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ISO 690 Petermans, J., Wotquenne, P., Scheen, A., J., La prescription médicamenteuse chez la personne âgée: que devons-nous savoir ?, Rev Med Suisse, 2006/076 (Vol.2), p. 1878–1883. DOI: 10.53738/REVMED.2006.2.76.1878 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2006/revue-medicale-suisse-76/la-prescription-medicamenteuse-chez-la-personne-agee-que-devons-nous-savoir
MLA Petermans, J., et al. La prescription médicamenteuse chez la personne âgée: que devons-nous savoir ?, Rev Med Suisse, Vol. 2, no. 076, 2006, pp. 1878–1883.
APA Petermans, J., Wotquenne, P., Scheen, A., J. (2006), La prescription médicamenteuse chez la personne âgée: que devons-nous savoir ?, Rev Med Suisse, 2, no. 076, 1878–1883. https://doi.org/10.53738/REVMED.2006.2.76.1878
NLM Petermans, J., et al.La prescription médicamenteuse chez la personne âgée: que devons-nous savoir ?. Rev Med Suisse. 2006; 2 (076): 1878–1883.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2006.2.76.1878
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articles thématiques: thérapeutique
23 août 2006

La prescription médicamenteuse chez la personne âgée: que devons-nous savoir ?

DOI: 10.53738/REVMED.2006.2.76.1878

Because of the increasing longevity of the population, a growing number of very old people are exposed to medications. Drug therapy in this population is difficult because of our lack of knowledge. The number of drugs administered is generally high and the prescription is often inappropriate. Changes in body composition, malnutrition and renal failure can cause drug accumulation and toxicity. However, hepatic metabolism via cytochrome P450 does not seem to be markedly influenced by oldness. Iatrogenic pathology is frequent in the elderly and may lead to hospitalisation and reduction in quality of life. Specific education of the medical care team should be promoted in order to tackle this important problem of public health.

Résumé

En raison du vieillissement de la population, de plus en plus de personnes très âgées sont exposées aux médicaments. L’approche thérapeutique de ces grands vieillards est difficile vu le manque de données dans la littérature. Le nombre de médicaments prescrits est généralement élevé et la prescription souvent inappropriée. Les modifications de la composition corporelle, les carences nutritionnelles et les altérations de la fonction rénale provoquent des risques d’accumulation et de toxicité. Par contre, le métabolisme hépatique via le cytochrome P450 semble peu affecté par l’avancée en âge. La pathologie iatrogène est fréquente, source d’hospitalisation et d’aggravation du déclin fonctionnel. Une sensibilisation particulière des équipes de soins doit être entreprise afin de limiter l’impact de ce véritable problème de santé publique.

INTRODUCTION

La population vieillissante est en croissance dans le monde, mais c’est surtout le groupe des personnes très âgées qui va augmenter au cours des trente prochaines années. Par exemple, le nombre de nonagénaires va quasiment tripler d’ici 2030.1 La sénescence se caractérise par la fragilité, la polypathologie et un nombre de médicaments consommés important. Ces facteurs modifient la pharmacocinétique et augmentent le risque d’interactions médicamenteuses délétères et de pathologies iatrogènes (figure 1).2,3 Le manque de références sur la bonne prescription de médicaments aux patients avec un grand âge est patent et rend la tâche du médecin encore plus difficile. Par ailleurs, les objectifs thérapeutiques avec l’avancée en âge se modifient. Le confort de vie, la prévention du déclin fonctionnel, la bonne tolérance médicamenteuse sont privilégiés par rapport à la prévention de la mortalité.4

Figure 1.

Illustration des principales composantes à prendre en compte lors de la prescription d’un médicament chez le sujet âgé

LA PRESCRIPTION MÉDICAMENTEUSE

Plusieurs études5-7 ont mis en exergue le nombre important de médicaments prescrits avec l’avancée en âge. A domicile, pour un sujet âgé de plus de 75 ans, la moyenne est de cinq médicaments différents. Les personnes séjournant dans les services de long séjour en consomment en moyenne plus de sept. En France, les personnes de plus de 65 ans prennent, dans 50% des cas, entre cinq et dix médicaments différents, ce qui représente sur le plan financier un coût d’environ 10% de la somme moyenne allouée pour la retraite. Dans une étude de suivi longitudinal réalisée chez des patients au domicile ou institutionnalisés, il a été démontré que, après 70 ans, 66% des sujets étaient traités par au moins un médicament potentiellement dangereux.8 Lors de leur hospitalisation, l’enquête révélait une réduction de 40% de médications inappropriées entre l’admission et la sortie.

