Le syndrome métabolique est un ensemble de facteurs de risque cardiométabolique associant obésité abdominale, intolérance au glucose, voire un diabète de type 2, hypertension, hypertriglycéridémie et diminution du HDL-cholestérol. Les patients avec un syndrome métabolique ont souvent d’autres perturbations lipidiques, soit un excès de VLDL (very low density lipoprotein), IDL (intermediate density lipoprotein) et LDL (low density lipoprotein), communément regroupées sous le nom de dyslipidémie liée à l’obésité.1
Cette dyslipidémie est retrouvée dans 30–60 % des cas de surcharge pondérale ou d’obésité selon les études, expliquant en partie l’augmentation du risque de complications cardiométaboliques dans l’obésité, combinée à l’état inflammatoire à bas bruit et la résistance à l’insuline.1
Toutefois, d’autres patients obèses ne développent pas de dyslipidémie : une situation surnommée le « paradoxe de l’obésité ».1 Pour certains, ceci rejoint le concept d’obésité métaboliquement saine (metabolically healthy obesity). Ce sujet reste toutefois débattu, car certaines études montrent que cette entité se différencie du poids normal par des paramètres métaboliques à la limite de la norme, qui évolueront plus tard vers des complications cardiométaboliques.2
La prise en charge de la dyslipidémie liée à l’obésité est proche de la situation avec un poids normal. Après exclusion des causes secondaires de dyslipidémie, il convient d’estimer le risque cardiovasculaire à 10 ans adapté à la population suisse, selon le calculateur du Groupe de travail Lipides et Athérosclérose (www.gsla.ch). Les mesures non pharmacologiques sont en première ligne, puis une médication peut être ajoutée dans les situations à risque cardiovasculaire intermédiaire ou élevé pour abaisser le LDL-cholestérol (statines, ézétimibe). De plus, il est parfois nécessaire d’envisager un traitement ciblant les triglycérides (fibrates, niacine) pour abaisser le risque de pancréatite, mais ceci n’a pas été démontré comme aussi efficace que les statines sur le risque cardiovasculaire à long terme. Les situations complexes ou mixtes devraient être discutées avec un spécialiste en lipidologie.
Nous abordons ici la prise en charge nutritionnelle dans la dyslipidémie liée à l’obésité et référons les lecteurs à l’article d’Aubert et coll. pour la médication.3 En effet, une alimentation équilibrée et une activité physique régulière ont un rôle essentiel dans la prise en charge de l’obésité et la prévention des maladies cardiovasculaires. En outre, cette approche a l’avantage d’être plus économique que les médicaments et n’entraîne pas d’effets secondaires ou d’interactions.
Selon l’enquête nationale sur l’alimentation MenuCH, les Suisses de 18 à 75 ans consomment en moyenne 64 g de matières grasses par jour.4 Cette enquête révèle une répartition des graisses qui n’est pas idéale : la consommation d’huile végétale, fruits oléagineux et graines est inférieure aux recommandations, alors que la consommation en beurre, margarine, crème et autres sauces l’est au-delà. De plus, ces valeurs ne prennent pas en compte les graisses cachées.
Dans un effort de synthèse, nous résumons les recommandations de plusieurs sociétés savantes pour les apports en graisses. Les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et des Sociétés de nutrition allemande, autrichienne et suisse (acronyme des trois pays, DACH) présentent des recommandations pour la population générale, alors que celles de la Société européenne de cardiologie (ESC) ciblent les dyslipidémies et celles de l’Association américaine de diabétologie (ADA) le diabète (tableau 1).
Les recommandations actuelles tendent à viser une consommation modérée de graisses : 20–35 % de l’apport énergétique ou 40 % au maximum selon l’OFSP. Pour un apport journalier de 2000 kcal, cela représente 44–78 g de lipides (maximum 89 g selon l’OFSP) et il faut tenir compte des graisses cachées. Pour les graisses visibles, la Société suisse de nutrition (SSN) recommande une consommation de 2 à 3 cuillères à soupe (20–30 g) d’huile végétale ajoutée, dont au moins la moitié sous forme d’huile de colza, ainsi qu’environ 10 g de beurre, margarine ou crème. Elle recommande également une poignée (20–30 g) de fruits à coques non salés ou de graines. Pour les graisses cachées, l’apport est rapidement atteint sachant qu’un pain au chocolat en contient en moyenne 16 g, une saucisse de veau 26 g et le gruyère 16 g (par portion de 50 g).
