Devant la vitesse de propagation de la pandémie due au nouveau coronavirus, une réorganisation des systèmes de santé a été nécessaire. De nombreuses questions se sont posées quant à la spécificité de la psychiatrie dans cette situation exceptionnelle. À Genève, le département de psychiatrie a pris la décision d’ouvrir une nouvelle unité de cohortage pour ses patients contaminés. Outre le défi du délai court pour la mettre en place, nous avons été confrontés à celui de prendre en charge une patientèle hétérogène et de devoir appliquer des mesures de protections avec lesquelles nous étions peu familiers, chronophages. Le recrutement de l’équipe sur une base volontaire, un encadrement très présent, la disponibilité du matériel de protection et le soutien du service prévention et contrôle de l’infection ont permis un bon fonctionnement de l’unité.
La pandémie due au nouveau coronavirus SARS-CoV-2, mieux connue comme Covid-19, à laquelle nous avons récemment été confrontés, a représenté un véritable défi pour nos systèmes de santé.1
La vitesse de progression de la contagion et le nombre croissant de patients nécessitant des soins aigus et subaigus ont certainement surpris plusieurs pays en dépassant rapidement les ressources à disposition. Dans ce contexte, il a été nécessaire d’anticiper cette vague avec une réorganisation logistique des systèmes de santé,2 ce qui fut le cas au sein des HUG. Une des problématiques rencontrées a été l’organisation de la prise en charge de l’infection chez les patients avec comorbidités psychiatriques, aussi bien par l’importance d’une gestion conjointe somatique et psychiatrique que par la nécessité d’une attention particulière au respect des mesures de prévention et d’hygiène chez ces patients.
Les patients souffrant de troubles psychiatriques représentent en effet une population plus vulnérable, avec une prévalence d’atteintes somatiques plus élevée,3 de même qu’un risque infectieux, dont de pneumonies.4
Le risque de transmission dans cette population particulière est inconnu, mais pourrait être plus élevé. On pourrait s’attendre à un moins bon suivi des mesures de protection personnelle de contrôle de l’infection en raison d’un style de vie moins sain,5 d’un moins bon contrôle de soi et de ses soins d’hygiène en lien avec les troubles psychiques, ainsi que d’une moindre conscience du risque due aux atteintes cognitives.6,7 Le stress lié à la pandémie est susceptible de péjorer l’état de santé mentale, d’entraîner des rechutes,7 aggravant les éléments précités. L’isolement social pourrait tenir à distance des informations sur la pandémie et sur les consignes à respecter. De plus, le diagnostic et la prise en charge de l’infection pourraient être retardés, les patients souffrant de troubles psychiques pouvant être exposés à plus de barrières pour accéder rapidement aux soins.3,7
Par ailleurs, le risque de transmission pourrait être majoré chez les patients hospitalisés en milieu psychiatrique. En effet, ceux-ci ne restent pas alités dans leur chambre, mais participent fréquemment à des activités de groupe (repas en commun, activités thérapeutiques) avec contacts plus proches entre les patients.6
Devant la vitesse de propagation du virus, dès le 16 mars, les HUG ont mis en place une première phase dans la gestion de la crise sanitaire, dont le but était d’augmenter la capacité de l’hôpital à faire face à un afflux massif de malades. Deux unités ont été dédiées à la prise en charge de patients psychiatriques Covid positifs.
L’Unité psychiatrique hospitalière adulte (UPHA) à l’hôpital général, dont la mission est d’accueillir des patients nécessitant des soins hospitaliers psychiatriques et somatiques, a été mandatée pour l’accueil de patients Covid+ nécessitant cette double prise en charge. L’Unité Zéphyr, à la Clinique psychiatrique de Belle-Idée, a été prévue pour l’accueil de patients Covid+ nécessitant des soins psychiatriques hospitaliers sans besoin de soins somatiques aigus.
Il s’agit d’une unité ouverte à la clinique de psychiatrie dans le contexte du Covid. Elle a été dédiée à la prise en charge de patients Covid+ nécessitant des soins psychiatriques hospitaliers, stables sur le plan somatique.
À noter que les admissions à la clinique de psychiatrie ont continué à se faire dans les unités d’admissions habituelles, non Covid, avec éventuellement isolement des patients en cas de suspicion d’infection, en attente du résultat du test de dépistage. Seuls les patients avec un test positif pour le Covid pouvaient être admis à l’Unité Zéphyr.
L’ouverture de cette unité dans des locaux non utilisés permettait de plus facilement maintenir la distance entre les patients des autres unités et diminuer ainsi le risque de contagion. Tous les patients hospitalisés dans cette unité étant infectés, le recours à l’isolement en chambre n’était pas nécessaire. Cela a non seulement permis de limiter la restriction des libertés individuelles, mais aussi de diminuer le stress lié à la situation. Il était ainsi possible de fournir des soins psychiatriques selon les modalités habituelles, en privilégiant les aspects communautaires.
