En 2006, l’Académie nationale des sciences aux Etats-Unis a publié une prise de position intitulée : « From Cancer Patient to Cancer Survivor : Lost in transition ».1 Cette réflexion importante a eu un impact majeur sur la communauté médicale et s’est intéressée aux effets du cancer et de ses traitements sur la qualité de vie, ainsi qu’à tous les aspects liés au changement de statut de malade à celui de « rescapé » ou « survivor» du cancer.
L’enjeu est de taille puisque la prévalence des « rescapés » du cancer a explosé. Ainsi, 15,5 millions d’Américains vivent avec un antécédent de cancer traité, et 60 % des survivants ont souffert d’un cancer commun comme celui de la prostate, du sein, du côlon ou d’un mélanome. Plus de la moitié des survivants ont plus de 70 ans, car l’espérance de vie suite à un traitement de cancer s’est largement améliorée. Ainsi, près de 70 % des rescapés vont vivre au minimum encore 5 ans, 44 % plus de 10 ans et 20 % plus de 20 ans après le diagnostic et le traitement du cancer. Au niveau mondial, quelque 14,1 millions de nouveaux cas de cancers furent diagnostiqués en 2012, ce qui permet d’anticiper une explosion du nombre des patients rescapés du cancer dans les années à venir.
Une large place est donnée à l’interniste, hospitalier ou ambulatoire, ou au généraliste
Déjà en 2006, le rapport de l’Académie nationale des sciences relevait qu’environ 40 à 50 % des patients âgés de plus de 65 ans souffraient d’au moins quatre comorbidités actives au moment du diagnostic. Certaines de ces comorbidités étaient considérées comme très sévères dans 5 à 30 % des cas selon le type de cancer. Depuis lors, les propositions et réflexions sur la prise en charge de ces rescapés ont explosé. Dans une série d’articles parus dans la revue Lancet Oncology en 2017,2–4 les auteurs ont repris les enjeux décrits dans l’étude de l’Académie nationale des sciences sous la forme d’une série d’approches définissant les besoins, le suivi de ces patients et de manière critique, en cherchant à intégrer le médecin de premier recours dans ces prises en charge. Aussi, une large place est donnée à l’interniste, hospitalier ou ambulatoire, ou au généraliste qui doit s’impliquer dans la gestion non seulement des multiples comorbidités actives et parfois invalidantes en phase aiguë du diagnostic, mais également assurer un suivi au long cours des aspects bio- et psychosociaux. Il ne s’agit pas simplement d’exercer une surveillance, mais bel et bien de prendre en compte non seulement l’ensemble des conséquences et effets secondaires à long terme d’un traitement mais aussi ses impacts psychologiques sans oublier les autres comorbidités qui risquent d’être les facteurs impactant la survie de ces « rescapés » du cancer. L’absence d’un tel suivi combiné pourrait amener à ce que ces patients rescapés soient ou se sentent perdus dans leur prise en charge, particulièrement dans les différentes phases de transition de leur maladie. Ces recommandations sont courageuses et font appel à toutes les compétences d’interdisciplinarité, de transition et de prise en charge à long terme. Différents modèles de coopération et d’interfaces sont élaborés, mais en aucun cas, l’interniste généraliste n’est exclu de ces programmes et il est certain que dans les années à venir, nous serons appelés à nous engager fortement dans ces derniers.
Si cette implication semble évidente dans les situations postoncologiques décrites, il est important de pouvoir mesurer les bénéfices d’une collaboration et d’une transition de qualité. Ces bénéfices ont été évalués dans un autre domaine, celui de l’insuffisance cardiaque. Une étude canadienne5 a ainsi montré que, chez des patients récemment admis en salle d’urgence pour une décompensation cardiaque aiguë, une prise en charge ambulatoire consécutive conjointe par un médecin de premier recours et un cardiologue (collaborative care) était supérieure à une prise en charge exclusive par l’un ou l’autre de ces médecins, en termes d’investigations nécessaires pour le suivi, de prescription appropriée de médicaments, et même de mortalité (diminution significative de 21 % par rapport à un suivi par le seul médecin de premier recours, alors qu’une prise en charge par le seul cardiologue montrait une tendance, à la limite de la significativité, à une augmentation de la mortalité de 40 % par rapport à une prise en charge conjointe. Cette collaboration joue un rôle fondamental dans les transitions d’état de santé tant aux stades aigu que chronique. Le suivi partagé des patients au niveau hospitalier en médecine périopératoire est aussi fortement encouragé dans des recommandations récentes afin d’améliorer le suivi et réduire les complications cardiovasculaires. Ce shared-care management peut impliquer le chirurgien, le cardiologue, l’interniste et le gériatre.6 Les interactions entre internistes généralistes et médecins des différentes spécialités sont indispensables comme le montrent certains modèles de fonctionnement intégré et doivent encore être renforcés tant en ambulatoire qu’en hospitalier.7 Les fonctionnements intégrés plutôt qu’en silos sont plus performants dans de nombreux domaines8 et pas seulement ceux de la santé. Cette logique de fonctionnement qui est favorable pour la prise en charge des patients l’est aussi pour la formation postgraduée et les relations interprofessionnelles.9 En résumé, plus d’union pour de meilleures transitions !
Les fonctionnements intégrés plutôt qu’en silos sont plus performants dans de nombreux domaines