Les pathologies rachidiennes, cervicales et lombaires sont extrêmement fréquentes. C’est la première cause de perte d’années de vie vécue en bonne santé et elles se compliquent volontiers d’une impotence physique et d’un isolement social.1 Les traitements à disposition ont une efficacité faible (médicaments) à modérée (physiothérapie active et thérapie manuelle). En cas d’évolution chronique, une prise en charge multidisciplinaire est en général indiquée mais souvent difficile à réaliser. L’attrait des patients comme des médecins pour des solutions plus simples explique sans doute la popularité toujours croissante des infiltrations rachidiennes alors même que leur efficacité est au mieux modeste et à court terme (sciatique par hernie discale) ou au pire totalement inefficace en dehors d’un potentiel effet placebo (lombalgie commune avec ou sans irradiation dans le membre).2 Dans cet article, nous ne discuterons pas de l’efficacité des différentes techniques et nous nous concentrerons sur les risques potentiels des techniques utilisées.
Les injections épidurales rachidiennes peuvent être administrées par voie interlamaire ou par voie transforaminale. En cas de pathologies lombaires basses, une alternative par le hiatus sacro-coccygien peut être utilisée (figure 1).
Il existe peu de données dans la littérature permettant de se faire une idée de la fréquence des effets secondaires.3 Une série monocentrique portant sur 10 000 injections rachidiennes ne rapporte aucune complication grave.4 Parmi les complications les plus fréquentes, on relève un passage intravasculaire survenant dans 0,5 à 8 % des cas selon la localisation de l’infiltration, une exacerbation radiculaire dans 4,6 % des cas d’infiltrations foraminales, une irritation médullaire transitoire dans 0,25 % (cervical) à 1 % (thoracique) des infiltrations interlamaires et une brèche durale dans 1 % des cas, avec 1 fois sur 10 un syndrome de céphalées post-ponction durale. Dans une 2e cohorte de 157 patients ayant reçu 345 injections cervicales sous guidance radiologique, un taux de complications de 16,8 % est rapporté.5 Elles sont toutes bénignes avec 6,7 % d’aggravation de la douleur cervicale, 4,6 % de céphalées sur brèche épidurale, 1,7 % d’insomnie, 1,7 % de réactions vasovagales, 1,5 % de rougeur au visage et 1 cas de fièvre la nuit de l’injection). Ces éléments rassurants contrastent avec les 3 événements graves rapportés sur un collectif rétrospectif estimé de 13 500 gestes.6
Par la suite, nous allons détailler quelque-uns de ces effets secondaires avec un intérêt particulier pour les plus graves.
Le débat sur le rapport bénéfice / risque des infiltrations épidurales rachidiennes a débuté suite à la publication d’un nombre inhabituel d’infarctus médullaires survenus dans les suites d’infiltrations foraminales cervicales. Une enquête auprès de 287 / 1340 radiologues américains contactés avait recensé 78 complications graves dont 30 accidents vasculaires touchant le tronc cérébral, le cervelet ou la moelle épinière et 13 décès.3 Par la suite, la FDA a commandité une enquête sur la période 1997‑2004 qui a permis de recenser 90 accidents neurologiques graves, hématomes épiduraux, traumatisme direct de la moelle épinière ou infarctus emboliques médullaires ou centraux.7
Les autres complications neurologiques rares mais graves rapportées sont des crises convulsives (parfois compliquées de fractures vertébrales, figure 2), des pneumencéphalies (conduisant parfois au décès par bradycardie et arrêt cardiaque), des cécités (transitoire ou durable) par nécrose rétinienne ou choriorétinopathie ou encore des décès par arrêt cardiovasculaire dans un contexte de tétraplégie étendue.3
Parmi les complications neurologiques bénignes, il faut mentionner les céphalées post-ponction durale, qui sont des céphalées positionnelles, orthostatiques, de caractère pulsatile.8 Des symptômes d’accompagnement, de types nausées et vomissements, apparaissent fréquemment dans les 2‑3 jours suivant l’infiltration. Bien que le mécanisme exact ne soit pas connu, les symptômes sont attribués à une fuite de liquide céphalo-rachidien par l’orifice de ponction. L’évolution est en général favorable avec un traitement d’hydratation et d’antalgiques, plus rarement avec un blood path épidural, mais quelques cas d’hématomes sous-duraux et de herniation cérébrale à issue fatale ont été rapportés.
