La médecine de premier recours doit être un des leaders proposant des nouveaux modèles nous permettant de nous assurer que les soins, la prévention et la formation soient bien délivrés aux patients et à la population. Dans ce numéro typiquement consacré aux nouveautés 2018 en médecine interne générale ambulatoire, cet article présente quelques nouveaux modèles déjà implémentés par le Service de médecine de premier recours (SMPR) des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il s’agit du traitement de l’hépatite C via le dispositif de « Buyers club », d’un outil de traduction médicale, d’un blog santé en médecine de la violence, d’un accès facilité pour le dépistage du VIH, de la gonorrhée et du chlamydiae pour les jeunes, et d’un modèle de feedback multisources pour mieux évaluer les soignants en formation. Des modèles encore sous forme de concept, mais sérieusement envisagés par le service sont discutés en deuxième partie de l’article.
Selon le dernier rapport de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), l’infection chronique par le virus de l’hépatite C (VHC) touche 36 000 à 43 000 personnes en Suisse. Parmi les groupes à haut risque, tels que les injecteurs de drogue, les personnes incarcérées et certains groupes de migrants précaires, la prévalence augmente d’un facteur 20 à 40 par rapport à la population générale. Le VHC tue cinq fois plus que le VIH et a causé la mort de plus de 4000 personnes entre 1995 et 2015. Un tiers des carcinomes hépatocellulaires découle de cette infection et l’incidence de ce cancer tend à augmenter alors que le nombre de transplantations hépatiques reste stable.
Ces dernières années ont vu l’arrivée sur le marché de médicaments antiviraux à action directe dont la très haute efficacité a révolutionné la morbidité, la mortalité et la transmission du VHC. Néanmoins, leur coût prohibitif a engendré des restrictions drastiques de remboursement dans le cadre de la LAMal, ce qui a limité l’accès réel et l’impact populationnel de ces médicaments. L’OMS a fixé le but de réduire l’incidence de nouvelles infections à VHC de 90 % d’ici à 2030, notamment grâce à un accès facilité au dépistage et au traitement des groupes à risque.
En juin 2017, l’OFSP a annoncé la levée des restrictions de remboursement suite à la baisse du prix des principales formulations, laissant penser que cela permettrait de combler le fossé d’accès. Néanmoins, l’expérience de terrain montre que certains groupes de patients n’arrivent pas à accéder au traitement pour des motifs économiques, administratifs ou légaux, ce qui engendre des défis cliniques et de santé publique qui nécessitent des solutions innovantes.
Afin de répondre à ces défis, les HUG, en partenariat avec le Groupe Sida Genève, ont mis sur pied un système d’accès facilité aux traitements par le biais d’une aide à l’importation à titre personnel de médicaments pour les patients non assurés.1 Ce dispositif de type « Buyers club » respecte les normes commerciales et légales en vigueur et permet de commander à l’étranger, auprès de fournisseurs agréés par l’OMS, des traitements à prix très faible. La teneur indiquée en principe actif est vérifiée avant leur dispensation contrôlée par les HUG.
Il est probable que ce type d’innovation sera également appelé à répondre aux besoins de patients vulnérables dans d’autres domaines médicaux tels que l’oncologie ou les maladies touchant le système immunitaire, pour lesquelles le coût des thérapies biologiques personnalisées constitue un obstacle majeur à leur utilisation.
La barrière de la langue est un obstacle concernant la qualité des soins au sens large. Le SMPR, soutenu par la Fondation privée des HUG, en partenariat avec la Faculté de traduction et d’interprétation de Genève, a développé un logiciel Web2 qui permet de répondre dans un premier temps aux besoins des urgences d’un hôpital francophone.
Aux HUG, en 2018, plus de 50 % des patients ne sont pas francophones 12 % ne parlent pas du tout le français. Aux urgences adultes des HUG, les langues nécessitant le plus souvent un recours à l’interprétation téléphonique sont par ordre croissant l’albanais, le farsi/dari, le tigrigna, le mongol et l’arabe du Moyen-Orient. La prise en charge médicale des patients allophones n’est pas seulement un problème linguistique, mais un problème plus large de santé publique. Cette barrière de la langue nuit à la qualité, à la sécurité et à l’équité des soins.3 Le contexte géopolitique actuel a renforcé cette problématique.
