Il y a quelques jours la montagne a tué. Les Deux-Alpes, une piste noire. Un groupe de jeunes élèves, dirigé par un enseignant, franchit la piste alors qu’elle est « fermée par le filet habituel avec des inscriptions en quatre langues ». « Ils ont enjambé ce filet haut d’un mètre, et long de cinquante, expliquera plus tard le procureur de la République de l’Isère. C’est en toute connaissance de cause que le groupe s’est engagé sur cette piste .» Puis une avalanche… deux élèves, âgés de 16 ans, tués ainsi qu’une troisième personne, 57 ans, elle aussi emportée par la même avalanche.
« Au moment de s’engager sur la piste noire, l’enseignant a estimé qu’il pouvait y aller… il a dit en garde à vue qu’il n’avait pas vu le danger » a indiqué une source judiciaire. L’avalanche était-elle une fatalité ? Un skieur roumain s’est présenté à la gendarmerie. Il a expliqué que, juste avant la coulée de neige, un groupe d’une quinzaine de personnes (dont il faisait partie) faisaient du ski hors piste au-dessus de l’endroit où se trouvaient les élèves. Le professeur qui encadrait ce groupe d’élèves a aussitôt été placé en garde à vue avant d’être mis en examen. Deux jours après le drame, les enquêteurs « en savaient un peu plus » sur cet enseignant en Education physique et sportive du collège-lycée Saint-Exupéry de Lyon. Agé de 47 ans, il « venait de sortir d’un séjour en hôpital psychiatrique ». « Il prenait toujours un lourd traitement, notamment des antidépresseurs, ont rapporté les médias. L’enquête pourrait se pencher sur les responsabilités de sa hiérarchie et de l’établissement scolaire. »
La folie, voilà l’ennemie. Eût-on dérogé au secret médical si le professeur était sorti d’un service de gastroentérologie ? Où l’on retrouve, une fois encore, cette contagion émotionnelle si particulière, engendrée par l’idée même de la déraison. C’est le sujet du dernier numéro (novembre-décembre 2015) de « La lettre du Psychiatre » consacré aux rapports entre psychiatrie et médias.1 On pourra notamment y lire la communication de Virginie Gratien, doctorante en sciences de l’information et de la communication (Université Nice-Sophia-Antipolis) – communication intitulée « Le “malade mental”, cet anxiogénique-anxiolytique du politique et des médias ».
Médias, politique et psychiatrie : le cocktail fait recette
Médias, politique et psychiatrie : le cocktail fait recette. On le retrouve dans une étude inédite en France, consacrée à la représentation de la schizophrénie dans les médias ; une étude présentée au dernier « Congrès de l’Encéphale » organisé du 20 au 22 janvier à Paris et dont Le Monde s’est fait l’écho. Intitulée « L’emploi du terme schizophrénie dans la presse française : une information massivement déséquilibrée », cette étude a été présentée par le Dr Yann Hodé, psychiatre au Centre hospitalier Rouffach, Haut-Rhin.
Cette recherche est une initiative de l’Association PromesseS, membre du collectif Schizophrénies, qui regroupe les six principales associations de familles concernées par cette maladie.2 Créée fin 2015, cette association entend parvenir à modifier l’image publique de la schizophrénie – une pathologie généralement perçue comme l’archétype de la grande folie délirante. On ne parle pas (ou très peu) de la schizophrénie-pathologie dans les médias français. Le terme en revanche est fréquemment utilisé dans une acception métaphorique – en premier lieu dans les rubriques traitant de la culture.
L’association a fait analyser l’utilisation des termes « schizophrène » et « schizophrénie » dans huit quotidiens et hebdomadaires français : Libération, Le Figaro, La Croix, Le Parisien, L’Express, Le Point, Paris Match et Le Monde. Réalisée via un logiciel (baptisé « Alceste »), cette recherche a distingué l’usage médical de celui métaphorique dans l’ensemble des articles publiés entre le 1er janvier 2011 et le 31 mars 2015. Les données ont également été étudiées par un sociologue de l’Observatoire de la société et de la consommation (ObSoCo). Il faut encore préciser que l’étude a été financée (à quelles fins ?) par les laboratoires pharmaceutiques Sanofi et Ipsen.