Le mécanisme conduisant à un infarctus (médullaire ou central) comporte encore des zones d’ombre. Une injection intra-artérielle est le plus souvent évoquée. Le diamètre des artères se trouvant dans ces régions est en effet suffisant pour permettre une ponction accidentelle.9 Un vasospasme artériel à l’approche de l’aiguille, un traumatisme de l’intima ou un anévrisme lésionnel sont parfois évoqués.
Les facteurs qui peuvent contribuer à la survenue des complications neurologiques sont regroupés en trois catégories : les facteurs techniques, ceux en lien avec l’anatomie locale et ceux liés à la molécule injectée.
Le risque d’effraction vasculaire se compliquant d’infarctus est plus élevé par voie transforaminale alors que la voie interlamaire est plus sujette au risque de traumatisme direct. Ces injections ne doivent plus être pratiquées sous sédation.7 L’utilisation d’un contrôle radiologique (scanner ou scopie) permet de minimiser les risques, surtout pour les transforaminales.7
Le risque est nettement plus important au niveau cervical en raison du réseau artériel (figure 3). En plus de l’artère vertébrale, bien connue et qui passe à proximité de la région du foramen intervertébral, d’autres artères peuvent être concernées, comme l’artère cervicale ascendante, les artères cervicales profondes ou encore l’artère radiculo-médullaire qui renforce l’artère spinale antérieure et postérieure. Au niveau cervical, elle peut avoir un trajet variable et se trouver dans la zone dite « sécurisée ».10
Au niveau lombaire, les cas de paraplégie par infarctus du cône médullaire sont le plus souvent secondaires à des injections transforaminales et impliquent donc l’artère radiculo-médullaire. Il semble qu’un antécédent de chirurgie lombaire soit un facteur de risque important. Le mécanisme semble être la présence d’un tissu cicatriciel hypervascularisé, ayant des anastomoses avec le système artériel physiologique.6
Une embolie secondaire à une injection intra-artérielle du corticoïde est postulée. Certains corticoïdes dépôts comme la méthylprednisolone, l’acétonide de triamcinolone et la dexaméthasone ont des cristaux d’un diamètre supérieur à 50 µm. Mais surtout, il a été rapporté avec certaines molécules un phénomène de coalescence à l’origine d’amas de plus de 100 µm, à même d’obstruer le réseau artériolaire terminal.11 Une étude récente évoque également l’induction d’une modification de forme des globules rouges qui viennent alors obstruer les capillaires.11 Dans un autre modèle animal d’injection intra-artérielle, une toxicité directe conduisant à des infarctus cérébraux a été observée après avec le Solu-Medrol et le Depo-Medrol mais pas avec la dexaméthasone.12
En conclusion, bien qu’exceptionnel, un accident neurologique grave a plus de risque de se produire au niveau cervical, lors d’une infiltration transforaminale et avec un corticostéroïde dépôt. Cependant, ces complications ont été rapportées quel que soit le médicament, la voie d’injection ou la technique utilisée.
L’incidence des complications infectieuses des injections spinales est estimée à 1‑2 %, mais elles sont le plus souvent mineures. Des abcès épiduraux, des méningites, des ostéomyélites, des arthrites septiques zygapophysaires et des spondylodiscites sont cependant rapportés. Dans une série rétrospective, monocentrique, 11 % (4 / 36) des abcès épiduraux étaient secondaires à une infiltration locale.3 Ces infections surviennent en dépit du respect des règles d’asepsie et, pour plus de la moitié des cas, le germe inoculé est un Staphylococcus aureus.
Dans les jours qui suivent l’infiltration, le clinicien restera donc attentif à l’apparition d’un état fébrile, de frissons, d’une altération de l’état général ou même d’une exacerbation des rachialgies et un examen clinique à la recherche de signes neurologiques sera pratiqué en cas de doute.13 Si l’état général le permet, une antibiothérapie ne doit être débutée qu’après isolation du germe.
Une contamination par Aspergillus fumigatus de lots de méthylprednisolone sans agent conservateur (preservative-free) a entraîné une épidémie de méningite après infiltration épidurale. Parmi les 14 000 patients exposés, 324 infections paraspinales et 7 accidents vasculaires cérébraux ont été rapportés. Le nombre de décès s’est élevé à 64 (taux de mortalité de 8,5 %).3
L’espace épidural étant une structure très vascularisée, toutes les injections rachidiennes ont un risque inhérent de complications hémorragiques. L’incidence des hématomes rachidiens cliniquement significatifs (tétraplégie, paraplégie, syndrome de la queue de cheval) est cependant faible. L’évolution clinique va dépendre de la rapidité avec laquelle un geste de décompression sera pratiqué. En cas de doute, l’IRM est l’examen de choix.
