La prévalence de l’obésité est en augmentation, en Suisse et dans le monde.1 Certaines projections démographiques sont préoccupantes : d’ici 20 ans, près de 35 000 personnes pourraient présenter un IMC > 35 kg/m2 ans dans le canton de Vaud.2 Si ces chiffres se confirment, l’obésité continuera à poser des défis importants aux différents systèmes de santé et à la société en général. Les réponses apportées à ces défis sont encore largement insuffisantes.3
L’obésité est une maladie chronique complexe, dont les pathologies associées augmentent la gravité : diabète de type 2, dyslipidémie, complications cardiovasculaires, respiratoires ou articulaires, comorbidités psychiatriques ainsi que différents cancers. La prise en charge des patients présentant une obésité requiert la participation de spécialistes d’horizons variés. Les approches médicales et chirurgicales sont complémentaires et devraient toujours être présentées et discutées. On constate que malgré l’efficacité supérieure des approches chirurgicales comparées conservatrices,4 l’accès à la chirurgie bariatrique demeure relativement limité. Et on observe des développements importants dans la pharmacothérapie anti-obésité, qui devraient bénéficier le plus rapidement possible aux patients. Ces réflexions sous-tendent la nécessité de repenser la prise en charge des patients obèses.
En France, le Plan Obésité 2010–2013 se décline selon les quatre axes stratégiques suivants :
Améliorer l’offre de soins et promouvoir le dépistage chez l’enfant et chez l’adulte.
Mobiliser les partenaires de la prévention, agir sur l’environnement et promouvoir l’activité physique.
Prendre en compte les situations de vulnérabilité et lutter contre les discriminations.
Investir dans la recherche.
Ces axes sont intéressants dans la mesure où ils résument bien la variété des défis que l’épidémie d’obésité pose aussi bien à la société qu’aux systèmes de santé. Les modalités d’une prise en charge clinique optimale sont décrites dans le premier axe de ce plan, qui structure l’offre spécialisée en deux niveaux, régional et infrarégional. En Suisse, la catégorisation des centres spécialisés de chirurgie bariatrique en centres primaires et centres de référence, suivant les recommandations de la Swiss Society for the Study of Morbid Obesity and Metabolic Disorders (SMOB), est similaire à la structuration française.
Le plan français souligne également le caractère chronique de la maladie obésité, qui tend d’ailleurs à s’aggraver avec le temps. Certains experts parlent même de maladie de la transition économique, pour indiquer que l’explosion de sa prévalence est liée à l’évolution des modes de vie, et notamment de l’alimentation et de l’activité. Elle se développe bien évidemment sur un fond de prédisposition biologique, qui est luimême modulé par des facteurs hormonaux ou médicamenteux. De ce fait, il n’existe pas une obésité, mais bien des obésités : les différents éléments à l’origine de l’obésité sont pratiquement toujours intriqués, rendant les situations cliniques extrêmement hétérogènes.
Selon les recommandations de la SMOB, une chirurgie bariatrique ne peut être envisagée, en Suisse, qu’après deux ans de tentatives infructueuses de perte de poids. Il convient toutefois d’appréhender les démarches conservatrices et chirurgicales dans un continuum de soins, plutôt que les opposer.
Ce type de prise en charge regroupe toutes les approches disponibles, hormis la chirurgie. On peut distinguer l’évaluation et la prise en charge selon les quatre dimensions suivantes : somatique, nutritionnelle/diététique, comportementale/psychologique et capacité physique/activité (figure 1). L’approche pharmacologique est en évolution constante.5 Même si l’arsenal thérapeutique disponible en Suisse aujourd’hui n’est pas aussi fourni qu’aux Etats-Unis, un nouvel agoniste du GLP-1 par voie orale est actuellement en développement aussi bien pour le traitement du diabète de type 2 que de l’obésité, et devrait bientôt venir étoffer l’offre. La pharmacothérapie de l’obésité est ainsi peut-être en train de prendre une place longtemps laissée vacante.
Ces quatre dimensions sont les composantes de la prise en charge multimodale de l’obésité, qui consiste à proposer au patient l’intervention la plus appropriée à un moment donné de sa trajectoire personnelle. Cette notion est fondamentale : elle ouvre la voie à une personnalisation de la prise en charge en fonction des différents facteurs obésogènes présents chez un patient donné, et de sa motivation au changement.
Au cours d’une prise en charge multimodale, on peut activer séquentiellement différentes options thérapeutiques de ces quatre dimensions, avec l’espoir d’en augmenter ou d’en potentialiser les effets bénéfiques. Par exemple, certains patients sédentaires seront prêts à consentir de grands efforts pour introduire de l’activité physique dans leur vie avant d’envisager modifier leurs habitudes alimentaires. D’autres seront spontanément attirés d’emblée vers une prise en charge psychologique, mais ne seront pas forcément prêts pour d’autres modifications de leur style de vie. Quel que soit le choix initial, il permet dans tous les cas d’entrer dans la démarche thérapeutique.
Une condition sine qua non pour pouvoir appliquer ainsi la prise en charge multimodale est que tous les spécialistes formés à ces différentes approches soient disponibles. Un autre élément important est de ne pas sous-estimer les difficultés inhérentes à l’introduction, et plus encore au maintien, des changements désirés : le patient doit se sentir appuyé et soutenu par l’équipe soignante dans son parcours thérapeutique.
