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ISO 690 Frigeri, M., Brnic-Bontognali, M., Galetti, V., Dietrich, P., Bodmer, A., « Docteur, je jeûnelors de la chimiothérapie » : illusion ou nouvelle réalité clinique ?, Rev Med Suisse, 2018/607 (Vol.14), p. 1034–1036. DOI: 10.53738/REVMED.2018.14.607.1034 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2018/revue-medicale-suisse-607/docteur-je-jeunelors-de-la-chimiotherapie-illusion-ou-nouvelle-realite-clinique
MLA Frigeri, M., et al. « Docteur, je jeûnelors de la chimiothérapie » : illusion ou nouvelle réalité clinique ?, Rev Med Suisse, Vol. 14, no. 607, 2018, pp. 1034–1036.
APA Frigeri, M., Brnic-Bontognali, M., Galetti, V., Dietrich, P., Bodmer, A. (2018), « Docteur, je jeûnelors de la chimiothérapie » : illusion ou nouvelle réalité clinique ?, Rev Med Suisse, 14, no. 607, 1034–1036. https://doi.org/10.53738/REVMED.2018.14.607.1034
NLM Frigeri, M., et al.« Docteur, je jeûnelors de la chimiothérapie » : illusion ou nouvelle réalité clinique ?. Rev Med Suisse. 2018; 14 (607): 1034–1036.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2018.14.607.1034
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cancer
16 mai 2018

« Docteur, je jeûnelors de la chimiothérapie » : illusion ou nouvelle réalité clinique ?

DOI: 10.53738/REVMED.2018.14.607.1034

Fasting concomitantly with oncology treatments (chemotherapy mainly) induces a growing interest among patients following overmediatisation of recent discoveries. The goal of this article is to provide updated information about this approach. According to preclinical studies, fasting may be a way to increase the therapeutic index of major oncology treatments. However, clinical data is based on small exploratory studies only and the results of larger scale studies are not yet available. The approach of fasting during chemotherapy can and should neither be recommended nor implemented in standard care. However, further scientific and clinical investigation may contribute to a better understanding of the metabolic aspects of cancer.

Résumé

Jeûner au cours des traitements oncologiques (de la chimiothérapie en particulier) génère un intérêt croissant auprès des patients suite à la surmédiatisation de récentes découvertes. Le but de cet article est de faire un état des lieux sur les bases scientifiques de cette approche. Selon des études précliniques, le jeûne pourrait augmenter l’index thérapeutique des principaux traitements oncologiques. Mais les données cliniques manquent cruellement, malgré quelques données émanant de petites études exploratoires. Les études à plus grande échelle sont en cours. Aujourd’hui, l’approche du jeûne pendant la chimiothérapie ne peut et ne doit être ni recommandée ni introduite dans des protocoles de soins. Son étude peut par contre améliorer la compréhension des aspects métaboliques du cancer.

Introduction

Nous sommes fréquemment interpellés par nos patients sur des questions nutritionnelles. Celles concernant le jeûne lors de la chimiothérapie sont particulièrement complexes. Il n’existe pas de données scientifiques pouvant le déconseiller formellement, alors qu’apparaissent quelques publications essayant de démontrer les bienfaits du jeûne intermittent. Cet article a pour but de partager les connaissances précliniques et cliniques sur la question du jeûne de courte durée concomitant aux traitements oncologiques.

Bases biologiques du concept

Les voies de communication intracellulaire (IP3K/AKT/mTOR et RAS/BRAF/ERK en particulier) sont responsables de la prolifération, de la croissance et du vieillissement cellulaires. Dans les cellules normales, elles sont habituellement dépendantes de facteurs humoraux (insulin-like growth factor 1 – IGF-1) et nutritionnels (glucose et acides aminés). Dans les cellules cancéreuses au contraire, elles sont souvent activées de façon constitutive. Cette différence fondamentale est la base expliquant que cellules normales et cancéreuses peuvent réagir différemment à un jeûne intermittent.

En effet, lors d’un jeûne, les cellules saines, privées d’IGF-1, de glucose et d’acides aminés, acquièrent un état de survie/maintenance qui les protège d’événements stressants comme les agressions toxiques ou physiques. Les cellules cancéreuses ont, en revanche, perdu cette capacité. Cette différence de résistance au stress (DSR – Differential stress resistance) est le principe de l’effet protecteur du jeûne sur les cellules saines, pouvant réduire sur elles les effets secondaires de la chimiothérapie.1 Quant à elles, les cellules cancéreuses ne sont pas capables de s’adapter au jeûne. Lors d’un jeûne, elles développent un stress oxydatif qui les sensibilise aux effets toxiques des traitements oncologiques. La sensibilisation différentielle au stress (DSS – Differential stress sensitization) est le principe grâce auquel le jeûne augmenterait l’effet des traitements anticancéreux sur les cellules tumorales.2 Au total, il en résulte que les effets combinés des DSR et DSS s’associent et permettraient d’augmenter l’index thérapeutique en protégeant les cellules saines, tout en créant un stress supplémentaire pour les cellules cancéreuses (figure 1).

