Les grilles de lecture psychopédagogiques proposées dans cet article ont pour but de mieux comprendre son patient. Qu’est-il possible de « faire passer » à son patient dans une situation de difficulté thérapeutique ? Quels obstacles risque-t‑on de rencontrer ? Comment les contourner, les dépasser ? Sur quels outils pédagogiques, sur quelles ressources du patient peut-on s’appuyer ?
M. Non, 65 ans, tient un restaurant fameux de la rive droite genevoise, il est atteint d’une cardiopathie ischémique ayant bénéficié d’angioplastie avec pose de stent à 3 reprises, d’un diabète type ii compliqué d’une irc g3a3. Il présente une dépendance à l’alcool et tous les frcv : tabagisme actif (80 upa), obésité tronculaire, sédentarité, dyslipidémie, sas sévère, hta réfractaire. Son observance mesurée dans une étude est très mauvaise. Il nous met en échec avec délectation !!
Clairement, monsieur non, ne s’intéresse pas à son hta ni à son traitement. L’application du modèle de changement de comportement de prochaska (figure 1)1 conduirait à affirmer assez facilement que ce patient se situe dans un stade de « précontemplation ».
A ce stade de banalisation, il est tentant de secouer ce patient, de dramatiser un peu. Surtout pas ! En général, plus vous faites peur à un patient, plus il restera dans le déni. Il est important d’explorer ses croyances de santé, en fait les conceptions qu’a le patient sur sa maladie et son traitement. Connaît-il quelqu’un souffrant d’hypertension ? Que sait-il de son traitement ? Tout soignant a sans doute remarqué que les patients en précontemplation ont peur des complications. Une information rationnelle répétée peut aider, d’une consultation à une autre, et permet de faire passer l’information.
De nouvelles informations formulées par le soignant vont progressivement déconstruire cette conception et apporter une nouvelle connaissance au patient. Il faudra prendre du temps et trouver les « bons » arguments, ceux qui peuvent créer une résonance dans son esprit. Au préalable, il est impérieux que le patient réalise qu’il est malade, et a des risques de faire des complications de sa maladie. En plus, il doit croire à son traitement et à ses avantages, comme le met en avant rosenstock.2 pour dépasser ce stade de déni ou de précontemplation, il faut du temps ! Le patient devrait répondre quatre fois « oui » au modèle de croyances de santé (tableau 1). Ces dernières devraient se modifier progressivement. A force d’informer sans faire peur, sans dramatiser, en prenant appui sur ses conceptions, il est possible de passer au stade suivant, celui de la « contemplation » selon prochaska (figure 1).
Mme may be est une conductrice d’autobus de 41 ans, et est connue pour une hta essentielle depuis l’âge de 28 ans. Elle a présenté 2 pré-éclampsies avec retard de croissance intra-utérin en 2005 et 2006, et une hta gestationnelle en 2011. Elle a continué de fumer à chacune de ses grossesses. Elle est sédentaire (profession), et est en surpoids (160 cm/80 kgs). Elle veut « faire quelque chose », mais n’a pas le temps. Elle mesure sa tension (150/110 mmhg), mais « oublie » son traitement. D’ailleurs, madame oublie un rendez-vous sur deux…malgré tout, elle est très attachante…
La balance penche encore du mauvais côté… elle n’a d’attention que pour ses enfants.
Comment négocier ? Quels sont les avantages et désavantages pour elle de ne rien faire ?
Clairement, mme may be sait déjà beaucoup de choses concernant sa maladie et son traitement, mais elle ne « fait pas grand-chose », comme en témoignent ses valeurs de pression artérielle. Les doutes persistent concernant les croyances, mais une balance entre le savoir et le faire se précise. Pour le moment, il existe encore trop de désavantages pour elle à se traiter, à se prendre en charge ! Les avantages sont connus, mais pas assez nombreux.
Dans ce stade de « contemplation » selon prochaska, la patiente commence à être ambivalente face à son traitement, face à l’intégration de son nouvel état de santé.