Bloekehurst9 insistait, il y plus de vingt ans déjà, sur le manque de fiabilité quant à l’observance thérapeutique dès que le nombre de médicaments dépassait cinq substances différentes. Les populations âgées sont, dès lors, à risque de mauvaise observance thérapeutique, mais aussi à risque d’interactions, de surdosage ou de prise médicamenteuse inadaptée.2,3 Dans ce contexte, la démarche de Beers et collaborateurs est particulièrement pertinente.10 Ces auteurs, dès 1991, définissaient les critères de prescription inappropriée et une liste de classes thérapeutiques dangereuses et non adaptées pour les personnes âgées.

Un médicament inapproprié est défini comme présentant un risque plus important que le bénéfice escompté.11 Actuellement, une liste de 48 médicaments ou classes thérapeutiques à éviter chez les personnes de plus de 65 ans est établie.12 De même, vingt médicaments dont il faut proscrire l’association ont été repérés et les effets secondaires attendus, avec leur gravité, ont été bien décrits. Les produits les plus incriminés sont les analgésiques et anti-inflammatoires, les psychotropes, certains antihypertenseurs, les laxatifs. Les anomalies cliniques les plus fréquentes sont les troubles de la coagulation, la confusion, la dépression, les chutes, la constipation, l’hyponatrémie et les ulcères gastroduodénaux. En maison de repos aux Etats-Unis, selon les critères de Beers, la prévalence de prescription inappropriée peut atteindre 40%, alors qu’elle est de 12% chez les personnes non institutionnalisées. En Europe, les chiffres varient entre 3 et 15%. Néanmoins, 40% des personnes vivant au domicile en France utilisent au moins un médicament potentiellement inapproprié et ce, principalement dans la classe des vasodilatateurs.

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Dans un travail récent sur l’impact en hospitalisation gériatrique des prescriptions inappropriées, définies selon les critères de Beers, Laroche et collaborateurs démontrent une prévalence relativement stable depuis 1991, de l’ordre de 60 à 70%.13 Par contre, à la sortie du patient, on note une diminution significative du nombre de médicaments potentiellement dangereux prescrits, non seulement par rapport à l’admission mais aussi au fil des années, puisque entre 1994 et 1999, la prévalence diminue de 53 à 27%. Les auteurs attribuent cette amélioration à une sensibilisation du personnel soignant et à une meilleure connaissance des effets liés à la pathologie iatrogène en gériatrie.

Schmader et collaborateurs, dans une étude randomisée et contrôlée portant sur une période de douze mois, ont surveillé 834 patients de plus de 65 ans, soignés en intra-ou extra-hospitalier soit par des équipes gériatriques, soit par des équipes non spécialisées (usual care).14 Les effets secondaires des traitements ont été évalués selon un degré de sévérité défini par des experts indépendants en fonction des critères décrits par Beers et par l’index de prescription appropriée (MAI). Le travail démontre l’absence d’effets secondaires sérieux chez les patients pris en charge par les équipes gériatriques et une réduction de 35% du risque chez les patients non hospitalisés, suivis en hôpital de jour gériatrique, par rapport à ceux bénéficiant des soins usuels. Par ailleurs, le nombre de prescriptions inappropriées était également réduit en hospitalisation gériatrique tant classique que de jour.

PARTICULARITÉS PHARMACOCINÉTIQUES

Le cheminement d’un médicament dans l’organisme est caractérisé par des mécanismes d’absorption, de transport, de diffusion, de distribution et d’élimination. Plusieurs de ces mécanismes peuvent être altérés chez les sujets âgés et encore plus très âgés (figure 2).2

Figure 2.

