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ISO 690 Nau, J., Heureux comme les virus au temps de la biologie synthétique, Rev Med Suisse, 2019/643 (Vol.15), p. 652–653. DOI: 10.53738/REVMED.2019.15.643.0652_1 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2019/revue-medicale-suisse-643/heureux-comme-les-virus-au-temps-de-la-biologie-synthetique
MLA Nau, J. Heureux comme les virus au temps de la biologie synthétique, Rev Med Suisse, Vol. 15, no. 643, 2019, pp. 652–653.
APA Nau, J. (2019), Heureux comme les virus au temps de la biologie synthétique, Rev Med Suisse, 15, no. 643, 652–653. https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.643.0652_1
NLM Nau, J.Heureux comme les virus au temps de la biologie synthétique. Rev Med Suisse. 2019; 15 (643): 652–653.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.643.0652_1
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point de vue
20 mars 2019

Heureux comme les virus au temps de la biologie synthétique

DOI: 10.53738/REVMED.2019.15.643.0652_1

C’est un dilemme moderne. C’est aussi une alerte lancée dans les colonnes de Médecine/Sciences1 par Jean-Nicolas Tournier (Institut de recherche biomédicale des armées françaises, unité Biothérapies anti-infectieuses et immunité, Département microbiologie et maladies infectieuses ; Institut Pasteur de Paris, unité génomique virale et vaccination). Où l’on perçoit à quel point nous nous rapprochons de la croisée de bien des chemins biologiques et médicaux.

« L’éradication des maladies infectieuses est l’un des vieux rêves de l’humanité, qui ne s’est pour l’instant matérialisé qu’une seule fois dans l’histoire avec la variole en 1980, nous rappelle l’auteur. Des efforts très importants sont consentis contre les virus de la poliomyélite depuis 1988, mais l’objectif final n’est pas encore atteint. Et paradoxalement, alors que le but d’éradiquer ces deux maladies virales est presque atteint, la biologie de synthèse multiplie les prouesses permettant la néosynthèse de virus, mettant ainsi en péril, au moins virtuellement, la pérennité de ces avancées. »

D’où venons-nous ?

Il y a trois siècles, Edward Jenner saisit rapidement que l’application généralisée de la vaccination permettrait d’éradiquer la variole. Et ce bien avant de comprendre les causes de la maladie et de savoir ce qu’était un virus. Au milieu du XXe siècle, le Dr Donald Henderson, épidémiologiste, met en place le programme de vaccination mondial pour le compte de l’OMS. En 1977, le dernier cas naturel de variole est rapporté à Mekka, en Somalie. En 1980, la variole est déclarée officiellement éradiquée par l’OMS. Aujourd’hui, deux laboratoires ont conservé des souches virulentes du virus, aux Etats-Unis et en Russie.

« Ainsi s’ouvrait une ère nouvelle de victoires sur les maladies virales, écrit Jean-Nicolas Tournier. L’association des vaccins et des antibiotiques fit naître l’espoir fou de la disparition programmée des maladies infectieuses. Mais cet espoir s’effondra lors de l’apparition de la pandémie de sida quelques années plus tard, dont le venin mortifère se distillait en fait silencieusement dans les populations humaines depuis plus de soixante ans. »2

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Depuis sa création, l’OMS a lancé quatre programmes mondiaux d’éradication des maladies infectieuses, parasitaires et virales, ciblés sur le paludisme et la dracunculose (une parasitose due à la filaire de Médine Dracuncula medinensis), la variole et la poliomyélite.

En 1955, le premier programme développé par l’OMS est fondé sur une stratégie d’interruption de la transmission vectorielle du paludisme par l’utilisation de l’insecticide rémanent dichloro-diphényl-trichloroéthane (le DDT), dont l’utilisation lors de la Seconde Guerre mondiale avait semblé presque miraculeuse. Malheureusement, l’apparition de moustiques résistant à ce pesticide aboutit à la réémergence du parasite et à l’abandon du programme, en 1969.