Pourtant être malade veut aussi dire « être en bonne santé avec une maladie ». La patiente doit rechercher une nouvelle adaptation à son état de santé. Avoir une nouvelle norme, ce que l’on peut appeler une « normativité ».3 face à la révolte, le soignant a tendance à banaliser, ce qui aggrave l’état de révolte. « ne vous en faites pas, ce n’est pas grave ». Il est important d’écouter cette révolte, cette peur, avec une certaine compassion et empathie. Au stade de « contemplation », il peut être intéressant d’effectuer un slalom de l’ambivalence avec une « double balance décisionnelle ».
Tout d’abord, ce qui peut surprendre les patients, le soignant peut essayer de les faire réfléchir sur une première balance décisionnelle : quels sont les avantages et les désavantages de ne rien faire, de ne pas changer de comportement et de ne pas se traiter ? Qu’en pense le patient ?
La deuxième balance décisionnelle peut se faire après : quels sont les avantages et les désavantages à changer de comportement, à se prendre en charge, et prendre son traitement ?
Effectuer ces deux balances décisionnelles permet aux patients un temps de réflexion sur leur ambivalence. L’entretien motivationnel proposé par miller et rollnick4 est particulièrement approprié dans ce stade d’ambivalence. Parfois, on peut leur demander d’évaluer l’importance de chaque argument pour eux et de mettre des notes de 0 à 10. Prendre son traitement peut ne pas être important aux yeux du patient. Une note de 3 montre immédiatement que le patient n’est pas prêt. Par contre, prendre ses médicaments peut obtenir un score de 7. On peut alors poser la question suivante : « et pourquoi pas 5 ? ». Le patient va ainsi se justifier et donner des arguments pour montrer, convaincre que c’est quand même important pour lui de changer, d’accepter sa maladie, de se traiter, mais c’est difficile !
Il est également difficile d’admettre pour un soignant que le patient n’est pas prêt, et pourtant… inutile de conclure simplement que le patient n’est pas motivé. Il est préférable de reprendre la discussion sur les représentations et de donner d’autres informations. Il est inefficace de partir dans l’action si c’est trop tôt. Quatre-vingts pour cent des patients sont dans ces stades de précontemplation ou contemplation, dans lesquels il est inefficace de prescrire des médicaments tout de suite et inutile de chercher des solutions pour le patient.
Lorsque le score du changement est élevé et que le patient est prêt à changer, il est possible de passer au stade de « préparation » et, de nouveau, il est préférable de ne pas brusquer et surtout de ne pas passer à l’« action » directement.
C’est le moment approprié pour définir ensemble des objectifs smart (tableau 2). Avec cet acronyme pour s’aider, il est possible de négocier des objectifs « spécifiques », précis. La tendance des patients est de donner des objectifs flous et trop ambitieux. Pour être un soignant « à succès », il est préférable de convenir de petits objectifs, baby steps by baby steps. En fixant des objectifs précis, on peut ainsi les « mesurer ». En mesurant clairement l’objectif, on peut ainsi le réévaluer s’il est trop grand et « l’ajuster ». « je vais faire de la marche 1 heure par jour trois fois par semaine… avec mon chien. Mais s’il fait mauvais temps, je sortirai moins longtemps ». Le r de l’acronyme smart représente la « récompense ». Il est très utile de relever les bénéfices secondaires qui vont découler du changement de comportement. Si le patient va marcher avec son chien, il sera moins essoufflé, moins fatigué, et ses pressions artérielles meilleures. La récompense est certainement physique, mais aussi psychologique. La qualité de vie est meilleure, et l’humeur au beau fixe quand les tensions artérielles sont meilleures.
La signification du T de SMART représente le « type » utilisé par les anglo-saxons. On peut le définir par le « comment du processus », comment faut-il mettre en place l’objectif, la stratégie de changement ? « je vais demander à mon mari s’il peut rentrer plus tôt pour aller une fois par semaine à l’aquagym, je vais me renseigner sur les horaires et les jours, je vais m’acheter un costume de bain chez…», etc. Ce moment de réflexion sur le « comment faire » est crucial. Parfois, les patients veulent faire de l’aquagym 5 fois par semaine, mais ils ne savent pas où, ni dans quelle piscine, et n’ont pas encore de maillot de bain ! Cette discussion sur la mise en place d’objectifs permet de s’assurer que l’action entreprise sera possible, et surtout qu’elle va perdurer.