Trois principales composantes contribuant à l’effet final (thérapeutique ou toxique) d’un médicament

L’absorption se réalise le plus souvent par le tractus gastrointestinal et représente la première étape de la pharmacocinétique; elle semble peu affectée par l’âge.15 En effet, le ralentissement du transit, les modifications au niveau des surfaces d’absorption intestinale et la diminution de l’acidité gastrique, fréquemment rencontrés chez les sujets âgés, semblent ne pas avoir d’influence significative sur les quantités de substances pénétrant dans la circulation générale. Toutefois, les médicaments peuvent entraîner des modifications du goût et une diminution de l’appétit, une irritation de la muqueuse buccale, une diminution du péristaltisme œsophagien. Enfin, l’existence d’une sonde naso-gastrique, parfois mise en place pour nourrir la personne âgée dénutrie, peut entraîner, suite au broyage des médicaments administrés, des modifications de la pharmacocinétique du produit actif en fonction du type de préparation galénique.

La distribution a des caractéristiques propres chez le patient âgé. Suite à l’augmentation relative de la masse grasse, il existe une augmentation du volume de distribution des molécules non polaires, liposolubles comme certains sédatifs, hypnotiques et tranquillisants par exemple.16 La diminution de l’eau totale provoque une diminution du volume de distribution des molécules polaires, hydrosolubles, comme la digoxine. La diminution de la masse maigre et la réduction du nombre de liaisons aux protéines sériques doivent également être prises en compte. Les médicaments hydrosolubles se retrouvent inchangés dans la circulation et sont éliminés par le rein tandis que les molécules liposolubles sont plutôt métabolisées par le foie (voir plus loin). La fonction cardiaque également est importante; elle joue un rôle majeur dans le débit sanguin propre aux organes essentiels comme le foie et le rein. L’âge, per se, a peu d’effet sur la capacité cardiaque au repos, mais la fonction diastolique est souvent altérée par défaut de compliance du ventricule gauche.

Dans le plasma, les médicaments sont partiellement libres ou liés aux protéines, soit à l’albumine, comme dans le cas des molécules acides (par exemple, la warfarine, le diazépam…), soit à l’alpha-1 acide glycoprotéine, comme dans le cas des molécules basiques (par exemple, la lignocaïne, le propranolol, les tricycliques…). Avec l’âge, il existe souvent une diminution de l’albuminémie et du taux de l’alpha-1 acide glycoprotéine, ce qui entraîne une réduction de la proportion des médicaments liés à ces transporteurs et une augmentation de leur fraction libre. Ces modifications sont majorées par les troubles nutritionnels et la malnutrition fréquents avec l’avancée en âge.17

L’élimination se fait essentiellement par deux voies: la voie hépatique et la voie rénale. Le métabolisme hépatique joue un rôle essentiel pour de nombreux médicaments. Une diminution de la masse hépatique (de 35%), du débit sanguin hépatique (de 35 à 40%) et du débit biliaire (de 50%) a été constatée chez les sujets d’un âge avancé. Par contre, la synthèse de l’albumine et des protéines par le foie n’est pas altérée, tout au moins en l’absence de carence nutritionnelle sévère. Dans la littérature, des études in vitro montrent une diminution de l’activité de la mono-oxygénase microsomiale avec l’âge. L’effet de premier passage ainsi que la capacité de métabolisation diminueraient proportionnellement à la diminution de la taille du foie. La biotransformation hépatique se réalise grâce à l’activité enzymatique, mais n’atteint pas de la même façon l’ensemble des médicaments.