Le programme d’éradication de la poliomyélite est adopté par l’OMS en 1988. Avant 1950 et l’apparition des vaccins spécifiques, l’infection provoquait environ 600 000 morts prématurées par an dans le monde. Depuis le début de la campagne d’éradication, il y a trente ans, le nombre de cas a diminué de plus de 99,99 %. Ce succès doit toutefois être relativisé par l’émergence de souches circulantes de poliovirus dérivées des souches vaccinales, qui peuvent recouvrer une neurovirulence. Ces souches provoquent des cas de paralysie appelée poliomyélite paralytique associée au vaccin (PPAV), qui ressemblent à la poliomyélite. Plus d’une centaine de cas ont été répertoriés dans au moins cinq pays entre janvier 2017 et juin 2018 – des cas consécutifs à l’utilisation d’un vaccin. La principale cause de poliomyélite dans le monde est ainsi paradoxalement devenue… le vaccin lui-même.

Ce travail donne en effet le pouvoir de recréer le virus de la variole à quiconque disposerait de 100 000 euros

Où en sommes-nous ?

En 1978, Charles Weissmann (Université de Zurich) fait faire un bond considérable à la virologie en développant la méthode de « génétique inverse virale ». Jusqu’à cette démonstration, la seule manière de produire un virus par des cellules était de les infecter. Or ce travail apportait la démonstration qu’il suffisait de traduire l’information génétique codant un virus dans une cellule hôte pour obtenir la production de virions complets et infectieux.

Une deuxième étape fut franchie, trois ans plus tard, par David Baltimore qui étendit cette technique aux « virus eucaryotes », des virus non plus de bactéries, mais susceptibles d’infecter les cellules eucaryotes, et ce en utilisant le virus de la poliomyélite : il inséra le génome du virus dans un plasmide bactérien qu’il fit pénétrer dans des cellules par simple transformation. En 1989, le groupe de Peter Palese montre que la stratégie est possible avec le virus de la grippe. Et depuis vingt ans, les techniques de production de virus se sont largement développées. En 2002, elle est appliquée au virus de la vaccine, le proche cousin du virus de la variole.

C’est dans ce contexte qu’émerge la biologie de synthèse, née de l’ingénierie génétique. Son objet : créer des éléments constitutifs du vivant afin d’en explorer de nouvelles potentialités. « Elle vise, en quelque sorte, à libérer la biologie du carcan de l’évolution, pour donner à l’homme le pouvoir de façonner des objets biologiques nouveaux, qui n’ont pas, ou plus, d’équivalent dans la nature, explique Jean-Nicolas Tournier. En 2002, cette biologie de synthèse s’est invitée en virologie… avec la “recréation” d’un virus de la poliomyélite produit à partir de séquences d’ADNc synthétiques introduites dans un plasmide permettant de transfecter des cellules eucaryotes. »3

Puis en 2003, Craig Venter publie un travail de néosynthèse à partir d’oligonucléotides synthétiques sur un bactériophage. En 2005, une publication de l’équipe d’Adolfo Garcia-Sastre décrit la néosynthèse du virus de la grippe pandémique de 1918. Et en 2017, la revue Science annonce la circulation dans les rédactions scientifiques, d’un article décrivant la synthèse artificielle du virus horsepox – article finalement publié en janvier 2018, dans la revue PLoS One.4

Tout ceci soulève alors un vent de critiques et de réprobations scientifiques. Ce travail donne en effet le pouvoir de recréer le virus de la variole à quiconque disposerait de 100 000 euros, ce qui représente une somme modeste au regard des moyens financiers dont disposent les grandes organisations terroristes internationales ou un « Etat voyou ». La biologie virale devient donc l’otage d’une logique marchande…

Où allons-nous ?

« Nous nous trouvons donc à la croisée des chemins entre des entreprises d’éradication de fléaux, dont les coûts humain et financier ont été et continuent d’être faramineux pour l’humanité, et une biologie de synthèse qui met à disposition des recettes de cuisine permettant de néosynthétiser ces fléaux, observe Jean-Nicolas Tournier. Il est ironique que deux des trois principaux virus qui ont bénéficié de la biologie de synthèse soient des virus pour lesquels l’humanité a dépensé tant d’énergie à les éradiquer. »

Pour ce chercheur responsable, il est inacceptable que tant d’efforts puissent être mis en danger aussi facilement. Aussi plaide-t-il pour la mise en œuvre des moyens de contrôle internationaux de la biologie de synthèse ; et ce afin d’éviter de voir un jour reflamber des pathologies virales, la variole et la poliomyélite, à cause d’une utilisation malveillante des avancées de la science dans des populations redevenues naïves.

Auteurs

Jean-Yves Nau

jeanyves.nau@gmail.com

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