Les troubles psychiatriques ont un impact majeur sur la vie des patients, mais également chez leurs proches et en particulier chez leurs enfants. Un recensement mené à l’hôpital de Cery à Lausanne, sur l’année 2015, a montré que 35 % des patients admis avaient des enfants, dont plus de 50 % étaient mineurs. Chaque année, dans le grand Lausanne, plus de 400 enfants sont ainsi confrontés à au moins une phase de crise chez leur parent qui a nécessité une admission hospitalière. Outre le fait que ces enfants ont un risque plus élevé que la population générale de développer un trouble psychiatrique, un tel événement est à l’évidence préoccupant pour eux qui, souvent, ne comprennent pas ce qu’il se passe. Afin de mieux soutenir et informer ces enfants, un projet nommé Famille + est actuellement mis en place dans le Service de psychiatrie générale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). On y implante également le plan de crise conjoint (PCC), un outil partenarial rédigé par patients et soignants, qui vise à définir les stratégies à mettre en place en cas de crise et qui favorise l’implication des patients dans la prise des décisions les concernant.
C. Tripalo et C. Vaudan
Comment mieux accueillir et considérer les enfants mineurs des patients en souffrance psychique dans un service de psychiatrie adulte ? Comment soutenir la parentalité de ces patients ? Ces questions ont abouti à la création du projet Famille + mis en place dans le Service de psychiatrie générale du CHUV à Lausanne.
Un groupe pluridisciplinaire a été mis sur pied en mars 2015, intégrant des professionnels de la psychiatrie adulte et des spécialistes de l’enfant et de l’adolescent, afin de réfléchir à ces questions et d’élaborer des interventions. Nous sommes partis du constat qu’un grand nombre des patients suivis dans notre service sont parents d’enfants mineurs, mais que les équipes de soins parlaient peu de la parentalité et des enfants avec leurs patients. Les articles scientifiques mettent en évidence que les enfants vivant avec un parent en souffrance psychique ont plus de risques de développer des troubles psychiques ou d’autres difficultés d’ordre social ou scolaire par exemple.1 Ils suggèrent également que le parent malade peut se sentir stigmatisé, souvent considéré a priori comme un mauvais parent, ce qui génère un plus grand isolement et la crainte de demander de l’aide, pour eux-mêmes mais également pour leurs enfants ou les autres membres de leur famille.2
Les objectifs de notre projet sont les suivants :
améliorer l’accueil et l’écoute des enfants des patients hospitalisés en psychiatrie.
Sensibiliser davantage les professionnels de la psychiatrie adulte à l’importance de la prise en compte de la parentalité des patients et de leurs enfants.
Valoriser et soutenir la parentalité des patients.
Renforcer la collaboration avec les partenaires spécialisés, afin d’améliorer l’accompagnement des patients dans leur parentalité et de prévenir d’éventuels troubles chez leurs enfants.
Depuis 2015, le projet a permis de mettre en place les interventions suivantes :
la modification du dossier informatisé du patient, afin que les informations concernant la présence d’enfants et l’existence d’un encadrement adéquat soient relevées.
L’aménagement d’une salle réservée aux familles au sein de l’hôpital psychiatrique, avec des jeux adaptés aux différents âges, afin de favoriser le maintien du lien entre les parents et leurs enfants dans un espace protégé.
La mise sur pied du groupe parentalité à l’intention des patients qui sont parents, afin d’explorer entre eux, avec l’aide d’animateurs spécialisés, leurs expériences et compétences parentales et les moyens de les renforcer.
La mise en place d’une rencontre annuelle avec des référents de la pédopsychiatrie et du Service de protection de la jeunesse, afin de déterminer les lignes communes de collaboration pour mieux orienter les patients et leur famille, et leur assurer une continuité dans la prise en charge interservices.
En 2018, nous allons travailler à uniformiser la stratégie au sein de notre service, afin que l’identification des patients et des enfants concernés s’intègre de manière routinière à la pratique clinique. Nous allons également expérimenter une intervention spécifique en trois séances incluant les patients, leurs conjoints et leurs enfants, qui vise à favoriser les échanges sur la maladie au sein de la famille, à expliquer les symptômes, à explorer le vécu de chacun, à identifier les ressources et les difficultés, et orienter ceux qui en ont besoin vers des services adaptés. Cette intervention s’est largement inspirée des outils mis en place dans d’autres pays européens, comme la Finlande ou la Norvège.3,4
Ce projet répond à des enjeux de santé publique importants puisqu’il vise l’amélioration de la prise en charge des individus en souffrance psychique, mais également plus globalement la prévention des impacts de cette souffrance sur leurs enfants et la vie de famille.
Ce qu’on savait déjà : les enfants de parents en souffrance psychique ont un risque plus élevé de développer des troubles psychiatriques que la population générale, et les phases de décompensation ou d’hospitalisation de leur parent constituent des moments souvent très difficiles.
Ce que cela apporte de nouveau : l’identification systématique des patients psychiatriques ayant des enfants et la mise en place d’une offre qui leur est spécifiquement dédiée permettent de mieux prendre en compte ces enfants et les conséquences de la maladie du parent, de soutenir les compétences parentales des patients et de dépister les enfants ayant des besoins de soins.
Ce que l’on ne sait toujours pas : comment financer de tels projets ? L’implantation de ces programmes peut en effet rencontrer des écueils importants, étant donné qu’elle s’ajoute aux tâches déjà considérables des soignants et que les financements pour des ressources supplémentaires sont difficiles à trouver, malgré leur évidente utilité.