Les biotransformations peuvent être de deux espèces: soit la phase 1 ou phase d’oxydation, qui semble la plus influencée par l’âge; soit la phase 2 ou conjugaison.18,19

La phase 1 est très dépendante du système du cytochrome P450 dont la concentration totale diminue avec l’âge, quel que soit le sexe. Il s’agit d’une famille d’isoenzymes métabolisant préférentiellement certaines molécules (par exemple, isoformes 3A4, 2C9), pouvant parfois être inhibées (ou activées) par d’autres (3A4, 2C9) et dont la variabilité interindividuelle peut être considérable suite à l’existence d’un polymorphisme (2D6) (tableau 1). Le risque le plus important de manifestations indésirables résulte d’une interaction au niveau d’une même isoforme.3 Ainsi, certains médicaments donnés en association peuvent utiliser simultanément la même voie d’élimination, c’est-à-dire être métabolisés par une même isoenzyme. Dès lors, si un des médicaments exerce un effet inhibiteur sur l’isoenzyme CYP impliquée dans le métabolisme de l’autre molécule, il existe un grand risque d’accumulation de produit actif.3 Enfin, pour agir efficacement, le cytochrome P450 nécessite l’intervention d’un enzyme associé, le cytochrome P450 réductase, dont l’activité est réduite avec l’âge.

Tableau 1.

Principales isoformes du cytochrome P450 impliquées dans le métabolisme des médicaments et exemples de quelques molécules métabolisées via cette voie

La phase de conjugaison est moins bien connue, mais ne semble pas affectée par le vieillissement.15,20 Toutefois, dans les conditions normales et en l’état actuel des connaissances, les altérations hépatiques dues à l’âge sont peu préoccupantes et apparaissent nettement moindres que les modifications touchant la fonction rénale. De ce fait, d’une façon générale, les médicaments à élimination hépatique semblent pouvoir être administrés aux mêmes doses chez les personnes âgées que chez les jeunes adultes.

L’excrétion rénale des médicaments peut être altérée chez le sujet âgé puisque le vieillissement entraîne des modifications rénales de type anatomique, histologique et fonctionnel.16 Avant 40 ans, le poids moyen d’un rein est de 430 g alors que, à 80 ans, il n’est plus que de 330 g. Cette perte de masse rénale se fait essentiellement au détriment du cortex où se trouvent les glomérules, même si des atteintes tubulaires sont également présentes. Associée à la diminution du débit plasmatique rénal, cette évolution aboutit à une réduction de la capacité de filtration glomérulaire. Par ailleurs, avec l’âge, on observe une diminution de la capacité de concentration et de dilution du rein et, donc, une moins bonne aptitude à maintenir une homéostasie correcte en électrolytes et en eau.

Rappelons que le taux sanguin de créatinine n’est pas une estimation fiable de la fonction rénale, notamment chez la personne âgée; en effet, il est trop dépendant de la masse musculaire qui est réduite vu la sarcopénie liée à l’âge. Dès lors, le risque de sous-estimation de l’altération de la fonction rénale est important si l’on se base uniquement sur la créatininémie chez la personne âgée, notamment de sexe féminin. La clairance de la créatinine est le marqueur le plus précis à l’heure actuelle de l’intégrité de la fonction rénale. Le plus souvent, pour des raisons de difficulté de récolte des urines liée à divers facteurs comme l’incontinence ou la simple mauvaise compréhension des consignes de récolte, la fonction rénale est évaluée par la formule de Cockcroft-Gault: clairance créatinine en ml/min =

Le résultat est à multiplier par 0,85 chez la femme afin de corriger pour la masse musculaire relativement plus faible et à diviser par 1,73 pour ajuster pour la surface corporelle. Il faut cependant noter qu’en néphrologie, cette formule tend de plus en plus à être remplacée par la formule du MDRD (Modified of the Diet in Renal Disease).21 Celle-ci a l’avantage de ne pas nécessiter de connaître le poids du sujet et de rendre d’emblée un résultat exprimé en ml/min/1,73 m2. Alors que la formule de Cockroft et Gault sous-estime systématiquement le débit de filtration glomérulaire chez le sujet âgé (et, à l’inverse, le surestime chez le sujet obèse), la formule MDRD évite, en grande partie, ce piège de telle sorte qu’elle est maintenant considérée par les néphrologues comme la formule de choix chez le sujet âgé.21 Force est cependant de reconnaître qu’elle ne s’est pas encore imposée, ni en gériatrie ni en pharmacologie clinique.