Mme action est une jeune juriste de 40 ans, très stressée, orthorexique (éviction tabac, oh, gluten, lactose, graisse), extrêmement sportive (course tous les jours, fitness, vélo, montagne). On lui découvre soudainement une hta sévère (240/150 mmhg, dont le bilan complet revient négatif et qui nécessite une quadrithérapie. Tout s’écroule, avec un syndrome d’épuisement professionnel, elle pense à « tout lâcher »… puis s’intéresse à autre chose… grâce à une gestion de son stress parfaitement pris en charge par elle-même (yoga, méditation, réduction temps de travail), sa tension se normalise en monothérapie à demi-dose… !
Mme action est parfaite, contrôle tout, mais ça craque… comment reprendre le pouvoir ?
Elle semble faire tout parfaitement. Les difficultés doivent être recherchées car le but est de maintenir ce succès à long terme.
A ce moment, il est très important d’écouter, de reformuler les difficultés du patient, les effets secondaires et il est indispensable de redéfinir des objectifs moins ambitieux, à la baisse.
Dans la phase d’action, il est possible de prendre appui sur le concept de l’empowerment. Ce terme anglo-saxon, toujours difficile à traduire précisément, pourrait signifier que le patient reprend « de la puissance », « du pouvoir » sur sa maladie.5
En tombant malade, le patient peut perdre de la puissance physique, psychique, voire sociale. Après le diagnostic d’une maladie chronique, le patient peut avoir une image de soi dévalorisée ; ceci entraîne souvent un sentiment d’infériorité dans le couple, au travail et surtout avec l’entourage. On parle souvent d’une « rupture de sentiment d’identité ». Lors de l’apparition d’une maladie, il peut se produire également une rupture de continuité. Il y a un « avant » et un « après », et ce sentiment entraîne un ébranlement émotionnel. Cette perte de pouvoir importante pour le malade peut être telle que la vie semble « vide de sens ». « pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? » chaque questionnement doit être pris en compte sérieusement, car il y a une rupture de cohérence. Il est nécessaire de prendre du temps pour reconstruire le sentiment d’une nouvelle cohérence de vie, pour avoir une identité réconciliée.6,7
Le modèle de l’empowerment du patient peut nous aider à maintenir un changement dans la phase d’action.8 le processus d’empowerment est constitué et s’appuie sur trois piliers. Tout d’abord, le patient doit mieux contrôler, reprendre du pouvoir sur sa vie, sur sa maladie. Il va le faire pour améliorer sa qualité de vie, devenir autonome. Ce besoin de maîtrise va lui permettre d’enclencher un processus de réconciliation identitaire.
Cependant, il est important de relever que l’on ne peut pas tout contrôler. On peut proposer aux patients « de le faire à 80 % » (figure 3). En effet, 100 % sont trop difficiles d’entrée, voire impossibles, et cette marge de 20 % permet d’éviter les distorsions cognitives classiques du « tout ou rien ». Le patient peut contrôler à fond, mais il ne tient pas longtemps. Il vaut mieux contrôler à 80 % et faire un lâcher prise à 20 %. Ce deuxième pilier de l’empowerment, le « lâcher prise », permet d’obtenir une meilleure cohérence identitaire. Prendre un peu de distance, ne pas tout contrôler, permet au patient de respirer, de ne pas être envahi par la maladie, d’obtenir un processus de séparation identitaire (figure 3).
Le troisième pilier est constitué du besoin d’« être en lien », d’être en relation. Le patient reprend des liens avec son entourage, il s’adapte à sa nouvelle vie. L’éducation thérapeutique propose aussi au patient d’être plus à l’écoute de soi, d’être en lien avec soi-même. Le troisième pilier permet d’enclencher un « processus de sécurisation de soi ». En reprenant mieux le contrôle, et à la fois en lâchant prise et faisant des liens, le patient va surmonter cette perte de pouvoir et entrer dans la phase d’action.