Fig 1

Effets différentiels du jeûne sur une cellule normale et sur une cellule cancéreuse

IGF-1 : Insulin-like growth factor-1 ; RAS, mTOR : voies de communication intracellulaire.

Données précliniques

La première étude testant la théorie du DSR a été publiée en 2008. Cet essai a évalué la survie de deux groupes de souris après l’administration de doses suprathérapeutiques de chimiothérapie (étoposide). Un groupe était à jeun depuis 48 heures, l’autre nourri à volonté. Le groupe à jeun a eu une mortalité moindre.1 D’autres travaux ont ensuite évalué la théorie du DSS, en montrant que les cellules tumorales étaient plus sensibles à l’effet toxique de la chimiothérapie suite à un jeûne. Dans ces études, l’augmentation des radicaux libres et des dégâts sur l’ADN dans les cellules tumorales a été corrélée avec une augmentation de la cytotoxicité de la chimiothérapie lorsqu’elle était associée au jeûne.2 Dans des expériences sur des modèles murins de xénogreffe d’adénocarcinome pulmonaire et de mésothéliome, une autre équipe a, par ailleurs, démontré que la diminution du volume tumoral était significativement plus importante lorsque la chimiothérapie était associée au jeûne.3

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Dans les modèles précliniques, le potentiel du jeûne ne semble pas se limiter à la chimiothérapie. En effet, des résultats similaires ont été observés avec la radiothérapie dans des modèles murins de xénogreffe de glioblastome,4 ou avec des inhibiteurs de tyrosine kinase dans d’autres modèles murins de xénogreffe.5 Par ailleurs, des travaux récents montrent que le jeûne améliore l’activation des lymphocytes CD8 cytotoxiques anticancéreux, suggérant ainsi une synergie potentielle avec les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire qui sont entrés dans l’arsenal thérapeutique de nombreux cancers.6

Données cliniques

Il existe de nombreuses difficultés pour construire les études cliniques permettant de tester l’effet du jeûne. La technique du jeûne n’est pas standardisée. Sa durée est variable, le jeûne est effectué de préférence avant et après la chimiothérapie, mais sa place temporelle exacte par rapport à la chimiothérapie est incertaine. De plus, la composition du régime de jeûne n’est pas établie. En effet, les conséquences métaboliques du jeûne se produisent aussi sans un jeûne total, avec un régime hypocalorique, pauvre en glucides et protéines, stimulant ainsi le métabolisme lipidique.7,8 Certains préconisent donc un régime imitant le jeûne (fasting mimicking diet) qui serait mieux toléré et améliorerait la compliance.

Même si plusieurs études cliniques sont en cours pour mieux comprendre les effets de cette association (tableau 1),9 seules trois études ont été publiées à l’heure actuelle. Toutes investiguent le DSR, aucune n’a encore fourni des résultats sur le DSS. Les premières expériences cliniques sur le jeûne en concomitance de la chimiothérapie ont concerné dix patients souffrant de cancers différents, ayant volontairement jeûné au cours de certains ou de tous les cycles de leur chimiothérapie, pendant des périodes variables, entre 140 heures avant et 56 heures après le traitement. Les symptômes rapportés par les patients ont été gradés selon les standards internationaux. Sur les dix participants, six ont aussi effectué des traitements avec une alimentation normale, permettant la comparaison de 24 cycles de chimiothérapie en concomitance du jeûne avec 18 cycles de chimiothérapie sans jeûne concomitant. Une diminution des effets secondaires durant les cycles avec jeûne a été objectivée, principalement la fatigue et les toxicités gastro-intestinales (figure 2). Aucun effet négatif lié à cette intervention n’a été relevé, mais il est important de souligner les limites méthodologiques de cette étude préliminaire.10

Tableau 1

Liste des études en cours sur le jeûne en concomitance de la chimiothérapie

* résultats pas encore publiés ; USC : University of Southern California ; N : nombre de patients à inclure ; QoL : qualité de vie.

Fig 2

Gradation moyenne des symptômes chez les patients ayant reçu une chimiothérapie avec ou sans jeûne

