettant de différencier les lésions dormantes de celles qui se manifesteront cliniquement.
L’existence d’une phase préclinique dans l’histoire naturelle d’un processus pathologique est également centrale dans la théorie du dépistage. L’un des paradigmes centraux mérite d’être défini : le temps de devancement. Il s’agit de l’intervalle entre le moment de la détection d’une condition par dépistage et celui du diagnostic suite à une symptomatologie d’appel. Etablir un temps de devancement est un objectif du dépistage, qu’il ne faut pas confondre avec le biais de temps de devancement : ce dernier est une erreur systématique sur la mesure de l’efficacité du dépistage.
D’une façon générale, parce que le dépistage s’adresse à des individus qui n’ont rien demandé, le prestataire doit a minima : a) informer le participant des risques et des bénéfices du programme de dépistage, depuis le test de dépistage jusqu’à l’éventuelle intervention ; b) assurer le suivi des participants testés positifs et c) soutenir les individus qui développent la maladie malgré le dépistage ainsi que les faux positifs.
Pour faire ce que l’on sait, les raisonnements nosologiques qui fondent les principes du dépistage, en particulier les caractéristiques épidémiologiques des maladies dépistables et les caractéristiques du test de dépistage, doivent être compris. D’autre part, la notion de programme de dépistage ainsi que les mesures de l’efficacité doivent être maîtrisées. Ceci, que l’on parle du cancer du poumon ou de l’anévrisme de l’aorte abdominale.