Au final, 1 300 000 articles analysés et 2038 occurrences. L’usage médical est minoritaire (44 % des articles), et assez souvent inadapté. Il apparaît majoritairement dans des articles traitant de littérature ou d’art cinématographique (ce qui serait une spécificité francophone). L’emploi dans un contexte médico-social, scientifique ou judiciaire est moins fréquent. Et dans ces articles, l’ensemble du discours est fréquemment associé à la souffrance, au malheur, et surtout à la violence. La plupart des réalités concrètes de la maladie sont occultées, le propos « ne laisse émerger aucun discours porteur d’espoir », déplore l’Association PromesseS.
Quand il est utilisé dans son sens métaphorique (soit dans presque six articles sur dix), le mot « schizophrénie » désigne alors une contradiction, une ambivalence ou un double discours… assimilant ainsi la maladie à un dédoublement de la personnalité, ce qui est totalement faux. Cet emploi métaphorique trouve son terrain de prédilection dans le contexte politique, avec comme figure de proue pour la période 2011-2015 le président François Hollande. Le Monde apparaît assez emblématique de cette tendance.
« Le mot “schizophrénie” est largement employé mais rarement défini, comme si tout le monde savait de quoi on parle, alors que très peu de gens savent ce que c’est exactement. Il y a un décalage entre le “plaisir” à employer ce terme et l’absence d’information à la hauteur de cet emploi », résume le Dr Hodé. Le Monde, dans un exercice global de contrition dont il est coutumier, estime que les journalistes « ont des progrès à faire ». On ne résiste pas au plaisir de donner l’extrait du premier usage du terme schizophrénie dans Le Monde. Extrait d’un papier signé Emile Henriot, célèbre feuilletoniste. Il était intitulé « Balzac et la médecine » et publié dans les éditions datées du 17 janvier 1945.
« (…) Toujours curieux de petits faits vrais et d’observations exemplaires, il est exact que Balzac s’est assez méthodiquement renseigné pour décrire avec certitude les maux dont sont atteints ses personnages : la schizophrénie de Louis Lambert, le cancer de Mme de Morlsauf, la lithiase biliaire du cousin Pons, ou la mystérieuse lèpre de Mme Marneffe. Mais il y a aussi bien du vague, du trompe-l’œil et du grossissement chez l’auteur du Père Goriot et le feuilletonniste de La dernière incarnation de Vautrin, qui affecte souvent, pour le plaisir, ses héros de misères rares et mal définies, ou d’une de ces magnifiques maladies qu’on croyait perdues, comme le pian brésilien ou la hideuse plique polonaise dont souffre, sans aucune vraisemblance clinique, la Vanda de l’Initié (…) ».
On retrouve la schizophrénie dans Le Monde du 15 octobre 1949 :
« A la suite de l’information parue dans le Daily Telegraph, selon laquelle les aveux des accusés, au cours des grands procès politiques qui se succèdent en Europe centrale, étaient obtenus grâce à l’intervention chirurgicale connue sous le nom de lobectomie, de nombreuses hypothèses ont été mises en avant. C’est un auteur portugais du nom de Egas Moniz qui inaugura ce nouveau traitement en proposant la section de la substance blanche du cerveau dans la partie antérieure du lobe frontal avec l’espoir de rompre de la sorte des connexions nerveuses qui lui semblaient le substratum de certaines idées délirantes. (…). Ce traitement est indiqué dans les obsessions invétérées, dans l’agitation anxieuse et parfois même dans certains cas de mélancolie. C’est surtout la schizophrénie qui représente actuellement l’indication majeure. »