Le terme drogues récréatives définit toutes les substances utilisées hors d’un usage médical dans un but festif.1 Elles comprennent l’utilisation non médicale de substances psychoactives, incluant des drogues légales comme le tabac et l’alcool, les drogues illicites traditionnelles telles que le cannabis et la cocaïne, les drogues psychoactives émergentes et les drogues détournées englobant les molécules sous prescription médicale dont l’usage a été détourné, telles que les opiacés, les benzodiazépines, et certains anesthésiques (figure 1). Chaque semaine, une nouvelle drogue de synthèse est répertoriée en Europe par l’European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction.2
Une récente étude allemande classe les consommateurs en 4 catégories : conservatrice (35 % des consommateurs), utilisant des substances limitées à l’alcool, au tabac et au cannabis ; traditionnelle (36,6 %) consommant les drogues de soirée dites habituelles (cocaïne, ecstasy) ; psychédélique (17,5 %) préférant principalement la kétamine, le LSD, et les champignons hallucinogènes, et pour finir non sélective (10,9 %) affichant une consommation incluant toutes les catégories citées précédemment.3
En Suisse, les consultations dans un service d’urgences en lien avec l’utilisation récréative de drogues illicites concernent principalement le cannabis et la cocaïne et impliquent le plus souvent, des symptomatologies cardiovasculaires, neurologiques ou psychiatriques (tableau 1).4
Les intoxications aux nouvelles substances psychoactives (NSP) représentent une faible part des consultations au sein des services d’urgences, et leurs tableaux cliniques sont très variables.4 En conséquence, nous avons décidé de privilégier la présentation de trois types d’intoxications récemment vues dans notre service d’urgences à travers trois vignettes cliniques.
Patient de 30 ans, intubé en préhospitalier pour un état de mal épileptique ne répondant pas aux benzodiazépines. Le patient est décrit par les passants comme désorienté avant le début des convulsions. Aux urgences, le bilan biologique retrouve uniquement une hyperlactatémie à 4 mmol/l. Le reste du bilan (FSS, NA, K, HGT, créatinine, C-réactive protéine) ainsi que l’imagerie cérébrale sont dans la norme. La toxicologie sanguine et urinaire revient négative (éthanol, cocaïne, opiacés). En raison d’une fiole retrouvée sur le patient, un état de mal épileptique sur intoxication à une substance inconnue est suspecté. Le patient est admis aux soins intensifs où l’évolution est favorable avec extubation 6 heures après son admission. Après reprise de l’anamnèse, le patient décrit une consommation pluri-hebdomadaire de gamma-hydroxybutyrate (GHB) à but festif avec utilisation majorée le week-end précédent l’événement (environ 5-6 g sur 48 heures). Un diagnostic de syndrome de sevrage au GHB compliqué d’un état de mal épileptique est retenu, et le patient rentre à domicile après surveillance de 24 heures sans médication particulière.
Le GHB est une substance endogène, métabolite du GABA, synthétisée en 1960 comme anesthésique puis rapidement abandonné en raison de son profil d’effets indésirables (vomissements et convulsions). Il réapparaît par la suite dans le milieu du bodybuilding pour son effet anabolisant et dans le milieu festif pour ses effets euphorisants et désinhibants.5 On observe une prévalence de consommation sur 12 mois de 0,1 % en 2016 selon le rapport annuel des addictions en Suisse.6
Le GHB, appelé aussi ecstasy liquide, est un analogue du neurotransmetteur GABA. Consommé essentiellement par voie orale, sous forme liquide, il est rapidement absorbé et atteint le pic plasmatique en 20 à 45 minutes. Une fois la barrière hémato-encéphalique traversée, il produit un effet inhibiteur central en se liant aux récepteurs GABA-B.5 L’effet principal est ainsi une dépression du système nerveux central pouvant aller jusqu’au coma. Une bradycardie, une hypotension, une hypothermie et des vomissements sont également décrits. La prise en charge est symptomatique, en respectant les principes de l’ABCD (Airways-Breathing-Circulation-Disability). 5
Un syndrome de sevrage allant de l’anxiété à l’état de mal épileptique est décrit en cas d’arrêt d’une consommation prolongée et répétée et apparaît dans les heures qui suivent la dernière dose. Le traitement par benzodiazépines en est le premier choix, suivi du pentobarbital pour les cas réfractaires.7
Patient de 19 ans, amené en ambulance après avoir été retrouvé nu, dans un arbre, en train de crier. A son arrivée aux urgences, l’anamnèse est impossible, le patient poussant des cris en permanence. L’examen clinique retrouve une agitation psychomotrice, une tachycardie et de multiples dermabrasions et griffures au niveau des bras, des jambes et du torse. Le bilan biologique montre une insuffisance rénale aiguë et une rhabdomyolyse avec des CK à 80 000 UI/l. La toxicologie urinaire révèle la présence de LSD (acide lysergique diéthylamide). L’évolution neurologique est bonne à la suite d’une hydratation IV et un traitement par benzodiazépine. A son réveil, le patient se plaint de douleurs diffuses au niveau des membres. Le bilan radiologique montre des fractures des 2 poignets, non détectées lors de l’examen initial.