Pour des consultations non programmables, aucun logiciel informatique n’est satisfaisant, que ce soit en termes de précision, de fiabilité de traduction que de souplesse pour s’adapter aux besoins. Par ailleurs, les outils de traduction automatique de la parole, comme Google Translate, ne devraient pas être utilisés selon la Loi sur la protection des données -(LIPAD).4 Plusieurs études ont montré qu’ils ne sont pas assez fiables pour le langage médical.5,6 Ceci est lié au fait que Google Translate n’est pas spécialisé pour le type de discours oral. Les outils de traduction de phrases fixes, comme universaldoctor et MediBabble, les deux logiciels les plus utilisés pour la traduction du langage médical, ont été conçus pour le domaine médical, mais sont peu sophistiqués. Ils n’offrent pas de reconnaissance vocale et ne s’adaptent pas aux besoins spécifiques. Il n’y a pas, par ailleurs, d’études dans la littérature ayant analysé la fiabilité de ces deux systèmes. Quant à l’interprétation par téléphone, qui reste la meilleure solution pour les entretiens programmables, elle présente un inconvénient majeur pour un service d’urgences, car la mise en contact avec les interprètes n’est pas toujours immédiate.
Face aux besoins, l’objectif était de créer une plateforme Web2 qui intègre la reconnaissance vocale et qui relie le résultat de cette reconnaissance à un ensemble de phrases prétraduites, dont la fiabilité et la précision de la traduction sont assurées par la Faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève. Le système comprend actuellement 20 000 phrases prétraduites auxquelles peuvent être liées plus d’un milliard de phrases reconnues à l’oral. Le système est actuellement déployé pour l’arabe et l’espagnol à l’Unité d’urgences ambulatoires du SMPR.
Les tests faits aux HUG avec des patients arabophones ont montré la supériorité du système par rapport à Google Translate pour la fiabilité de la traduction et à MediBabble pour la partie ergonomique. BabelDr se positionne comme une option complémentaire pour toute consultation avec une barrière linguistique, sans remplacer l’interprétariat humain.
Les blogs santé se sont développés depuis quinze ans sur le net pour des thématiques se prêtant bien à une éducation thérapeutique ou à des messages de prévention. L’OMS a précisé dans son Assemblée générale de 1996 et son Rapport mondial de 2002 sur les violences, que tous les professionnels de la santé devaient se former à la détection et à la première prise en charge des situations de violence qui impactent la santé globale.
La médecine de la violence, telle qu’elle est pratiquée à Genève depuis vingt ans, est une spécialité interdisciplinaire, néces-sitant une approche écosystémique. L’Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence (UIMPV) participe, par exemple, à l’amélioration des pratiques professionnelles dans la détection, la prise en charge, le traitement et la compréhension des comportements violents interpersonnels. Réduire les violences, c’est aussi lutter contre les mythes, les stéréotypes, les préjugés, les attitudes qui les justifient ou peuvent rendre complice par un discours complaisant et non fondé sur des preuves. S’occuper de personnes victimes, témoins et auteurs de violence, implique un long apprentissage. Il est important de pouvoir transmettre cette expérience, les « ficelles du métier », de manière complémentaire aux données scientifiquement validées et aux spécificités du contexte.
Prenant la suite de l’expérience de deux autres blogs de santé qui avaient été créés au sein des HUG, l’UIMPV a ouvert en juin 2017 un blog à destination des professionnels du réseau, et en premier lieu des médecins de premier recours.7 L’objectif est de partager des connaissances spécifiques dans ce domaine, à partir d’articles rédigés par les professionnels de l’Unité, de communications orales, de résumés de livres et de publications dans des disciplines différentes, là où peu de recommandations médicales existent et concernent le plus souvent d’autres contextes géographiques et socioculturels peu adaptés au terrain local. Une large place est donnée à la prévention de ces situations.
Depuis un an, une augmentation de fréquentation du site a été notée surtout après deux forums coorganisés par l’UIMPV qui ont permis de lancer le blog. Dernièrement, jusqu’à trois cents personnes par mois l’ont consulté. Davantage de patients et de professionnels appellent directement la consultation pour des conseils ou des prises en charge. L’activité clinique globale a augmenté de 32 % sur la période de 15 mois suivant l’ouverture du blog..