La seconde étude avait pour but d’établir la durée de jeûne tolérable, selon une approche classique d’escalade de dose. Vingt patients traités par des chimiothérapies à base de dérivés de sels de platine ont été enregistrés. Ils ont été répartis dans trois groupes de jeûne de durée différente, 24 (n = 6) et 48 heures (n = 7) avant la chimiothérapie, ou 72 heures (n = 7) réparties en 48 heures avant et 24 heures après l’administration de la chimiothérapie. Deux patients, un du deuxième et un du troisième groupe, n’ont pas été inclus dans l’analyse. Toutes les calories ingérées pendant ces jours ont été enregistrées. Les critères de faisabilité ont été définis comme étant au moins trois patients sur les six inclus dans chaque groupe, consommant ≤ 200 kcal par 24 heures pendant la période de jeûne durant deux cycles de chimiothérapie consécutifs et n’ayant pas présenté d’effets secondaires graves liés au jeûne. Le stress oxydatif a été mesuré dans les leucocytes grâce à la quantification des dommages induits à l’ADN par une technique d’électrophorèse (COMET assay). Le collectif comportait 85 % de femmes d’un âge médian de 61 ans. Les critères de faisabilité pour un jeûne de 72 heures ont été atteints. Les effets secondaires du jeûne semblent légers, les plus fréquents relevés ont été une fatigue, des céphalées et des vertiges. Le prolongement du jeûne semble inversement proportionnel aux dommages de l’ADN leucocytaire. L’étude rapporte aussi une diminution des neutropénies de grade 3‑4 dans les groupes ayant jeûné 48 et 72 heures en comparaison d’un jeûne de 24 heures.11 Sur ces bases, une étude randomisée (NCT00936364) est en cours pour étudier les effets du jeûne de 72 heures concomitant à la chimiothérapie.

La seule étude randomisée, publiée à l’heure actuelle (NCT01304251) est exploratoire et comporte de très nombreux biais limitant son interprétation. Des patientes traitées pour un cancer du sein précoce, recevant une chimiothérapie adjuvante à base d’anthracyclines et de taxanes, ont été randomisées en deux groupes, le premier expérimental où était associé à la chimiothérapie un jeûne 24 heures avant et 24 heures après son administration, le deuxième groupe, contrôle, où l’alimentation était libre, selon les recommandations de nutrition saine. L’intensité des symptômes et des toxicités a été gradée selon les standards internationaux. Une mesure des dommages à l’ADN dans les monocytes périphériques a également été effectuée, en analysant le niveau d’expression d’une protéine du groupe des histones (γ -H2AX) par cytométrie de flux. Treize patientes ont été incluses dans cette étude exploratoire, dont sept dans le groupe expérimental. Le jeûne a été bien toléré, sans différence significative en termes de toxicités non hématologiques. Le taux des érythrocytes et des thrombocytes à sept jours postchimiothérapie était, par contre, plus haut dans le groupe expérimental. La mesure des dommages au niveau de l’ADN monocytaire a révélé un taux plus bas dans le groupe expérimental parlant en faveur d’un effet de protection cellulaire lié au jeûne. Malheureusement, l’absence d’objectif primaire et les comparaisons multiples limitent fortement l’interprétation de l’ensemble des données, et l’utilisation systématique de G-CSF (facteur de croissance des granulocytes) prophylactique ne permet pas de juger la toxicité leucocytaire.12

Conclusion

Les données disponibles actuellement découlent d’études précliniques ou exploratoires et sont insuffisantes pour établir des recommandations. Beaucoup de questions sont encore ouvertes. Aucune méthode standardisée n’a été établie concernant le type de diète, sa durée et sa temporalité par rapport au traitement. Il est donc urgent d’attendre les résultats des études en cours pour pouvoir mieux percevoir l’effet éventuel de cette méthode nutritionnelle sur la qualité de vie des patients et sur l’efficacité des traitements oncologiques. Il n’en reste pas moins que le métabolisme de la cellule cancéreuse est différent de celui de la cellule normale. Poursuivre et intensifier la recherche dans ce domaine ouvriront certainement des pistes pour de nouvelles stratégies thérapeutiques, et le jeûne pendant les traitements sera peut-être l’une d’entre elles !

Conflit d’intérêts :

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Implications pratiques

▪ Les données actuellement à disposition ne permettent pas d’introduire le jeûne dans la pratique clinique

▪ L’étude du jeûne a un rôle important dans la compréhension des aspects métaboliques du cancer et dans la recherche de nouveaux traitements

▪ Les effets métaboliques du jeûne peuvent être obtenus avec un régime imitant le jeûne (fasting mimicking diet) : hypocalorique, pauvre en glucides et protéines, stimulant le métabolisme lipidique

Auteurs

Mauro Frigeri

Service d’oncologie, Département d’oncologie
HUG, 1211 Genève 14
mauro.frigeri@hcuge.ch

Marica Brnic-Bontognali

Scientifique alimentaire, Conférencière pour la Haute école spécialisée à distance Suisse
8092 Zurich
marica.brnic@ffhs.ch

Valeria Galetti

Scientifique alimentaire, Laboratoire de nutrition humaine, Ecole polytechnique fédérale
8092 Zurich
valeria.galetti@hest.ethz.ch

Pierre-Yves Dietrich

Département d’oncologie
Hôpitaux universitaires de Genève

Alexandre Bodmer

Service d’oncologie médicale – Centre du sein, Département d’oncologie, Hôpitaux universitaires de Genève
1211 Genève 14
alexandre.bodmer@hcuge.ch

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