L’adressage des patients à l’Unité Zéphyr se faisait principalement par 2 voies. Ils pouvaient être adressés par les unités hospitalières psychiatriques, en cas d’infection légère, après confirmation de l’infection. L’UPHA pouvait également transférer des patients Covid+ une fois stabilisés sur le plan somatique, tant que les soins psychiatriques hospitaliers étaient nécessaires, jusqu’à la fin de la quarantaine.
Une fois le Covid guéri, les patients étaient transférés dans les unités non Covid de la clinique s’ils nécessitaient encore des soins psychiatriques hospitaliers. Si leur état psychique était stabilisé, la sortie se faisait sur leur lieu de vie, avec poursuite ou non de la quarantaine selon qu’ils soient encore infectés ou déjà guéris.
Quatre jours ont suffi pour rouvrir une ancienne unité de soins de la clinique, grâce à une grande collaboration médico-soignante avec les services logistiques. Cette unité, qui avait été par le passé une unité de psychogériatrie, avait l’avantage d’avoir des locaux adaptés à l’accueil de patients à troubles psychiques et avec des limitations physiques.
Le matériel nécessaire a pu être obtenu en urgence. Il était indispensable de disposer d’une pharmacie avec les médicaments psychotropes d’usage courant pour différents types de troubles psychiatriques ainsi que des médicaments somatiques de base. Une valise d’urgence a été mise à disposition, avec des réserves de matériel, pour répondre à une possible utilisation régulière du matériel de premier soin de décompensations respiratoires (matériel d’aspiration, seringues électriques, défibrillateur). Un appareil ECG a été alloué à l’unité pour éviter de partager un appareil utilisé également pour des patients non COVID. Une réserve importante de matériel de protection a été rapidement fournie. Sans oublier le matériel de base comme les appareils de mesure des signes vitaux, les ordinateurs, les téléphones.
Le recrutement des soignants s’est fait sur une base volontaire, et une attention particulière a été portée à l’encadrement et à la transmission d’informations pour créer une atmosphère de confiance, motivant le personnel dans son travail.8 Une équipe médicale constituée d’un chef de clinique et de deux internes a été mobilisée sur place, ainsi qu’une équipe infirmière de 14,3 équivalents temps plein, dont une infirmière responsable, sous la supervision d’un médecin et d’un infirmier cadres supérieurs. L’équipe d’entretien du département a assuré la remise en état de l’unité puis s’est chargée du nettoyage de l’unité biquotidiennement.
Un soutien important a été apporté par le Service prévention et contrôle de l’infection (SPCI), avec un référent attitré disponible, sensibilisé aux spécificités de la psychiatrie, qui a offert la formation nécessaire aux bonnes pratiques en lien avec l’infection, et des réponses rapides et adaptées à l’évolution de la pandémie.
À l’image des autres unités de cohortage Covid, une équipe de soutien psychologique a été dédiée à l’Unité Zéphyr pour prévenir le risque de conséquence sur la santé mentale des soignants. On pouvait en effet craindre une surcharge de travail, une discrimination, un isolement de ces soignants, pouvant entraîner du stress, de l’anxiété, avec apparition éventuelle d’insomnie ou d’éléments dépressifs.9
Le 23 mars, l’Unité Zéphyr a ouvert et accueilli son premier patient.
Alors que nous pensions principalement prendre en charge des patients de la clinique psychiatrique, qui auraient été infectés par le SARS-CoV-2, nous avons finalement eu peu de ces cas. Seul un tiers des patients de l’unité provenait de Belle-Idée, dont un quart de psychiatrie adulte, et trois de psychiatrie gériatrique (tableau 1). Ces derniers faisaient partie du seul foyer de contagion au sein de la clinique.
La majorité des patients était finalement des patients fragiles dans leur santé psychique, ne nécessitant pas de soins hospitaliers pour leur problématique psychiatrique, mais rencontrant de grandes difficultés à effectuer leur quarantaine à domicile en raison de leur comorbidité psychiatrique. Il s’agissait en majorité d’une population adulte, résidant à domicile.
L’Unité Zéphyr est restée entièrement dédiée aux patients Covid+, ce qui a permis de préserver une dimension communautaire aux soins. Même si les patients n’ont pas pu bénéficier d’activités psychothérapeutiques groupales structurées, ils ont pu partager les espaces communs, ce qui a permis de créer des liens entre eux. De plus, chaque patient pouvait bénéficier de plusieurs sorties par jour à l’extérieur, accompagné par le personnel, dans un jardin dont le périmètre était délimité.
Concernant l’organisation des soins, il y avait tous les matins un moment d’échange téléphonique entre l’Unité Zéphyr, l’UPHA et les autres unités de la clinique afin de faciliter la gestion du flux des patients. Des informations concernant les nouveaux cas positifs ainsi que les possibles transferts de patients étaient alors partagées. Une visite médicale avait lieu tous les jours afin de suivre l’évolution de chaque patient sur le plan physique. L’équipe infirmière surveillait de façon rapprochée la survenue de signes de gravité. Au niveau de la prise en charge psychiatrique, au-delà du maintien du caractère communautaire des soins, de brefs entretiens individuels de psychoéducation ou de soutien étaient réalisés quotidiennement.