Par ailleurs, l’insuffisance rénale produit des cyanates induisant des modifications de conformation de l’albumine. Il en résulte une diminution de l’affinité de celle-ci pour certaines molécules, ce qui aggrave encore les effets de l’hypo-albuminémie.17 Ainsi, certains médicaments d’usage courant, comme les fibrates, la digoxine, le furosémide, la morphine, les salicylates, le triamtérène et le warfarine, etc. sont moins liés aux protéines circulantes et donc davantage présents sous forme libre, la seule à être active.

En conclusion, la diminution de la fonction rénale entraîne des répercussions sur le devenir des médicaments utilisant cette voie d’élimination, à savoir surtout les médicaments hydrophiles (ou ceux avec un métabolite actif hydrophile). Il faudra donc adapter la posologie de ces médicaments sous peine de risque de surdosage. Ce dernier est susceptible d’entraîner des réactions pouvant parfois aboutir au décès de la personne en cas de médicaments à index thérapeutique étroit (concentration toxique proche de la concentration thérapeutique, comme c’est le cas de la digoxine). Il est recommandé, pour les produits éliminés sous forme encore active, de débuter prudemment le traitement chez la personne âgée, en augmentant progressivement les doses journalières.

PARTICULARITÉS PHARMACODYNAMIQUES

Les connaissances sur l’évolution de la fonction et du nombre de récepteurs avec l’avancée en âge sont très parcellaires (figure 2).16 D’une manière générale, il semble que, si le nombre de récepteurs varie peu, leur spécificité, c’est-à-dire leur capacité de reconnaissance de la molécule active, diminue; cela a été observé avec les bêtabloquants cardio-sélectifs, par exemple, ce qui fait que la sélectivité tend à diminuer avec l’âge.16 De même, une altération de la sensibilité de certains récepteurs vis-à-vis de différents médicaments a été notée; par exemple, une diminution d’activité des molécules qui agissent sur les bêta-récepteurs adrénergiques (qu’elles soient agonistes ou antagonistes). Si tel est le cas, il faudrait augmenter les doses pour avoir le même effet que chez l’adulte jeune, mais en s’exposant alors à un risque accru d’intoxication.

L’altération de la régulation et de la sensibilité des récepteurs à la pression artérielle facilite le développement de l’hypotension orthostatique chez la personne âgée, avec ses conséquences délétères en termes de morbidité et mortalité.20 De même, une diminution de la sensibilité des récepteurs à l’hypoxie et à l’hypercapnie est constatée chez les patients âgés, les rendant plus sensibles vis-à-vis de la dépression respiratoire lors de l’administration de sédatifs.9 Enfin, les modifications de perméabilité de la barrière hémato-encéphalique associées à la sénescence aboutissent à une plus forte pénétration intracérébrale de substances capables de se fixer sur des récepteurs centraux normalement peu ou pas accessibles. Il en résulte une augmentation des risques de confusion, symptôme peu spécifique, mais souvent présent, lors des intoxications, voire de simples surdosages médicamenteux.15

PATHOLOGIE IATROGÈNE

La pathologie iatrogène est bien individualisée en gériatrie.5 Son rôle dans l’aggravation de la fragilité de la personne âgée paraît bien démontré et il apparaît que la polymédication y contribue en tant que facteur de risque indépendant. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la pathologie iatrogène comme «toute réponse nuisible et non recherchée qui se manifeste à des doses utilisées à des fins prophylactiques, thérapeutiques et diagnostiques». Elle est 2 à 7 fois plus élevée après 65 ans, avec un risque plus élevé chez les femmes de race blanche, et elle est responsable de 15 à 20% des hospitalisations.5 Notons que cette définition n’intègre pas le risque de défauts, d’erreurs ou d’imprécisions dans la prescription et dans l’administration du médicament. Dès 1992, Brennan démontrait que la part de la négligence du prescripteur dans la survenue d’accidents iatrogènes était de 21% chez les moins de 15 ans et de 33% après 65 ans.21 Toutefois, il faut aussi savoir que l’automédication est fréquente puisqu’on estime qu’un sujet sur trois prend un médicament sans que son médecin le sache.13