Le LSD, aussi appelé acide, est une substance développée en 1938 par le chimiste Albert Hoffman.8 Initialement utilisée pour des thérapies psycholytiques (psychanalyse sous influence d’hallucinogènes), elle est détournée de l’usage médical et consommée par les adeptes du mouvement psychédélique dans les années 1960. Elle fait partie ensuite des drogues consommées lors des soirées technos. L’immersion dans un monde fantastique et la notion du concept de psy-trance attirent les consommateurs de tout âge. Le LSD présente une prévalence à vie de 3 % et une prévalence à 12 mois de 0,2 %. Chez les 20-24 ans, elle s’élève à 0,8 % à 12 mois, mais reste néanmoins faible.6
Issu du champignon Claviceps purpurea, le LSD est une molécule semi-synthétique, dérivée de l’acide lysergique. Il agit en tant qu’agoniste partiel des récepteurs sérotoninergiques 5HT1/2, notamment dans le locus coeruleus, les noyaux du raphé et le cortex, régulant le système sympathique. Sa consommation est orale avec un pic plasmatique atteint en 1,5 à 2,5 heures.8
Ses effets neurologiques attendus sont liés à des illusions, des synesthésies et une perception modifiée du corps et de l’espace (syndrome d’Alice au pays des merveilles),9 auxquelles s’ajoutent en cas d’intoxication sévère une agitation et des altérations de l’état de conscience. Via son effet sympathomimétique, le LSD provoque mydriase, tachycardie, hypertension et hyperthermie. Des nausées et vomissements médiés par le système nerveux parasympathique s’y ajoutent. La prise en charge est majoritairement symptomatique avec hydratation IV et gestion de l’agitation par benzodiazépine.10
Patiente de 25 ans sédatée en préhospitalier pour agitation avec hallucinations visuelles à la sortie d’une boîte de nuit. A son arrivée aux urgences, elle est agitée, tachycarde, avec une mydriase bilatérale réactive et un bruxisme important. Le laboratoire met en évidence une hyponatrémie à 125 mmol/l hypo-osmolaire avec natriurèse à 35 mmol/l, et une insuffisance rénale avec une créatinine à 320 µmol/l. La toxicologie urinaire est positive pour les amphétamines. Une admission en milieu de soins est décidée, où sous apport IV de NaCl 0,9 % l’évolution biologique est satisfaisante.
Quelques heures après son hospitalisation, la patiente développe un œdème labial important prédominant sur la lèvre inférieure sans prurit ni atteinte ORL. Le dosage de la tryptase revenant négatif, on retient le diagnostic d’œdème labial d’étiologie mécanique sur bruxisme lié à la consommation de MDMA (3,4-méthylènedioxyméthamphétamine). L’évolution est favorable et la patiente rentre à domicile après 36 heures de surveillance.
Synthétisée pour la première fois en 1914, comme anorexigène, la MDMA (appelée aussi ecstasy) s’est imposée depuis les années 90 dans le monde de la nuit. Selon une étude européenne des eaux usées, la consommation moyenne à Genève s’élève à 41 mg/1 000 personnes/jour avec un pic le week-end.11 La prévalence à vie est quant à elle de 3,9 %.6
La MDMA est un dérivé de la méthamphétamine, et comporte comme cette dernière, une action sympathomimétique indirecte par libération de catécholamines endogènes (principalement la norépinéphrine et la dopamine) et inhibition de leur recapture. La MDMA possède de plus un effet sérotoninergique.12 Par voie orale, sous forme de pilule, poudre ou cristaux, l’effet recherché entactogène (qui facilite le contact), décrit par Nichols en 1986, est atteint dans les 30 minutes pour une durée totale de 2 à 4 heures avec un pic plasmatique à 90 minutes.13,14
L’intoxication se caractérise par un tableau évoquant un syndrome sérotoninergique avec altération de l’état mental sous forme d’agitation; des symptômes sympathomimétiques avec tachycardie, hypertension, hyperthermie, diaphorèse et mydriase et des symptômes neuromusculaires avec tremblements et myoclonies. Un élément pathognomonique de la consommation de MDMA est la présence d’un bruxisme intense, soit un mouvement inconscient de l’appareil masticateur.12 Son diagnostic est principalement clinique, la contribution des dosages toxicologiques urinaires dépendant notamment de la méthode choisie, de la concentration urinaire de MDMA et d’autres paramètres pharmacocinétiques.15,16
En cas de suspicion d’intoxication, il est important d’exclure une insuffisance hépatocellulaire ou rénale, une rhabdomyolyse et des troubles électrolytiques (hyponatrémie, hyperkaliémie), et ce même en l’absence d’hyperthermie.12,17 La réanimation volémique, la correction des électrolytes et la gestion de l’hyperthermie font partie des objectifs de soins dans le but d’éviter les complications potentiellement létales.18
Le nombre grandissant de drogues récréatives et leur association éventuelle nous confrontent à des tableaux cliniques variés et des diagnostics complexes. Cependant, la prise en charge en cas d’intoxication reste principalement focalisée sur la gestion des fonctions vitales. Le LSD et la MDMA font partie des psychostimulants contrairement au GHB qui est un dépresseur central pouvant engendrer des sevrages majeurs. Malgré ces différences, le traitement en cas d’intoxication repose sur des principes similaires en l’absence d’antidotes connus à ce jour.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’utilisation de drogues récréatives est à l’origine d’un nombre important de consultations aux urgences
▪ La prise en charge initiale des différentes intoxications repose principalement sur une approche de type ABCDE
▪ Dans le cas de manifestations cliniques atypiques sans explication évidente chez des patients jeunes, un toxidrome doit être évoqué