L’oncologue pédiatre traite les patients avec des maladies malignes de la première année de vie jusqu’à l’âge de vingt ans environ (TYA : Teenagers and Young Adults). Dans ces groupes d’âge, les types de néoplasies malignes sont fondamentalement différents de ceux rencontrés à l’âge adulte. Un tiers des maladies malignes de l’enfant est constitué par les leucémies lymphoblastiques ou myéloïdes aiguës, suivent les tumeurs du système nerveux central, les lymphomes malins (hodgkiniens et non hodgkiniens), puis viennent les tumeurs embryonnaires comme le neuroblastome ou le néphroblastome (tumeur de Wilms), les sarcomes osseux (ostéosarcome et sarcome d’Ewing) et des parties molles (rhabdomyosarcomes et autres), les tumeurs germinales malignes et finalement les tumeurs malignes du foie (hépatoblastome, carcinome hépatocellulaire) et de la rétine (rétinoblastome). Les carcinomes, qui occupent de loin la première place chez l’adulte, sont exceptionnels en pédiatrie.
D’autre part, si la moyenne d’âge des adultes au moment du diagnostic est de 63 ans environ, elle est de cinq ans environ chez l’enfant. Ceci signifie d’une part, que la maladie apparaît alors que l’organisme est en pleine croissance et en plein développement et que, une fois guéri, le patient a l’entier de son existence devant lui : scolarité, choix d’une profession, vie de couple, santé générale.
L’oncologie pédiatrique a fait d’énormes progrès dans les 60 dernières années. Grâce aux avancées thérapeutiques réalisées dans le contexte de la recherche clinique appliquée, et sur une base multicentrique et internationale, plus de 80 % des cancers pédiatriques peuvent maintenant être guéris. Nous faisons donc face à une population grandissante de jeunes adultes guéris d’un cancer dans leur enfance. On estime qu’en Suisse, comme dans les autres pays occidentaux, un jeune adulte sur 500 est actuellement un tel « survivant ». Il est donc devenu essentiel, non seulement de guérir, mais de guérir avec le moins d’impact possible sur la santé et la qualité de vie à long terme de ces patients.
De grandes études de cohorte,1 autant aux Etats-Unis qu’en Europe et en Suisse, montrent qu’environ deux tiers de ces survivants présentent un problème de santé, sérieux pour au moins la moitié et potentiellement fatal pour environ 5 à 10 % d’entre eux. Les patients guéris présentent une surmortalité liée essentiellement au développement de seconds cancers2 et aux pathologies cardiovasculaires (cardiomyopathies et insuffisance cardiaque congestive, infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux). Le spectre des autres pathologies à long terme couvre quasiment l’ensemble de la médecine interne : syndrome métabolique, ostéopénie, déficits endocriniens, troubles neuropsychologiques, cognitifs, neurosensoriels (ouïe, vision), problèmes dentaires (émail), syndrome restrictif ou troubles de la diffusion au niveau pulmonaire, problèmes rénaux (glomérulaires et / ou tubulaires), surpoids ou l’inverse, problèmes orthopédiques, etc. Evidemment, le type de séquelles dépend du traitement oncologique effectué (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), en particulier des champs et des doses de radiothérapie ainsi que du type et des doses de cytostatiques engagées. L’âge, parfois le sexe, ainsi que des facteurs génétiques modulent bien souvent autant l’âge d’apparition que la sévérité de ces complications à long terme.
Il est donc essentiel de bien organiser le suivi de ces patients à l’âge adulte. La transition3 de la médecine de l’enfant à celle de l’adulte n’est pas réglée de façon optimale actuellement dans notre pays, ceci non seulement pour les patients oncologiques, mais pour tous ceux avec une maladie chronique. Toutefois, elle est plus compliquée en oncologie car, si le diabétique pédiatrique sera dirigé vers un endocrinologue-diabétologue adulte, ou un adolescent avec mucoviscidose vers un pneumologue adulte, le survivant d’un cancer pédiatrique ne nécessite (et ne souhaite !) bien souvent pas se faire suivre par un oncologue adulte. Le rôle du médecin généraliste est ici évident ! Il sera à même de suivre son patient de façon globale, sur le plan de la médecine interne, mais aussi des aspects psychologiques et d’intégration socioprofessionnelle. Une récente étude réalisée en Suisse4 a démontré que ce modèle du médecin généraliste est plébiscité par 47 % des survivants d’un cancer de l’enfant.
Pour que ce modèle fonctionne, il faut que les médecins de famille connaissent la problématique et soient informés des examens à effectuer dans le suivi. Différentes guidelines ont été publiées et sont régulièrement mises à jour (par exemple : www.survivorshipguidelines.org). D’autre part, l’Europe et la Suisse introduiront, en 2016 ou 2017, le Survivorship Passport, un guide pour le suivi à long terme individualisé de chaque personne guérie d’un cancer de l’enfant. Ce projet est mené dans notre pays par un groupe de professionnels sous le chapeau de Cancer de l’enfant en Suisse (www.kinderkrebs-schweiz.ch).
▪ Les cancers de l’enfant et de l’adolescent sont guérissables dans plus de 80 % des cas
▪ Deux tiers des patients guéris développent des effets à long terme du traitement, sévères pour la moitié d’entre eux
▪ Un suivi systématique mais personnalisé doit être instauré selon les guidelines publiées et le Survivorship Passport individuel
▪ Les médecins généralistes doivent pouvoir jouer en Suisse un rôle central dans cette prise en charge des adultes guéris d’un cancer pédiatrique