Les hospitalisations pour pathologie iatrogène sont fréquentes en service de gériatrie. Elles représentent environ 20% des raisons d’admission dans ces structures, mais ce pourcentage augmente en fonction du nombre de prises médicamenteuses. Par exemple, chez 128 patients de plus de 70 ans hospitalisés, 44% ont un ou plusieurs effets indésirables dont 24% de réactions sévères (chute, saignement digestif et hématurie) chez les patients prenant plus de trois médicaments.23 Cela signifie que le ou les symptômes observés peuvent, dans pratiquement la moitié des cas de cette étude, être expliqués par la prise d’un ou plusieurs médicaments. Il est à noter que cette situation a nécessité une intervention médicale spécifique pour traiter des réactions sévères chez un quart des patients.

La question essentielle est de savoir s’il est possible de prévenir ces réactions indésirables sachant que la population devient de plus en plus âgée et que les nombreuses pathologies présentes demandent souvent un traitement polymédicamenteux. Il est établi que le grand âge est un facteur de risque de réactions médicamenteuses. La fragilité et la polypathologie sont aussi des facteurs de risque additionnels (figure 2). Dès lors, afin de réduire la prévalence des effets secondaires du traitement dans ce groupe à risque, il est primordial de limiter la prescription à des médicaments indispensables, de réaliser une éducation spécifique du patient ou de son accompagnant, de donner la thérapeutique pour la période la plus brève, en réévaluant à chaque visite l’utilité, l’efficacité et les effets secondaires potentiels.2,3 Enfin, il faut user de produits dont le bénéfice est réellement établi à court terme et éviter tout traitement dont l’effet escompté pourrait seulement être obtenu après une période plus longue que celle de l’espérance de vie «statistique» de la personne.4

La présentation et le conditionnement du médicament sont également importants si l’on veut faciliter la bonne observance thérapeutique chez la personne âgée. Les gouttes, le volume des comprimés, les modes d’administration (inhalation, traitement de contact,…) ne sont pas toujours bien adaptés aux handicaps du sujet âgé et engendrent des erreurs diverses ou des abandons prématurés.24

Enfin, certains produits particulièrement dangereux comme les anticoagulants et les hypoglycémiants nécessitent une surveillance et une éducation particulières. En effet, leurs effets secondaires directs et prévisibles peuvent aboutir à de véritables drames thérapeutiques aux conséquences souvent irréversibles.

CONCLUSION

La pharmacothérapie chez le sujet âgé représente une problématique importante, aussi bien à l’échelle individuelle pour le praticien qu’au niveau de la population pour la santé publique. La personne âgée cumule une série de facteurs qui l’exposent à un risque élevé de manifestations indésirables médicamenteuses dont la fragilité, la polymédication, une pharmacocinétique altérée et/ou une pharmacodynamie modifiée (figure 1). Toutes les enquêtes démontrent la forte prévalence et la sévérité potentielle de la pathologie iatrogène chez le sujet âgé. Quelques précautions élémentaires devraient permettre de réduire ce risque et tout médecin fréquemment confronté à des sujets âgés devrait non seulement les connaître d’un point de vue théorique, mais surtout les appliquer en pratique.

Implications pratiques

> La polymédication et le manque de connaissances précises de la pharmacologie chez le sujet âgé doivent rendre le médecin prudent dans ses prescriptions médicamenteuses

> Les effets secondaires des principaux médicaments utilisés et leurs interactions potentielles doivent être connus, en les intégrant dans la problématique spécifique de la personne âgée

> Tout symptôme nouveau dans l’évolution d’un patient doit faire évoquer le risque iatrogène, en particulier chez le sujet âgé

> Le médecin doit limiter sa prescription aux seuls médicaments dotés d’un rapport bénéfice/risque favorable, en considérant les objectifs particuliers propres à la personne âgée

Auteurs

Jean Petermans

Résident spécialiste Service de gériatrie

Pol Wotquenne

Résident spécialiste Service de gériatrie

André Jacques Scheen

Service de diabétologie, nutrition et maladies métaboliques et Unité de pharmacologie Clinique Département de medicine
CHU Sart Tilman 4000 Liège Belgique

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