La recherche sur le traitement médicamenteux du cancer a incroyablement avancé ces dernières années, et les progrès s’accélèrent. Quelle que soit la discipline d’origine des acteurs engagés dans cette lutte, tous poursuivent un même but : mieux comprendre les cancers en vue de proposer des traitements toujours plus efficaces et mieux adaptés au profil de chaque patient et de sa tumeur, générant le moins d’effets secondaires possibles. Les traitements ont ouvert la voie à une médecine dite de précision s’appuyant sur un large nombre d’analyses afin de décrire, entre autres, l’immunogénicité et les caractéristiques génétiques de chaque cancer. Face à cette complexité, d’autres disciplines scientifiques, toujours plus pointues, s’allient à l’oncologie médicale dans la lutte contre les cancers. Bio-informatique, mathématique, biologie moléculaire, immunologie, physique, imagerie de pointe, médecine nucléaire, sont autant de ces disciplines se rajoutant à notre approche fondamentalement interprofessionnelle.
La question est morale mais aussi politique
Il devient impossible aujourd’hui de ne pas entendre les espoirs mis en lien avec l’introduction des derniers anticancéreux. Les médias sont remplis d’histoires de patients ayant reçu ce que certains considèrent comme une seconde chance. Cependant, à côté de ces réels récits de triomphe, les histoires de patients n’ayant aucun accès à ces médicaments potentiellement sauveurs de vies, pour des raisons politiques, de coûts, d’accessibilité – reflets d’iniquités face à la même maladie – sont moins populaires.
Cette rhétorique est révélatrice d’une société verbalisant un impératif d’accès. Par ces termes, nous répétons le parcours de ces patients atteints de maladies mortelles, à l’image historique des militants du sida qui ont dû lutter pour accélérer l’approbation réglementaire permettant de pouvoir accéder aux thérapies. Cette urgence semble s’amplifier, conduisant aux questionnements récents sur l’adéquation des systèmes de réglementation et de remboursement existants – alors que certains médicaments pourraient faire transformer des maladies en stade palliatif en possibles guérisons.
En réponse à cette pression temporelle, de nombreux pays ont introduit des programmes formels permettant un accès accéléré en améliorant l’efficacité de processus décisionnels actuels – comme par exemple en Europe, au Japon, aux Etats-Unis et au Canada. D’autres initiatives se révèlent plus problématiques car elles suspendent ou érodent le processus standard de vérification des normes de sécurité ou d’efficacité. De nombreuses juridictions ont en effet introduit des systèmes qui permettent l’approbation provisoire des médicaments sur la base de données moins complètes que précédemment, systèmes fragilisant potentiellement les structures de santé à terme.
Au-delà des délais, les préoccupations basiques d’accessibilité deviennent sévères. Le coût des médicaments anticancéreux est un problème global. Une analyse des changements dans les prix des médicaments anticancéreux au fil du temps indique que le prix médian de lancement des nouveaux médicaments a augmenté dans chaque décennie des années 1960 à aujourd’hui.
Aux Etats-Unis, le prix moyen d’un nouveau médicament anticancéreux peut dépasser 100 000 USD par an ou par cours de traitement. Et si les pays dits riches arrivent encore à faire face à de tels montants, qui ne forment qu’une partie du coût des traitements, il n’en est pas de même ailleurs. Lorsque les prix nationaux des médicaments sont référés au pouvoir d’achat par habitant dans le même pays, les médicaments anticancéreux sont inabordables dans les pays économiquement en développement.1
Quel est le juste prix d’une intervention qui peut prolonger la vie ? La question est morale mais aussi politique. Le prix de plus en plus élevé des frais de santé, dont celui des médicaments anticancéreux, ne pourra plus être toléré par les sociétés. Outre les effets directs sur les patients atteints de cancer, les coûts des médicaments anticancéreux peuvent également avoir des effets sur les programmes d’assurances maladie et, plus généralement, sur l’économie des pays dans la mesure où leur contribution au coût total du système de santé devient potentiellement inacceptable. Les dépenses en médicaments anticancéreux par habitant ont augmenté dans de nombreux pays à travers le monde, et les dépenses en médicaments anticancéreux devraient continuer d’augmenter de 5 à 10 % par année.2 Aujourd’hui déjà, aucun système de santé ne peut se permettre de mettre tous les nouveaux médicaments anticancéreux à la disposition des patients.
A l’ère des traitements ciblés et des immunothérapies novatrices et coûteuses, nos efforts collectifs doivent se centrer sur des preuves d’efficacité, des prix ajustés, un accès équitable et un remboursement juste et priorisé en lien avec la valeur thérapeutique de chaque médicament.
Un concept d’analyse d’amplitude du bénéfice a récemment été conceptualisé par plusieurs sociétés savantes, employant des approches, mesures et interprétations variables. Un exemple est le nouvel outil développé par l’ESMO (European Society for Medical Oncology). L’échelle de mesure de l’amplitude du bénéfice clinique (Magnitude of Clinical Benefit Scale (MCBS)4 a été créée pour donner un aperçu du degré d’amélioration clinique des nouveaux médicaments approuvés par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) dans des contextes curatifs ou palliatifs. Cet outil permet de qualifier les médicaments sur la base des essais cliniques conduits, ce qui signifie que le score peut changer avec le temps à mesure que de nouvelles données deviennent disponibles.
L’objectif de cet outil est d’identifier les médicaments nouvellement approuvés qui devraient être remboursés dans toute l’Europe avec un accès rapide, et faciliter un débat critique sur la disponibilité de médicaments contre le cancer dont l’impact objectif n’a pas le même niveau de priorité.
Cette initiative ouvre aussi la voie à une réflexion sur les prix de façon objective, permettant de se défaire d’une position assujettie à certains concepts régissant certaines économies de marché. Plus avant, nous pensons qu’un remboursement basé sur le bénéfice et les valeurs de référence locale – soit une adaptation géographique calculée sur l’environnement économique – devrait s’y greffer.
La problématique des coûts des médicaments doit aujourd’hui trouver d’autres solutions que celle de brutalement priver nos patients d’avoir accès de façon équitable à de potentiels bénéfices cliniques significatifs.
Dans notre pays, en meilleure posture que la plupart de nos voisins, nous devons chercher des solutions transitoires alternatives de financement, et garder à l’esprit qu’un patient guéri « remboursera » le coût de sa médication à la société en fin de chaîne d’un calcul complexe – que personne n’effectue correctement.
Nous devons rester actifs dans une recherche académique en réseau
Nous devons rester actifs dans une recherche académique en réseau, la plus productive et la moins dépensière pour le progrès. Plus avant, nous devrons exiger des entreprises une transparence dans la définition des prix des médicaments et requérir une attitude de consensus à l’égard des prix entre ces industries – financièrement saines.
Pour finir, notre système d’assurance maladie doit accepter un meilleur contrôle pour éviter toute sélection injustifiée des patients, mais aussi connaître la marge de manœuvre précise au fil du temps en termes de dépenses dévolues à l’oncologie.
Ce sujet nécessite un engagement politique de la communauté large des soignants, prestataires de soins, de l’industrie et des payeurs, avec le soutien des patients qui sont les potentiels bénéficiaires et en définitive les vrais payeurs. Si les médecins, les assureurs, les autorités sanitaires et l’industrie pharmaceutique ne réfléchissent pas ensemble aux solutions5 et à de nouveaux modèles de financement, les avancées formidables de l’oncologie risquent d’être réservées à ceux qui peuvent se les offrir, et non à qui en bénéficierait vraiment.