On peut lire, à la date du 1er mars 2018, dans le Journal Officiel de la République française, un document sans précédent connu.1 Signé d’Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il concerne le CHU de Saint-Etienne et son « pôle psychiatrie ». Mme Hazan y résume les constats qu’elle a pu faire lors d’une visite réalisée du 8 au 15 janvier 2018. Soit « des situations individuelles, des dysfonctionnements et des conditions de prise en charge, qui permettent de considérer que les conditions de vie de certaines personnes hospitalisées constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les constats les plus graves intéressent les prises en charge aux urgences, les pratiques d’isolement et de contention et l’exercice des droits des patients. »
Le lecteur doit ici savoir qu’au sein du CHU de Saint-Etienne, les services de psychiatrie sont regroupés au sein d’un pôle qui comprend la psychiatrie adulte, la pédopsychiatrie et des activités intersectorielles comme une unité d’urgences psychiatriques. La psychiatrie adulte dispose « de 216 lits et 228 places », la pédopsychiatrie « de 14 lits et 64 places ». En dehors des hospitalisations programmées, tous les patients sont initialement pris en charge par les urgences générales du centre hospitalier. Or, depuis plus de cinq ans, les patients qui sont ainsi accueillis, peinent à pouvoir être hospitalisés dans une unité d’hospitalisation complète ou à l’unité de post-crise appelée « urgences psychiatriques ».
« Ce dysfonctionnement majeur a conduit les soignants à accepter l’instauration de pratiques contraires au droit, comme d’ailleurs à leur volonté première » écrit Mme Hazan. Cette dernière a ainsi constaté, au moment de la visite, la présence aux urgences générales du CHU, de vingt patients relevant de la psychiatrie en attente de places. « Treize de ces vingt patients attendaient allongés sur des brancards dans les couloirs mêmes des urgences. Sept patients faisaient l’objet de contentions au niveau des pieds et d’une ou des deux mains, écrit encore Mme Hazan. Deux de ces patients attachés étaient en soins libres, les autres étant en soins sans consentement à la demande du représentant de l’Etat ou à la demande d’un tiers. »
La psychiatrie ne doit plus être la variable d’ajustement budgétaire dans les hôpitaux généraux
« Ces sept personnes se trouvaient aux urgences depuis des durées allant de quinze heures à sept jours, cinq étant présents depuis plus de trois jours, peut-on lire dans le Journal Officiel de la République française. Ils n’avaient pu ni se laver, ni se changer, ni avoir accès à leur téléphone portable. Trois d’entre eux devaient user d’un urinal posé le long de leur jambe sur le brancard au-dessus du drap. Or aucun de ces patients ne présentait d’état d’agitation, certains demandant juste à pouvoir être détachés, sans véhémence, dans une forme de résignation et d’acceptation. Les contentions étaient visibles de toute personne circulant dans les couloirs des urgences, notamment des patients souffrant d’autres pathologies et de leurs familles. Les entretiens avec les médecins et infirmiers, comme la délivrance des traitements, s’effectuaient sans aucune confidentialité. »
Emotion médiatique, reprise du sujet dans les médias généralistes français. Silence total au ministère des Solidarités et de la Santé. Nous avons tenté de comprendre, interrogé différents spécialistes français de psychiatrie. Extraits choisis.
Dr Bernard Granger, professeur de psychiatrie (Université Paris Descartes), et médecin des hôpitaux de Paris :
« La situation stéphanoise, caricaturale ou caricaturée, résulte du manque de lits d’aval et d’un manque de moyens humains, alors que le pôle de psychiatrie est bénéficiaire et que l’on refuse au chef de pôle ce qu’il demande pour travailler dans de meilleures conditions. Dans beaucoup d’hôpitaux, les responsables des structures de psychiatrie vivent cette situation.
Il y a près de dix ans, Thierry Haustgen, psychiatre, écrivait :2 ” Depuis trois ans se multiplient, sur les rayons des librairies, les ouvrages dénonçant l’état alarmant des soins psychiatriques en France. Ils émanent tantôt de praticiens de terrain, tantôt de journalistes d’investigation. (…) Si les causes du mal et les remèdes varient d’un auteur à l’autre, tous s’accordent sur le diagnostic.“ La situation ne s’est pas arrangée. Elle semble même s’être aggravée.
Alors que l’organisation des soins est plutôt bien pensée, avec un maillage étroit du territoire grâce à la sectorisation, et des soins de recours le plus souvent de grande qualité dans les CHU, les moyens déployés sont insuffisants. De plus, dans nombre d’hôpitaux universitaires ou généraux, les sommes allouées à la psychiatrie par l’Etat (dotation annuelle de financement) sont détournées pour d’autres fins, souvent pour combler les déficits hospitaliers provoqués mécaniquement par ce même Etat. »
Dr Pierre Zanger, psychiatre, vice-président de SOS Addictions :
« Depuis des années, les atteintes gravissimes aux libertés fondamentales des patients en psychiatrie publique (enfermement, isolement et contention en premier lieu) sont en France dénoncées par les divers contrôleurs. Rappelons que les internements illégaux, qui se multiplient comme des petits pains dans la quasi–totalité des établissements de psychiatrie publique – y compris les plus prestigieux – sont assimilables au regard de la loi à un crime, à un kidnapping, une séquestration…
Il y a eu et il y a pourtant des investissements : multiplication des types et du nombre de nouvelles unités d’enfermement, unités auxquelles certains patients préfèrent de plus en plus la prison… Et quand on sait ce que vivent les malades mentaux (je pense aux psychotiques) en prison, on devrait fortement s’inquiéter d’une telle préférence. Multiplication des chambres d’isolement honteusement rebaptisées chambres de ’’soins intensifs’’, alors que c’est de rupture de lien, de solitude dont souffrent ceux qui y sont abandonnés, et aménagées le plus en périphérie des services, le plus à l’écart. La sangle ne remplace pas le lien humain. Des caméras en contrepartie qui pullulent comme des champignons, bientôt des gilets, voire des matraques pour “protéger” les soignants (…) le fléau de la mise en chambre d’isolement et celui de la contention, sans même parler de la fermeture à clé des services y compris pour ceux qui sont en service dit “libre” (…) ».
Pr Jean-Pierre Olié (Académie nationale française de médecine) :
« Plus que des enveloppes budgétaires, c’est une réflexion pour une meilleure organisation de l’offre de soins qui, en urgence, s’impose. Notre pays n’est pas avare en dépenses pour la santé mais la psychiatrie ne doit plus être la variable d’ajustement budgétaire dans les hôpitaux généraux. Quant aux psychiatres, ils doivent concentrer leur temps de travail sur leur cœur de métier et laisser d’autres professionnels, infirmiers et psychologues, exercer leurs compétences au bénéfice des patients.
Désormais, il n’y a pas davantage lieu de croire en l’existence d’écoles (divergentes) de psychiatrie que d’écoles de cardiologie ou d’autres spécialités médicales. La psychiatrie a atteint un niveau de maturité, c’est-à-dire de connaissances, de savoir-faire et de thérapeutiques ayant fait la preuve de leur efficacité… voire de leurs limites. Dès lors, tout patient est en droit d’exiger que lui soient proposés ces outils, qu’ils soient biologiques, psychothérapiques ou autres. C’est encore, hélas loin, d’être le cas… Il est possible de longtemps mal travailler en psychiatrie sans que cela se voit. A l’inverse, un travail de qualité est rapidement perceptible. Les crédits alloués aux établissements psychiatriques ne doivent plus se faire sans un effort d’évaluation : de l’offre, de sa qualité, de ses résultats… ».