L’UIMPV venant d’être admise comme membre de l’Alliance mondiale de prévention des violences de l’OMS (Violence Prevention Alliance), les perspectives sont aussi d’utiliser ce blog pour vulgariser des recommandations internationales pour les professionnels de santé francophones de premier recours. L’unité est en effet pour l’instant la seule structure membre de ce réseau en Suisse et la seule hospitalo-universitaire francophone y participant. Cette innovation via un blog et des professionnels de santé primaire aura, nous l’espérons, un bénéfice direct pour les protagonistes de ces situations de violence.
Depuis 2008, le nombre d’infections par chlamydiae et gonorrhée est en augmentation en Suisse et dans le canton de Genève. Elles touchent aussi les jeunes de moins de 25 ans.9, 10 Les jeunes filles sont le plus souvent dépistées lors d’un contrôle gynécologique. Leurs partenaires, jeunes et en bonne santé, ne ressentent pas la nécessité de consulter un médecin, d’autant que les franchises et le coût élevé des dépistages ne favorisent pas cette démarche.
La consultation des tests anonymes aux HUG propose depuis 2012 un forfait de CHF 100.- pour le dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) (hépatites A, B, C, syphilis, chlamydia et gonorrhée) associé au dépistage VIH qui est de CHF 55.- et de CHF 25.- pour les moins de 18 ans.
L’Unité de santé sexuelle et planning familial (USSPF) offre des consultations gratuites et confidentielles dans le domaine de la santé sexuelle à toute la population du canton. Pour faciliter l’accès aux jeunes qui souhaitent effectuer un dépistage du VIH, du chlamydiae et de la gonorrhée, l’unité propose depuis mai 2018 cette possibilité au prix de dix francs suisses lorsque l’anamnèse sexuelle relève d’une prise de risque ancienne et/ou récente, avec l’objectif de diminuer le nombre de personnes infectées et/ou réinfectées. Cette prestation s’adresse en priorité aux jeunes hommes de moins de 25 ans, dont les partenaires consultent déjà notre unité, de même qu’aux autres jeunes femmes et aux jeunes hommes pour qui les prestations de dépistage sont trop onéreuses dans les structures existantes et/ou qui souhaitent consulter en confidentialité des parents.
Cette prestation s’inscrit dans le cadre du programme national de l’OFSP « VIH et IST 2011-2017 », dont les objectifs prioritaires sont la baisse du risque de transmission et le dépistage précoce permettant l’instauration d’un traitement médical.
Une étude originale sur la chlamydiose, parue en 2014 dans la Revue Médicale Suisse,11 a mis en évidence que cette infection touche des personnes jeunes ayant pris des risques modérés (5,6 %). Soulignons qu’environ 70 % des femmes et 50 % des hommes atteints d’une infection à chlamydiae ne présentent que peu ou pas de symptômes. Cependant, même en leur absence, les chlamydiae peuvent se transmettre aux partenaires sexuels.12 Quant à la gonorrhée, elle est davantage asymptomatique chez l’homme que chez la femme ou évolue avec des symptômes plus discrets. Elle peut passer inaperçue, d’où la nécessité de proposer les deux dépistages et d’instaurer un traitement médical en cas de résultats positifs.13
Dans le rapport intitulé « Evaluation de la politique de prévention du VIH et des IST à Genève entre 2012 et 2016 »,14 leurs auteurs recommandent « d’intégrer la prévention VIH/IST pour la population générale, y compris pour les jeunes, dans les structures ordinaires (Service santé enfance et jeunesse, USSPF, Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle, médecins généralistes) ». Il y est précisé que, « en dehors du cadre scolaire, l’USSPF est l’acteur de prévention le plus important pour les jeunes ».14
Les jeunes usagers de l’USSPF ont bien souvent une situation familiale et psychosociale qui les rend plus vulnérables. Sur les 1074 jeunes qui ont consulté en 2017, 876 étaient des jeunes femmes et 198 des jeunes garçons. 48 % avaient moins de 20 ans et 77 % moins de 25 ans. L’objectif est donc de pouvoir dépister surtout les partenaires des jeunes femmes qui consultent majoritairement l’unité.
Cette prestation vient ainsi compléter la prise en charge psychosociale et informative. Elle s’inscrit dans une structure bas seuil qui fait partie des missions d’intérêt général des HUG et qui est déjà bien connue des jeunes du canton de Genève.