Malgré un fonctionnement globalement satisfaisant, nous avons été confrontés à quelques difficultés. Comme attendu, certains patients ont eu du mal à respecter les mesures de prévention afin que les soins puissent s’effectuer en toute sécurité pour l’équipe soignante. Mise à part la difficulté à faire porter un masque aux patients face aux soignants, ce qui a constitué un véritable problème a été le maintien des gestes barrières durant les soins de nursing. Nous pouvons citer le fait que les masques deviennent humides, et donc perméables aux virus, lors de l’aide à la douche, nécessitant le port supplémentaire d’une visière de protection. Nous avons été confrontés aux limites de nos moyens au niveau du matériel de protection mais également au niveau des ressources humaines et du temps. Il était en effet nécessaire de faire appel à un nombre important de soignants lors des soins de patients peu collaborants. Le temps pour revêtir et changer régulièrement de matériel de protection était également très important.
Toutes ces particularités ont demandé une grande flexibilité du personnel soignant qui a fait preuve d’une grande adaptabilité, tout en entraînant un risque d’épuisement si ce type de prise en charge avait dû se poursuivre sur une longue durée et si nous avions été confrontés à des patients en état de décompensation plus aiguë.
La deuxième phase du plan de crise des HUG du 8 avril prévoyait une stabilisation de la capacité d’accueil en conservant la possibilité de faire face à d’éventuelles hausses des hospitalisations. Bien que les indications pour l’Unité Zéphyr soient restées limitées, elle est restée active jusqu’au 20 avril 2020. Vu la diminution des cas à ce moment, il a été décidé d’orienter tous les patients Covid+ hospitalisés au sein du Département de psychiatrie vers l’UPHA. L’Unité Zéphyr est donc inactive depuis le 21 avril 2020 mais reste opérationnelle et réouvrable en tout temps au besoin.
L’Unité Zéphyr a représenté une réponse rapide et fonctionnelle de la psychiatrie face à l’émergence du Covid-19. Plusieurs conditions nous semblent importantes pour garantir le bon fonctionnement d’une unité de cohortage psychiatrique : le recrutement de l’équipe sur un mode volontaire, un encadrement très présent, la disponibilité du matériel et un soutien par des experts en protection contre l’infection.
Le pic épidémique passé, nous constatons que contrairement à ce qui était pressenti, les patients souffrant de troubles psychiques semblent avoir été relativement épargnés, aussi bien à Genève qu’au niveau international.10,11 Différentes hypothèses émergent à ce sujet. Les psychotropes auraient-ils des propriétés antivirales, une activité sur le système immunitaire ? Ou les patients ont-ils simplement été protégés par leur tendance à l’isolement social ? Le lancement de divers projets de recherche clinique sur le sujet devrait nous apporter des réponses.
Malgré cette observation, il sera indispensable que les hôpitaux psychiatriques soient préparés pour une éventuelle deuxième vague et pour d’autres épidémies futures. Nous espérons que notre expérience pourra contribuer à cette préparation.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Les patients souffrant de troubles psychiatriques représentent une population plus vulnérable, avec une prévalence d’atteintes somatiques plus élevée
• Une attention particulière est à porter au respect des mesures de protection personnelle de contrôle de l’infection chez les patients avec troubles psychiques, ceux-ci ayant tendance à accorder moins d’attention à leur hygiène et à avoir une moindre conscience du risque due aux atteintes cognitives
• En situation de crise sanitaire, il est important que les professionnels de santé soient motivés à poursuivre leurs tâches, ce qui dépend en grande partie d’un sentiment de sécurité au travail et de confiance. L’accès aux moyens de protection et à une information régulière est un élément clé
• Outre la disponibilité du matériel, le recrutement de l’équipe sur un mode volontaire, un encadrement très présent et le soutien des experts en prévention des infections sont importants pour le fonctionnement d’une unité de cohortage
• L’expérience à Genève de l’ouverture d’une unité de cohortage pour les patients psychiatriques atteints du Covid-19 a été positive et a jeté les bases pour la construction de futurs plans d’urgence
Devant la vitesse de propagation de la pandémie due au nouveau coronavirus, une réorganisation des systèmes de santé a été nécessaire. De nombreuses questions se sont posées quant à la spécificité de la psychiatrie dans cette situation exceptionnelle. À Genève, le département de psychiatrie a pris la décision d’ouvrir une nouvelle unité de cohortage pour ses patients contaminés. Outre le défi du délai court pour la mettre en place, nous avons été confrontés à celui de prendre en charge une patientèle hétérogène et de devoir appliquer des mesures de protections avec lesquelles nous étions peu familiers, chronophages. Le recrutement de l’équipe sur une base volontaire, un encadrement très présent, la disponibilité du matériel de protection et le soutien du service prévention et contrôle de l’infection ont permis un bon fonctionnement de l’unité.
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