P. Ferrari, P. Lequin, P. Conus et C. Bonsack
Malgré un consensus international quant à l’impératif éthique d’implanter le processus de décision partagée en psychiatrie, son application dans la pratique reste un défi de taille.5 En effet, la revendication du droit et du respect à l’autodétermination est constitutive du processus de rétablissement et implique que le pouvoir de choisir, de décider et d’agir soit restauré. Ceci est d’autant plus important que les personnes souffrant de troubles psychiatriques expriment davantage de préférence à participer à un processus de décision partagée qu’en médecine somatique. De plus, contrairement aux idées reçues, dans la majorité des cas, les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères ont les capacités de faire des choix et de prendre des décisions rationnelles, pour autant qu’elles aient pu accéder à des informations objectives et diversifiées. Les domaines dans lesquels les usagers des services de santé mentale demandent à participer en priorité sont ceux qui concernent la médication et les hospitalisations.
Le PCC est une forme récente et innovante de processus de décision partagée soutenant activement le processus du rétablissement.6 Il permet d’indiquer de façon anticipée les contacts, les mesures pratiques, ainsi que les soins préférés ou à éviter en cas de crise. Le rôle de chacun des partenaires que le patient a souhaité impliquer, qu’ils soient proches et/ou professionnels, doit être au préalable négocié entre les parties. Historiquement le PCC est apparu pour la première fois dans les années 1990 au Royaume-Uni pour répondre à la demande des usagers des services de santé mentale, qui souhaitaient être aidés dans le processus de son élaboration. Son origine est cependant plus ancienne et est attribuable au mouvement de self-help et d’advocacy des patients dans les années 80 dans un contexte plus global de revendication des droits.
Le PCC se distingue des directives anticipées en ce sens qu’il n’a, d’une part, pas de valeur légale, et d’autre part parce qu’il implique de façon conjointe, comme son nom l’indique, systématiquement au minimum un usager et un professionnel. Or, les directives anticipées, pour être juridiquement valables et reconnues, devraient être rédigées par la personne concernée sans aucune assistance. De plus, alors que ces dernières permettent de pallier aux situations temporaires d’incapacité de discernement, le PCC possède l’avantage de définir les attitudes à tenir en amont de la crise déjà, dès les premiers signes annonciateurs. L’élaboration d’un PCC ne nécessite donc pas à tout prix une acceptation préalable du diagnostic par le patient. Dans ce sens, il est également un levier pour faire de la psychoéducation et travailler la prévention de rechute. Le PCC peut donc être utilisé dans des phases précoces des troubles, en particulier lorsque le patient a été exposé à un traitement sous contrainte, afin d’envisager des alternatives à l’avenir.
Le PCC diminue les réhospitalisations de façon générale et en particulier celles sous contrainte, bien que de façon non significative.6 Ce n’est pas tant l’outil PCC qui est remis en cause, mais bien plus les obstacles organisationnels à son implantation, de même que les résistances à son introduction, qui induisent des biais importants susceptibles d’avoir impacté les résultats. Une étude plus récente a démontré la diminution du sentiment de contrainte perçue par les usagers.7 D’autres bénéfices y sont liés, comme le renforcement du sentiment de sécurité, un meilleur contrôle sur sa santé mentale et sa vie en général, une meilleure connaissance de ses troubles, une motivation augmentée dans la poursuite des soins et du traitement, une meilleure alliance thérapeutique, une modification des rapports de force soignant-soigné et une bonne satisfaction à l’égard de l’outil.6–8 Finalement, le recours au PCC laisse supposer une meilleure utilisation des ressources socio-sanitaires avec notamment une diminution du recours à l’urgence et par conséquent un impact positif sur la diminution des coûts.9
L’introduction du PCC dans la pratique clinique et l’évaluation de ses impacts semblent incontournables en Suisse en raison de son taux de placements forcés relativement élevé en comparaison internationale.10 Une revue de littérature sur le PCC a permis d’identifier deux études suisses venant compléter les impacts préalablement identifiés, essentiellement jusque-lors dans les contextes anglo-saxons. L’une prospective sur Genève8 et la seconde randomisée sur Zurich7 ont permis de mettre en évidence la faisabilité du PCC dans le contexte socio-sanitaire suisse. Une étude exploratoire est actuellement en cours dans le canton de Vaud afin de mieux comprendre les obstacles à son implantation, car force est de constater qu’il l’est de façon très diverse sur le territoire, malgré les injonctions institutionnelles et politiques locales.
Ce qu’on savait déjà : en psychiatrie, la prévalence des directives anticipées reste faible, leur rédaction n’étant réservée qu’à une petite partie de la population concernée par les troubles psychiatriques sévères.
Ce que cela apporte de nouveau : le PCC est à considérer comme une forme récente et innovante de processus de décision partagée à promouvoir, diffuser et implanter.
Ce que l’on ne sait toujours pas : l’implantation de processus de décision partagée et d’outils cliniques innovants, comme le plan de crise conjoint par exemple, se heurte encore à de nombreux obstacles qui restent à comprendre et identifier. Par ailleurs, la question de l’accessibilité au PCC dans l’urgence et entre lieux de soins reste à l’heure actuelle encore un défi non résolu dans la littérature internationale.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.