L’Institut suisse de formation médicale (ISFM) a organisé cet été plusieurs workshops, animés par le Royal College of Physicians de Londres, dont un sur des stratégies efficaces pour le feedback, l’évaluation et le soutien de l’interne en difficulté (Supporting the Underperforming Student). L’outil « Multi-source Feedback » (MSF), présenté lors de l’atelier, permet l’évaluation de diverses compétences CanMEDS15 qui ne sont pas prises en compte par les évaluations « classiques ». Les animateurs de l’atelier ont insisté sur l’importance d’avoir des données objectives aussi sur ces compétences, surtout en présence d’un étudiant ou d’un médecin interne qui « sous-performe » (probablement 3 à 8 % des internes). L’outil MSF le permet, par des regards croisés sur le fonctionnement de la personne en formation.
Le feedback par diverses sources, « multi-source feedback (MSF) » pour les Anglophones ou « rétroaction multi-sources » pour les Québécois,16 aussi appelé « 360 degrés » est une évaluation combinée par plusieurs collègues, à différents niveaux, et par la personne concernée elle-même. Développé dans le monde commercial, il s’agit d’un questionnaire rempli online ou par email, avec un feedback compilé. Diverses adaptations pour le domaine médical existent.
Le questionnaire anglais contient neuf questions, sur des aspects liés à la communication et à l’attitude envers les patients, les familles et les professionnels de santé ; sur la collaboration, le leadership et le professionnalisme (ponctualité, fiabilité) ainsi que sur l’intégrité et l’honnêteté. L’étudiant ou interne est invité à donner les noms de douze personnes (médecins, autres professionnels de santé, secrétariat et personnel administratif) à son superviseur. Ces personnes sont invitées à remplir le questionnaire anonymisé via un lien sur le formulaire, avec des gradations sur une échelle de six points (bien en dessous jusqu’à bien au-dessus des attentes/niveau attendu) et avec la possibilité de mettre des commentaires à chaque question. L’interne remplit le même questionnaire pour une auto-évaluation. Le superviseur reçoit l’ensemble des réponses, les compile, en fait un résumé, et discute ce résumé avec l’interne ou l’étudiant.
A l’Hôpital universitaire d’Utrecht aux Pays-Bas, depuis 2008, chaque interne est invité à donner les adresses email d’au moins six médecins avec qui il travaille, d’au moins six autres professionnels de santé (y inclus les réceptionnistes et les secrétaires) et d’au moins dix patients. Les médecins et les autres soignants reçoivent une trentaine de questions, les patients seize questions, auxquelles ils doivent répondre en utilisant une cotation sur une échelle de un à cinq (entre absolument pas d’accord et absolument d’accord). Chacun peut mettre des commentaires. L’ensemble des questions (n = 50) doit être répondu par l’interne, et couvre les rôles d’expert, de communicateur, de collaborateur, de manager, d’érudit et de professionnel. Ce questionnaire long et plus chronophage a été évalué comme faisable, acceptable et utile.17 Il est disponible via www.multisourcefeedback.nl
La prochaine étape est la rencontre entre le superviseur et son étudiant pour discuter des résultats du MSF, si possible avec les autres évaluations « objectives » comme le Mini-CEX (observations cliniques), en mettant en relation avec les objectifs d’apprentissage de l’apprenant. Les divergences éventuelles d’observations sont discutées de même que les commentaires. Les besoins en formation et les objectifs sont ensuite identifiés pour la prochaine période.
Dans le domaine de la formation postgrade, des efforts pour améliorer l’évaluation ont été introduits depuis longtemps, avec un accent sur l’évaluation en milieu clinique avec un feedback structuré. Au SMPR de Genève, une formation est proposée à tous les cadres pour améliorer leurs compétences en feedback.18 Toutefois, là aussi, l’ensemble des rôles « CanMEDS » ne sont pas évalués. Surtout pour des internes en difficulté ceci peut poser problème. Le MSF peut donner des infor-mations « objectives » complémentaires pour permettre un diagnostic des difficultés et un plan d’action pour l’amélioration. Par ailleurs, le MSF est aussi utile pour les internes sans difficultés particulières, pour se rassurer ou pour identifier des points moins performants.
Le MSF19, 20 ou « 360 degrés » est un outil qui permet le croi-sement de regards entre un étudiant ou un interne et des personnes avec qui il travaille (médecins, autres soignants, non-soignants, patients) notamment sur des aspects de communication, de leadership et de professionnalisme. Il permet de compléter ainsi l’évaluation globale de la personne en formation sur les sept rôles définis dans les CanMEDS.