Le risque d’hématome épidural est naturellement plus élevé chez les patients présentant une diathèse hémorragique (hémophilie, maladie von Willebrand, patients sous anticoagulants oraux, patients souffrant d’une hépatopathie ou d’une maladie rénale).
La prise d’AINS et d’aspirine ne contre-indique pas une infiltration épidurale. Les antivitamines K doivent être suspendues et un INR à 1,4 doit être obtenu avant le geste. La diminution de l’anticoagulation n’est toutefois pas sans risque puisqu’elle augmente le risque de thrombose et une pesée d’intérêt est indispensable. Si une infiltration rachidienne paraît vraiment nécessaire, un relais transitoire par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) est recommandé ; l’infiltration ne sera réalisée que lorsque l’INR sera inférieur à 1,5 sous HBPM, et 24 heures après la dernière injection de celle-ci. Il n’est pas recommandé d’infiltrer des patients recevant les nouveaux antiagrégants.14
Des réactions allergiques ou anaphylactiques aux médicaments utilisés (produits de contraste, anesthésiques locaux, corticostéroïdes) sont rares. Le plus souvent, elles se manifestent dans les 2 heures après l’injection. Les symptômes varient entre des nausées, des vertiges et des convulsions mais peuvent aller jusqu’à l’arrêt cardiorespiratoire. Une anamnèse détaillée doit être prise avant le geste, une surveillance hémodynamique et respiratoire est nécessaire durant le geste et un équipement de réanimation doit être à disposition.
Environ 10 % des patients recevant une injection épidurale vont présenter une complication mineure : réactions vagales, flushs, insomnie passagère, nausées, céphalées, vertiges, hyperthermie, menstruations irrégulières, fluctuations d’humeur, lipomatose épidurale et rétention urinaire.3 Les réactions vagales sont nettement plus fréquentes lors d’injections dans la région cervicale (7 % vs 1 %).
Parmi les complications les plus sérieuses, on mentionnera une décompensation psychiatrique, une péritonite diverticulaire,15 une insuffisance cardiaque, une poussée sévère d’hypertension artérielle (0,3 % des cas) avec décompensation cardiaque ou une décompensation diabétique. L’adaptation du traitement diabétique est donc très importante.
Un effet sur l’axe corticotrope est observé pendant 4 à 7 jours mais peut se prolonger jusqu’à 5 semaines. L’insuffisance surrénalienne est rarement symptomatique. Une prescription transitoire d’hydrocortisone (15‑25 mg / jour) est alors nécessaire.
De violentes douleurs rachidiennes survenant dans les minutes suivant l’infiltration sont observées 1x / 8000 (syndrome de Tachon) et pourraient s’expliquer par une injection intraveineuse.16 L’évolution est en général rapidement favorable. Des réactions méningées aseptiques, avec réaction cytologique et chimique du LCR, ont été signalées après injections intradurales de corticoïde, parfois responsables d’arachnoïdite.13
Une information suffisamment complète, tenant compte en particulier du rapport bénéfice / risque, est indispensable lors de la prescription d’une infiltration rachidienne. Un formulaire de consentement éclairé peut être téléchargé sur le site de la Swiss Society for Interventional Pain Management (SSIPM).
Les infiltrations rachidiennes sont d’une efficacité très discutable dans la plupart des rachialgies chroniques. Bien qu’exceptionnelles, des complications extrêmement graves, en particulier neurologiques, peuvent survenir. Il est indispensable que le patient obtienne une information complète sur les risques potentiels graves et les bénéfices escomptés avant de recevoir ce type de traitement.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les infiltrations épidurales sont extrêmement utilisées dans la pratique quotidienne. Leur rapport risque / bénéfice n’est pas toujours bien évalué
▪ Bien que rares, de très graves événements neurologiques ont été rapportés suite à des injections épidurales de corticoïdes. Ils sont plus fréquents au niveau cervical ou lors d’antécédent chirurgical
▪ Une exacerbation importante de la douleur, un état fébrile, des frissons ou une altération de l’état général doivent être considérés comme des symptômes d’alerte pour une complication infectieuse
▪ Le risque de complication hémorragique impose une attitude particulière en présence d’un antiagrégeant plaquettaire
▪ Le médecin prescripteur doit informer son patient des complications potentielles