Étrange période où notre système de santé vient d’essuyer une tempête brutale, et se réveille progressivement dans une atmosphère encore lourde avec la crainte d’une deuxième vague. Cette période semble également riche en enseignements et potentiellement génératrice de profonds bouleversements dans notre société.
À l’arrivée du SARS-CoV-2, nous étions insuffisamment préparés à l’ampleur du problème. À tout moment de ce début de 2020, et en fonction de l’évolution de tous les facteurs extrinsèques liés au COVID-19, changeant de semaine en semaine, incluant les contraintes sur chaque discipline du système de santé et de la multidisciplinarité, les soignants ont dû s’adapter. On gardera en mémoire à ce jour la variabilité de tant de facteurs qui impactent la santé en général : manque de respirateurs, de places aux soins intensifs, de soignants, de tests; risque de contamination, rupture de stocks de médicaments, absence de matériel de protection personnelle, hôpitaux surchargés, sans parler de la potentielle accessibilité aux futurs traitements ou vaccins contre le SARS-CoV-2. Tant de facteurs qui risquent d’impacter plus fortement les plus fragiles, notamment les patients souffrant de cancer.
Ils se sont sentis abandonnés, sans recommandation spécifique liée à leur condition particulière
Le système a dû s’adapter rapidement et continuellement pour tenter de maintenir l’accès au diagnostic, aux soins et aux traitements, tout en respectant ce qui allait devenir le principe gouvernant nos actions quotidiennes : la distance sociale, stopper les programmes de dépistage, discuter les interventions invasives, retarder certains traitements, modifier des schémas thérapeutiques sans en limiter l’efficacité, favoriser les traitements oraux, mettre en place et favoriser la vidéo-consultation, organiser différemment les plateaux ambulatoires. Les centres anticancéreux ont réagi, adapté leur approche et collaboré pour trouver des solutions, suivis rapidement par les associations de patients et les sociétés savantes (ecco-org.eu/Global/News/COVID-19/Resources ; esmo.org/covid-19-and-cancer). La coordination entre les différents acteurs sanitaires et politiques s’est mise en place rapidement, remarquablement, plus efficacement que jamais, soutenue par la générosité et la solidarité des professionnels et de la population. Même s’il est aujourd’hui trop tôt pour mesurer l’impact potentiel de cette crise sanitaire pour les patients cancéreux, notre système de santé a résisté, y compris dans les cantons les plus touchés.
Mais qu’en pensent les patients souffrant de cancer ? Ils nous expriment souvent des ressentis apparemment paradoxaux. D’une part, la crainte que le virus soit omniprésent dans les lieux de soins entraînant anxiété et parfois refus de consulter son médecin ou les urgences même dans des situations graves. D’autre part, la crainte de ne pas pouvoir être pris en charge correctement, suivant les meilleurs standards, « comme avant » dans un système de santé principalement dévolu à la gestion de la pandémie. Comme d’autres groupes de patients (citons par exemple les patients souffrant de maladies cardiovasculaires, les femmes enceintes, les parents d’enfants malades et les patients souffrant de maladies chroniques), ils se sont sentis abandonnés dans l’avalanche d’informations données à la population, mais sans recommandation spécifique liée à leur condition particulière. En situation de crise, il n’est pas simple de fournir une information dans laquelle chacun puisse se reconnaître. De façon objective, le flou parfois ressenti reflète également l’ignorance scientifique sur la physiopathologie de cette infection virale, ainsi que les changements d’attitude en fonction de l’évolution des connaissances au cours de la pandémie. Afin de rassurer les patients et les aider à mieux comprendre (et dédramatiser) leur risque propre et les adaptations de leur prise en charge, soulignons la réactivité de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) qui a émis, en plus des recommandations pour les professionnels, une information de qualité en plusieurs langues pour les patients (esmo.org/for-patients/patient-guides/cancer-care-during-the-covid-19-pandemic/traitement-du-cancer-au-cours-de-la-pandemie-de-covid-19).
Comment anticiper la suite ? Nous allons probablement devoir vivre quelque temps avec ce nouveau virus et nous adapter dans la résilience de l’ignorance épidémiologique partielle dans laquelle nous nous trouvons. Les enjeux seront multiples. Bien qu’insuffisamment documenté à ce jour, il semble évident que les patients souffrant de cancer, particulièrement en traitement actif ou présentant des maladies avancées, constituent un des groupes les plus vulnérables face à ce virus. De multiples efforts de construction de registres oncologiques-COVID-19 essentiels sont en cours, afin d’établir la granularité des risques individuels des patients oncologiques en fonction de leur histoire. Ces données permettront d’asseoir de vraies directives de traitement, au-delà de nos réponses empiriques actuelles, liées principalement à la restriction de nos capacités de soins et la réduction souhaitée de l’exposition de nos patients au SARS-CoV-2.
Cependant, et en attendant ces données, dans un système sanitaire fonctionnel dans la plupart de nos cantons, un accent tout particulier doit être maintenu et souligné quant à la poursuite de soins oncologiques selon les standards optimaux, afin de ne pas ajouter une mortalité oncologique spécifique à la mortalité au SARS-CoV-2.1 Bien que l’accent soit actuellement mis sur la gestion du COVD-19, le futur proche se concentrera sur le plan de rétablissement et l’obtention d’un nouvel équilibre dans les soins du cancer à l’ère de COVID-19 et au-delà. Possiblement, les enseignements les plus importants de cette crise sont la coordination, la collaboration et la disponibilité de tous les professionnels des soins, ainsi que la solidarité générale régnant au sein de notre population. Parallèlement, elle nous rappelle de façon un peu brutale la fragilité de notre existence et, malgré son fantastique potentiel, les limites intrinsèques de la médecine. La pandémie appelle aussi un changement au niveau éducatif où le tout technique, scientifique, mathématique, informatique, statistique doit laisser une place plus grande aux sciences dites humaines que sont la philosophie, la sociologie, l’histoire ou encore l’éthique.
Le futur proche se concentrera sur l’obtention d’un nouvel équilibre dans les soins à l’ère de COVID-19