Nous avons tous été confrontés à l’impact négatif des déterminants sociaux sur la santé de nos patients21 et, dans ce contexte, il est probable que nous nous soyons sentis frustrés et impuissants à agir sur ces facteurs. La médecine peut beaucoup, mais elle n’augmentera pas les revenus d’un diabétique vivant sous le seuil de pauvreté, n’empêchera pas le renvoi d’un sans-domicile fixe à la rue après son passage aux urgences, ou celui d’un deman-deur d’asile dans un pays où il n’aura pas accès aux soins.
Par ailleurs, pour les soignants, évaluer adéquatement le contexte psychosocial des patients, notamment les plus vulnérables, requiert des compétences culturelles au sens large du terme, ce qui implique une forme de décentrage allant au-delà de l’empathie : certains auteurs parlent d’humilité culturelle.22 L’ensemble de ces facteurs fait que cette médecine dite sociale est souvent peu valorisée par les cliniciens, qui la délèguent entièrement aux travailleurs sociaux, alors que seule une prise en charge multidisciplinaire concertée peut faire bouger les lignes. De plus, notre pratique clinique est soumise à l’influ-ence de stéréotypes et de jugements moraux issus de nos expé-riences personnelles et professionnelles. Ces facteurs ont un impact sur notre vision des patients qui se trouvent souvent réduits à leur comportement. L’étiquette (alcoolique, toxicomane, quérulent, etc.) restreint notre vision globale et nous empêche de penser au contexte structurel qui favorise ces comportements.
Les auteurs de cet article23 ont développé un questionnaire d’évaluation de la vulnérabilité des patients : sécurité financière et alimentaire, logement, environnement (notamment exposition à la violence), réseau social, statut légal, niveau d’éducation, discriminations antérieures. S’y ajoute une question destinée au soignant : les prestataires de soins pourraient-ils trouver qu’il s’agit d’un patient difficile ? Ils l’ont testé dans un service d’urgences d’un hôpital de la côte ouest des Etats-Unis et préconisent de l’utiliser à large échelle. L’outil est facile à utiliser et explore la vulnérabilité de manière exhaustive. La question pour le soignant est intéressante car elle permet le décentrage. Mais il faut, en aval, une équipe de case management assurant la prise en charge des facteurs de vulnérabilité, ce qui a un coût. Convaincre les décideurs politiques que cet inves-tissement améliore l’équité dans les soins et qu’il est, à terme, rentable constitue un autre défi. Relevons-le !
La complexité des patients est plus que jamais d’actualité en Suisse. En effet, depuis janvier 2018, Tarmed autorise un temps de consultation et en l’absence du patient différent selon que le patient est « complexe » ou non.
Mais qu’est-ce donc qu’un « patient complexe » ? Certains prendrons le raccourci de l’évoquer en synonyme de la multimorbidité. C’est simple et univoque, il suffit donc d’additionner le nombre de maladies des patients. On peut alors dire qu’en Suisse, entre 34,8 et 56,3 % d’une population adulte,24 ou 67,5 % d’une population entre 50 et 80 ans sont multimorbides.25 Mais que faisons-nous alors du patient diabétique, mais migrant érythréen vivant en foyer ou vous appelant dès que sa glycémie dépasse 9 mmol/l ?
La définition de la complexité est donc ironiquement complexe. Il n’existe d’ailleurs toujours pas de consensus clair, et nous proposerons ici deux définitions génériques en fonction de la perspective. Au niveau santé publique, elle pourrait se définir comme un décalage entre les besoins du patient et la réalité des soins,26 pouvant mener à une insatisfaction du patient, du soignant et/ou du système de santé. Du point de vue du soignant, le patient complexe est « celui pour qui la prise de décision et les processus de soins ne sont pas standards ».27
Ces dix dernières années ont été alimentées par de nombreuses tentatives de caractériser les facteurs de complexité. Plusieurs équipes ont également proposé leur échelle d’évaluation. Mais rares encore sont les mises en pratique documentées d’une évaluation systématique de la complexité en vue d’une adaptation des prestations de soins.