M. Moti, 72 ans, est un ancien agent d’assurance, méticuleux et obsessionnel. Il est atteint d’hta, d’obésité (120 kgs/170 cm), de dm ii, de sas appareillé. Il traîne avec lui un classeur « fédéral » résumant toute son histoire de santé. De fait, il est tombé amoureux d’une autre femme vers 67 ans, « l’amour de sa vie », mais celle-ci est décédée d’un cancer du foie foudroyant. Depuis, m. Moti oscille entre 85 et 120 kgs, alternant des périodes de contrôle et activité physique intenses avec des périodes de total laisser-aller…
Le patient est motivé et se situe dans une « phase de maintien » selon le modèle de prochaska. Il suit à nouveau son traitement depuis plus de 6 mois. Le soignant se félicite d’avoir un merveilleux patient si appliqué ! Malheureusement, il oublie trop souvent de le féliciter pour son immense effort. Le soignant se doit d’être sincère et beaucoup plus positif, il doit en permanence rechercher les succès des patients : « ce qui est déjà acquis et déjà fait ». Search for success plutôt que rechercher ce qui ne va pas ou pas encore.
Pour maintenir un nouveau traitement, un nouveau changement de comportement, le patient doit s’appuyer sur ses capacités. Vanistendael a proposé un outil très simple d’utilisation qui permet de faire l’inventaire des ressources du patient. L’exercice consiste à lui faire construire sa propre maison de ressources, « la casita » (figure 4).9
A partir de nombreuses études, cet auteur propose de répartir sur quatre étages les ressources, avec au premier étage les « liens ». « quelles sont les personnes autour de vous qui pourraient vous aider en cas de maladie ? » « la ou les personnes qui ont un amour inconditionnel pour vous ? ». On peut les appeler aussi les « tuteurs de résilience ». Investiguer quels sont les liens potentiels d’un patient est crucial : conjoints, enfants, famille, amis et voisins. Au deuxième étage, vanistendael a relevé les « valeurs profondes » du patient, ses convictions, sa spiritualité, sa religion, quel sens donne-t-il à sa vie et à sa maladie.
Schématiquement et, dans un souci pédagogique, « les compétences, travail, hobbies » sont classés ensemble au 3e étage. Derrière un patient, il existe un être avec de multiples compétences spécifiques personnelles insoupçonnées, un savoir-faire, et surtout des qualités émotionnelles dont l’estime et l’amour de soi. De plus, l’humour est très fréquemment cité comme capacité importante chez les personnes malades et handicapées. Un animal de compagnie est souvent mentionné. En faisant ce travail, des outils précieux sont découverts sur lesquels on peut s’appuyer pour travailler l’empowerment.
Le stade du maintien n’est jamais acquis (figure 1) ! De nombreux patients arrêtent leurs traitements ou interrompent un changement de comportement. L’adhérence thérapeutique est estimée à moins de 50 %, et 60 % des sujets abandonnent leurs régime et programme d’activité physique à moyen terme. A ce stade, il est crucial de relever avec le patient les bénéfices du changement ou du traitement.
Dans le modèle d’empowerment et dans la casita des ressources, les liens sont cruciaux. Le soignant doit aider les patients à faire des liens entre le traitement et la disparition de symptômes.
Il est toujours souhaitable de discuter des erreurs pour éviter de les reproduire. En effet, une rechute doit être analysée comme un « faux pas » transitoire, afin de ne pas glisser en dérapages non contrôlés et surtout en culpabilité. L’important est de dédramatiser pour que le patient n’abandonne pas. L’idée de « faux pas » exclut ainsi l’idée de faute. On peut même rassurer en montrant qu’on apprend de ses erreurs quand on les comprend et qu’on recherche d’autres possibilités.
L’approche centrée sur le patient est cruciale. Chercher les peurs, les besoins du patient est nécessaire avant de commencer un traitement. Travailler l’ambivalence face au traitement ne peut pas être négligé. Finalement, rien n’est acquis et il faudrait renforcer les succès du traitement régulièrement (tableau 3).
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Approche clinique centrée sur le patient, ses besoins et ses ressources
▪ Le soignant est à l’écoute de ses peurs, et perçoit les conceptions, croyances, qui peuvent bloquer le changement et le traitement
▪ Avant l’action, travailler sur l’ambivalence du patient afin de négocier des objectifs réalisables
▪ Rien n’est jamais acquis : repérer les difficultés pour renégocier le traitement et les objectifs à la baisse
▪ Utiliser les erreurs, mais surtout renforcer les succès
▪ Améliorer l’empowerment du patient et pérenniser ses efforts : contrôler les actions à 80 % et lâcher prise à 20 %
▪ Rechercher les liens, les soutiens, repérer les « saboteurs ». soutenir le patient pour trouver une nouvelle cohérence de vie réconciliée avec la maladie