L’option chirurgicale consiste à offrir au patient obèse une intervention de chirurgie bariatrique. Elle peut être considérée comme une cinquième dimension de l’approche multimodale. La chirurgie est un traitement sûr et fiable, qui représente actuellement l’option la plus efficace pour induire une perte de poids importante et durable chez des patients sélectionnés adéquatement. Les modalités de prise en charge chirurgicale en Suisse sont définies avec précision par la SMOB. Elles impliquent une préparation médicale, nutritionnelle et psychologique des patients avant l’intervention, ainsi qu’un suivi régulier ensuite. Avant d’être opérés, les patients doivent consentir à un tel suivi à vie, et l’équipe interdisciplinaire doit s’engager à assurer ce suivi.
De fait, les patients désirant bénéficier d’une chirurgie bariatrique vont également être évalués et seront suivis selon les différentes dimensions de la prise en charge conservatrice multimodale décrite plus haut.
Les patients souffrant d’obésité devraient pouvoir être adressés à des centres offrant toute la panoplie des méthodes diagnostiques et thérapeutiques contemporaines, au moins pour les deux raisons suivantes :
L’importance d’évaluer les patients dans toutes les dimensions d’une pathologie complexe.
La nécessité d’offrir le traitement le plus approprié à un moment donné, en fonction des besoins spécifiques des patients plutôt que de la disponibilité de la prise en charge.
Ces deux exigences ont d’ailleurs parfaitement été reconnues par les recommandations anglaises les plus récentes. En effet, le National Institute of Health and Care Excellence (NICE) et le National Health Service (NHS) ont conjointement édicté des recommandations pour l’organisation des soins des patients obèses. Suivant une approche de médecine basée sur les preuves, ils proposent la mise en place de cliniques de gestion du poids destinées aux patients ayant besoin de soins spécialisés pour une obésité grave et complexe.3,6 Ces recommandations aboutissent à la création de centres intégrés de médecine de l’obésité, ou centres intégrés de médecine bariatrique.
Le modèle d’organisation des équipes interdisciplinaires proposé par les experts anglais3 pourrait facilement être adapté à n’importe quel système de santé, y compris en Suisse. Selon ce modèle, les équipes travaillent au sein du même centre (clinique de gestion du poids) et assurent la prise en charge conservatrice aussi bien que chirurgicale de l’obésité (figure 1). Les deux éléments fondamentaux suivants sont mentionnés :
L’interface avec les médecins de famille, afin de créer des voies de prise en charge entre ces derniers et les centres spécialisés selon un modèle de soins chroniques.
La transition des enfants/adolescents vers les soins adultes.
On peut en conclure que les différentes structures existantes spécialisées dans la prise en charge des patients obèses devraient évoluer vers de tels centres intégrés. La différence principale avec les équipes ou centres spécialisés existants est que des centres intégrés seront en mesure de proposer, en sus de l’option chirurgicale souvent privilégiée actuellement, toutes les modalités des thérapies conservatrices reconnues efficaces : traitement des comorbidités métaboliques, pneumologiques, cardiovasculaires et musculo-squelettiques, conseils diététiques, thérapie comportementale et psychothérapie, programmes de réentraînement par l’exercice physique (y compris physiothérapie), pharmacothérapie. En Suisse, de tels centres intégrés devraient toujours être soumis aux exigences de la SMOB et à son contrôle en ce qui concerne le versant chirurgical de leurs activités. Ils pourraient également toujours être catégorisés comme centres primaires ou de référence, selon les critères SMOB habituels. Il apparaît que de tels centres seraient également particulièrement bien équipés pour préparer les patients à des interventions de chirurgie bariatrique, et pour les suivre ensuite au long cours après l’intervention. Ils auraient l’avantage de concentrer en un lieu les soins aux patients obèses, et de leur proposer des programmes bien standardisés et des interventions reconnues et validées. Certaines dérives et débordements qui existent dans de nombreux pays, comme la France où le nombre d’interventions bariatriques a explosé de façon incontrôlée, pourraient probablement être prévenues.
La demande de prise en charge devrait en principe émaner du médecin de famille, qui demeure impliqué dans le suivi de son patient (figure 2). Dans les cas où une option purement conservatrice serait choisie, des objectifs réalistes pourraient être déterminés avec le patient, pour une intervention limitée dans le temps (par exemple deux ans). A la fin de la période définie, un bilan est effectué et la suite de la prise en charge peut être assurée par le médecin de famille.
Un avantage majeur découle du déroulement de la prise en charge multimodale décrite plus haut au sein d’un tel centre : les patients peuvent passer sans aucun obstacle d’une prise en charge conservatrice à une prise en charge chirurgicale ou vice-versa, avec les mêmes intervenants. Les projets thérapeutiques peuvent ainsi être personnalisés et évolutifs en fonction du cheminement des patients le long de leur trajectoire individuelle.
L’évaluation et la prise en charge des patients souffrant d’obésité constituent des activités médicales spécialisées. La complexité de la maladie et des comorbidités qui y sont associées implique que différents spécialistes doivent interagir pour le bien des patients. Le regroupement de ces différents intervenants au sein d’un même centre spécialisé, tel que recommandé par le NICE, devrait être favorisé à l’avenir. Il présente le double avantage de simplifier les prises en charge pour le patient, tout en améliorant les possibilités de personnalisation des interventions.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les approches thérapeutiques conservatrices et chirurgicales de l’obésité sévère font partie intégrante de la prise en charge multimodale du patient
▪ Le choix parmi les différentes alternatives possibles devrait être dicté par la situation clinique spécifique de chaque patient et ses objectifs personnels
▪ Les différentes modalités de prise en charge reconnues comme efficaces devraient être disponibles au sein de centres de médecine bariatrique, permettant la prise en charge intégrée et spécialisée des patients