Depuis les années 1960, les recommandations tendent vers une consommation restreinte en cholestérol alimentaire car ce dernier est associé à un risque cardiovasculaire accru. Une revue systématique publiée en 2015 remet ceci en doute, avec l’absence de corrélation entre le cholestérol alimentaire et les maladies cardiovasculaires.5 Ainsi, les recommandations actuelles de l’OFSP, DACH et ADA n’incluent plus de limite numérique quant à la consommation de cholestérol alimentaire. Cet élément reste discuté et pourrait changer dans le futur.
Les acides gras saturés augmentent le LDL-cholestérol.6 Ils devraient représenter < 10 % de l’apport énergétique total selon l’OFSP et l’ESC. Le remplacement partiel des graisses saturées par des graisses mono et polyinsaturées permettrait même une réduction de l’incidence des événements cardiovasculaires. Cette modification semblerait plus favorable qu’une diminution des lipides totaux.7
Pour les acides gras monoinsaturés, l’OFSP propose une consommation de 10–15 % de l’apport énergétique total. Le remplacement des acides gras saturés par des acides gras monoinsaturés semble bénéfique sur le risque cardiovasculaire. Ils diminueraient les triglycérides et augmenteraient le HDL-cholestérol à court terme, toutefois leur impact à long terme reste discutable.8
Les acides gras trans- sont connus pour augmenter le LDL-cholestérol et diminuer le HDL-cholestérol.6 Ils devraient être limités à < 1 % de l’apport énergétique total selon l’ESC.
Pour les acides gras polyinsaturés, l’acide alpha-linolénique (ALA, oméga 3, tableau 1) devrait être consommé à raison de 2,5–10 % de l’apport énergétique total. Les données scientifiques sur l’effet du rapport oméga 3/oméga 6 sur le risque cardiovasculaire étant insuffisantes, ces recommandations ont été retirées. La source principale d’oméga 3 est le poisson gras : la SSN recommande 1 à 2 portions de 100–120 g par semaine en privilégiant du poisson issu de pêche durable et labellisé. Comme la consommation en Suisse de poissons et crustacés est inférieure aux recommandations, soit 119 g par personne par semaine, l’OFSP recommande un complément de 500 mg d’acides eicosapentaénoïque et docosahexaénoïque (tableau 1),9 même si ceci est peu suivi dans la pratique.
La réduction des graisses dans les aliments se fait souvent au prix d’une teneur augmentée en hydrates de carbone (glucides). Lors des recommandations aux patients, il faut donc aussi s’intéresser à l’apport alimentaire en glucides, dont nous résumons ici les recommandations de l’OFSP, SSN, DACH, ADA et ESC (tableau 2).
Les glucides totaux devraient constituer 45–55 % de l’apport énergétique quotidien, alors que l’ADA ne propose plus de données chiffrées préconisant plutôt une répartition individualisée.
