Fin février. Le premier cas avait été diagnostiqué au Tessin, le nord de l’Italie flambait. Le discours des autorités fédérales était encore rassurant: les foyers étaient circonscrits et les patients infectés isolés. Et il y eu le premier cas en Valais. Il se portait bien, la chaîne de contagion était identifiée, il n’y avait pas de soucis à se faire nous disait-on. Par la suite, le nombre de cas a inexorablement augmenté, surtout au Tessin.
Le 13 mars a été annoncée la fermeture des écoles. Beaucoup de gens, amis ou collègues, n’avaient pas encore compris l’ampleur de la situation. Ce petit virus n’était pas plus offensif que celui de la grippe disait-on. Mais à peine quelques jours plus tard, le lundi 16 mars, le bloc opératoire commençait à réduire l’activité élective, puis tout est allé très vite parce que le mercredi de la même semaine toute activité ambulatoire et élective était suspendue dans l’ensemble de la Suisse. Il ne restait plus que les opérations urgentes, qui avaient bizarrement disparu, nous n’avons pas compris où étaient passées toutes les appendicites et cholécystites que nous opérions jusque-là de jour comme de nuit – mais d’ailleurs où étaient les patients –, les urgences étaient vides, tout était suspendu, irréel. Les couloirs étaient déserts suite à l’interdiction des visites. Nous nous sommes vite habitués à la présence de la protection civile, aux circuits spécifiquement dédiés aux patients Covid, aux distances de sécurité. Par la suite l’armée est arrivée pour installer un poste médical avancé. Se serrer les mains, s’embrasser, n’étaient plus à l’ordre du jour.
Nous avons pris acte des mesures destinées à l’accueil des patients Covid intubés. Notre service d’anesthésie fusionnait en partie avec celui des soins intensifs, la moitié du bloc opératoire et la salle de réveil seraient destinées à accueillir des patients intubés. Il s’agissait donc, en moins d’une semaine, de réorganiser les espaces, d’équiper ces postes de ventilateurs, de former les équipes à leurs nouvelles tâches.
Et l’angoisse s’est emparée des équipes. L’inquiétude première est allée aux patients, ces hommes et ces femmes que nous souhaitions pouvoir prendre en charge le mieux possible. Les images catastrophiques venant d’Italie n’ont pas aidé à calmer les soignants. Puis il y a eu la peur du changement, notre routine était complètement chamboulée, nous allions changer notre affectation, travailler de concert avec les soins intensifs. Nous allions devoir gérer des décès, peut-être beaucoup. Les gens avaient peur pour leur santé, leur vie surtout, et celles de leurs proches. Les masques étaient rationnés. Les droits des soignants avec la suspension provisoire de la loi sur le travail semblaient bafoués. Nos vacances ont été annulées, et nos pourcentages balayés. Nous devions être appelables en tout temps. Toutes ces mesures ont généré une peur panique et des réactions parfois inquiétantes de la part de certains soignants.
À tout ceci se surajoutait l’inconnu concernant la durée de cette situation.
Nous avons aussi assisté à un formidable élan de solidarité entre les soignants. Finies les guerres de clocher, les gens se sont serrés les coudes (au sens figuré) et se sont concentrés sur la prise en charge des patients. L’ennemi était commun, c’était cette maladie qui causait des graves dommages aux patients que nous voulions tous soigner au mieux.
Durant cette période, j’ai souvent eu en tête le souvenir du film « le désert des Tartares » (V. Zurlini, 1976), dans lequel les soldats d’un poste avancé attendent l’invasion de leur ennemi, qui ne survient qu’en toute fin de film. Comme des soldats cachés dans les tranchées, nous avons eu la chance de pouvoir nous préparer pour la guerre, puis, le ventre noué, nous avons attendu les premiers patients, qui sont effectivement arrivés, sauf que (malheureusement) le film ne s’est pas terminé. Il s’est plutôt transformé en une mauvaise série dont le nombre d’épisodes n’est pas encore connu…
En si peu de temps, nos vies avaient complètement changé. Le passé semblait à des années lumières. Le futur s’était dilaté et n’existait plus parce qu’il n’était plus possible de s’y projeter. Au fond, il ne restait plus qu’à vivre le moment présent. Se concentrer sur les beaux moments en famille, la nature qui se réveillait, la solidarité entre collègues, et essayer de se raisonner pour juguler l’angoisse qui nous tenaillait. Et surtout, comme toujours, revenir à l’essence de notre métier: mettre les patients au centre de nos préoccupations et leur donner les meilleurs soins possibles.
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