A Genève, l’Institution genevoise de maintien à domicile (Imad) innove cette année en proposant sa propre échelle d’évaluation de la complexité, nommée COMID, déjà implantée dans la pratique.28 Celle-ci reprend les domaines de la complexité retrouvés dans les cadres conceptuels présentés ailleurs, adaptés au contexte de soins infirmiers à domicile : facteurs de santé physique, de santé mentale, socio-économiques, comportementaux, intervenants et système de soins (tableau 1). C’est la première échelle qui intègre l’élément dynamique de la complexité, sous le nom de « facteurs d’instabilité ». Après avoir évalué les différentes échelles existantes, dans le SMPR, nous avons fait le choix d’utiliser le COMID comme base pour déve-lopper une échelle d’évaluation de la complexité adaptée aux soins en cabinet, ainsi qu’à la diversité des populations et des professions.
La santé connectée comprend, entre-autres, l’utilisation d’appli-cations (apps) pour smartphone relatives à la santé. Ce marché est en pleine expansion, porté par l’augmentation des maladies chroniques. En 2018, trois revues systématiques bien conduites s’intéressant à l’apport des apps pour smartphone et leur impact sur la prise en charge et les outcomes de santé ont été publiées. La première29 s’est intéressée à l’efficacité d’apps promouvant les changements d’habitudes de vie de patients porteurs de maladies chroniques non transmissibles. Neuf études avec groupe contrôle ont été retenues portant essentiellement sur des patients diabétiques. Les apps offraient un feedback en retour de la saisie de données biologiques et des informations relatives à ses habitudes de vie. Un impact significatif de ces apps a été démontré sur l’HbA1c (5 sur 8 études), le périmètre abdominal (1 sur 3 études) et le poids (3 sur 5 études). L’effet sur la diminution de l’HbA1c était toutefois plus important à court terme qu’à long terme, questionnant l’effet de ces apps sur la durée. Une revue systématique examinant l’efficacité des apps sur le management de la douleur30 a retenu 15 études dont 12 portaient sur la douleur chronique, 2 sur la douleur aiguë et 1 sur la douleur menstruelle récurrente. La majorité de ces études montraient un effet bénéfique significatif, avec une dimi-nution de la sévérité de la douleur et une amélioration des scores de qualité de vie des patients utilisant l’app. Les deux études portant sur la douleur aiguë n’ont pas montré ces effets bénéfiques. Dans le dernier article de revue incluant neuf études,31 l’utilisation des apps pour la réhabilitation cardiaque des patients avec cardiopathie ischémique et/ou insuffisance cardiaque montrait une efficacité aussi bonne qu’une réhabilitation cardiaque traditionnelle et une amélioration significative de la qualité de vie des patients. Enfin, l’acceptabilité de ces apps et l’adhérence des patients étaient excellentes. Les applications pour smartphone semblent offrir des possibilités intéressantes dans la prise en charge médicale, en particulier pour les maladies chroniques. Toutefois, davantage de recherches devraient explorer quels sont les types d’apps les plus efficaces, et leur effet sur le long terme.
A la Professeure Pierrette Bouillon, Département de traitement informatique multilingue, Faculté de traduction et d’interprétation, Université de Genève, Genève, pierrette.bouillon@unige.ch, et à M. François Weber, bibliothécaire documentaliste, Unité de santé sexuelle et planning familial, Service de médecine de premiers recours, HUG, Genève, francois.weber@hcuge.ch
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’accès universel au traitement de l’hépatite C pour des patients vulnérables grâce à un « Buyers club » pourrait constituer un moyen à développer dans d’autres hôpitaux
▪ BabelDr, un outil fiable et innovant de traduction du langage médical, peut constituer une option complémentaire par rapport à Google Translate et MediBabble
▪ Le blog santé, déjà utilisé dans l’éducation thérapeutique et pour la diffusion des messages de prévention, est un outil désormais utilisé dans la médecine de la violence à l’attention des professionnels de santé primaire
▪ L’accès facilité et à bas coûts pour les jeunes de moins de 25 ans aux tests VIH, chlamydiae et gonorrhée favorise le recours au dépistage des jeunes qui consultent en confidentialité des parents ou qui ont des franchises élevées
▪ L’échelle d’évaluation de la complexité (COMID), utilisé par l’Institution genevoise de maintien à domicile, comporte les facteurs de santé physique, de santé mentale, socio-économique et comportementale. Cette échelle pourrait être adaptée aux soins en cabinet médical