L’effet des sucres libres ou ajoutés est fortement suspecté dans l’augmentation de la prévalence de l’obésité et des maladies métaboliques. Il ne faudrait pas dépasser les 10 % de l’apport énergétique total. La recommandation conditionnelle de l’OMS propose même une diminution à 5 %.10
Les triglycérides augmentent lors de consommation importante de sucres simples, le fructose en particulier, de manière dose-dépendante. Une consommation de fructose correspondant à 15–20 % des apports énergétiques peut entraîner une augmentation de 30–40 % des triglycérides.6,11 Les mécanismes biologiques ne sont pas complètement élucidés : certains auteurs évoquent l’effet de la quantité importante de fructose sur la production de trioses-phosphates dans le foie, ce qui stimule la glucogenèse, la synthèse de glycogène et celle de novo d’acides gras. Les acides gras néoformés contribueraient alors à la sécrétion de triglycérides dans les VLDL.12
Les recommandations s’accordent pour une consommation riche en fibres sous forme de légumes, fruits, céréales complètes, légumineuses et oléagineux, entre 25 et 40 g par jour. Les fibres ont un pouvoir rassasiant et améliorent le transit intestinal. Leur consommation sous forme de fibres solubles permet également une diminution du cholestérol total et du LDL-cholestérol.13
Une consommation modérée d’alcool (≤ 1 verre par jour) est associée à une réduction du risque cardiovasculaire comparée à une abstinence.14 Pour éviter des dérives, toute recommandation devrait être individualisée. De plus, la consommation d’alcool est corrélée à l’augmentation des triglycérides sanguins, raison pour laquelle l’ESC recommande une abstinence totale lors d’hypertriglycéridémie.6
La prise en charge de la dyslipidémie liée à l’obésité est proche de la situation avec un poids normal. Dans la pratique, le traitement médicamenteux hypolipémiant est rarement utile, même si certains auteurs préconisent une médication différente pour certains types de dyslipidémie, une approche intéressante mais qui n’a été testée dans aucune étude clinique.1
Une alimentation équilibrée et une activité physique régulière sont primordiales dans la prise en charge de l’obésité et la prévention des maladies cardiovasculaires, en prenant soin d’éviter la restriction alimentaire. Pour permettre le maintien à long terme, le patient devrait bénéficier de conseils et d’un soutien de plusieurs professionnels de la santé, par exemple des médecins en collaboration avec des diététiciennes diplômées, avec une approche éducative. Plusieurs études ont démontré la diminution du LDL-cholestérol et/ou des événements cardiovasculaires chez des patients pris en charge par une équipe multidisciplinaire comparée à une prise en charge médicale seule.15
Pour répondre aux besoins des patients avec une dyslipidémie (associée ou non avec une obésité), nous avons développé un atelier pluridisciplinaire animé par des médecins et diététiciennes. Il s’inscrit dans une démarche complémentaire aux consultations individuelles avec les diététiciennes et médecins de la consultation spécialisée des lipides EDM du CHUV et permet d’aborder les connaissances et croyances des patients, de rappeler l’utilité de cibler les graisses sur le plan alimentaire et d’expliquer le rôle des traitements hypolipémiants lorsqu’ils sont indiqués.
L’objectif est d’aider le patient à acquérir les connaissances nécessaires sur la dyslipidémie et la nutrition adéquate. Il s’agit d’un atelier interactif au cours duquel les recommandations sont présentées lors d’activités pratiques. Les patients sont, par exemple, amenés à quantifier les matières grasses cachées et visibles dans les aliments et à réfléchir à des propositions pour réduire ces quantités. L’objectif étant que les connaissances acquises lors de cet enseignement soient transposables au quotidien.
Les effets de la nutrition sur la dyslipidémie liée à l’obésité ne sont plus à démontrer. Pris individuellement, l’effet de chaque mesure nutritionnelle paraît faible (1–15 % de réduction du LDL-cholestérol) comparés aux effets des médicaments. Toutefois, lorsque ces effets sont cumulés, une baisse du LDL-cholestérol jusqu’à 20–30 % peut être atteinte. De ce fait, nous conseillons d’aborder en premier lieu les aspects nutritionnels de la prise en charge de la dyslipidémie avec chaque patient, avant même d’aborder la médication.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’obésité est souvent associée à une dyslipidémie combinant une élévation des triglycérides, parfois du LDL-cholestérol, ainsi qu’une diminution du HDL-cholestérol
▪ La prise en charge de la dyslipidémie liée à l’obésité est proche de la situation avec un poids normal ; elle comprend surtout des conseils nutritionnels et sur l’activité physique, alors que la médication est moins souvent nécessaire
▪ Pour le maintien à long terme, les conseils et le soutien multidisciplinaires par plusieurs professionnels de santé sont plus efficaces que des entretiens seulement avec le médecin
▪ L’apport énergétique quotidien devrait être réparti en 45–55 % sous forme de glucides, 20–35 % de lipides et 10–20 % de protéines pour tous. En particulier dans l’obésité, on devrait en plus viser une diminution globale des apports caloriques et une augmentation de l’activité physique