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ISO 690 Monod, S., Grandchamp, C., Système de santé suisse : aux origines de la machine, Rev Med Suisse, 2022/793 (Vol.18), p. 1617–1620. DOI: 10.53738/REVMED.2022.18.793.1617 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2022/revue-medicale-suisse-793/systeme-de-sante-suisse-aux-origines-de-la-machine
MLA Monod, S., et al. Système de santé suisse : aux origines de la machine, Rev Med Suisse, Vol. 18, no. 793, 2022, pp. 1617–1620.
APA Monod, S., Grandchamp, C. (2022), Système de santé suisse : aux origines de la machine, Rev Med Suisse, 18, no. 793, 1617–1620. https://doi.org/10.53738/REVMED.2022.18.793.1617
NLM Monod, S., et al.Système de santé suisse : aux origines de la machine. Rev Med Suisse. 2022; 18 (793): 1617–1620.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2022.18.793.1617
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système de santé
31 août 2022

Système de santé suisse : aux origines de la machine

DOI: 10.53738/REVMED.2022.18.793.1617

Résumé

Le système de santé suisse s’est construit au fil des 2 derniers siècles au gré de choix politiques et de l’évolution de la médecine. Mais, à l’heure où les questions de santé et de coûts sont de plus en plus souvent mises à l’agenda politique et que des défis majeurs de santé publique se présentent, il apparaît important pour la population et, en particulier, pour les professionnels de santé de se réapproprier son fonctionnement, sa construction et ses valeurs afin d’être en capacité d’en débattre avec le plus d’acuité possible. Cet article reprend, à partir d’un regard historique, les fondements du système de santé suisse et tente de préciser ce qu’il recouvre en termes de « santé » et de « système ».

Introduction

On lui attribue des vertus (qualité des soins) comme les plus grands défauts (coûteux), mais notre système de santé, à travers sa complexité, devient insaisissable. Quelles sont les mécaniques profondes qui définissent ce système ? Dans quel contexte et sur quelles valeurs a-t-il été construit ? Qu’est-ce qui en fait « un système » ? À l’heure où les questions de santé et de coûts sont de plus en plus souvent mises à l’agenda public, il apparaît nécessaire de nous « refamiliariser » avec ce système, de le redécouvrir pour mieux l’appréhender, afin d’enrichir le débat et soutenir les inévitables réformes à venir.

Cet article propose, au travers d’une relecture historique, de reprendre quelques fondements de notre système de santé suisse et de revenir en priorité sur les mots « santé » et « système » pour mieux comprendre ce qu’ils signifient.

Santé : d’un concept vague à un bien individuel

Les sociétés et les individus se sont probablement toujours préoccupés de santé. Depuis la nuit des temps, les civilisations ont favorisé des modes de vie sains et ont pris soin des personnes souffrant de maladies et d’invalidité, avec des pratiques allant des régimes alimentaires, aux quarantaines, à l’utilisation d’herbes médicinales, de pratiques religieuses ou divinatoires. Ainsi, pendant très longtemps, la santé, indéfinie, relevait tant de l’individu que du collectif.

La question se précise avec le développement de l’hygiène, ancêtre de la santé publique, à partir du 18e siècle. L’autorité publique tente alors d’intervenir en faveur des populations, pour promouvoir l’accès à un environnement (eau, air, sol) propre et sain et, en particulier, prévenir des épidémies. Dans les villes, les autorités agissent sur diverses normes architecturales ou d’urbanisme (canalisation d’eaux usées, cimetières, abattoirs, etc.).1,2 La santé reste non définie mais devient un bien collectif à préserver et une responsabilité d’État.

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Avec l’arrivée de la médecine scientifique au 19e siècle, la santé devient petit à petit un bien individuel. Le développement de l’anatomopathologie permet de comprendre la genèse des maladies et leurs causes. Des traitements deviennent possibles. La maladie n’est plus vécue comme une fatalité et le médecin commence à guérir. La santé trouve alors l’une de ses premières définitions avec celle du chirurgien R. Leriche en 1936 : « La santé c’est la vie dans le silence des organes. »3 La santé est alors un bien que l’on peut perdre puis retrouver, et qui se lie intimement à l’activité de la médecine.

Cette médicalisation de la santé place donc progressivement l’individu au centre et le dissocie du collectif dans lequel il vit. Elle vient aussi progressivement modeler un rôle plus normatif de la santé publique, avec l’épidémiologie, en lui attribuant la responsabilité de la prévention et de la promotion de la santé. La figure 1 illustre ce premier champ de tension entre santé publique et santé individuelle.

Fig 1

Des modèles de compréhension de la santé différents

Au cours du siècle dernier, les différents modèles de compréhension de la santé continuent de faire débat. Dès 1946, l’OMS tente d’élargir une vision biomédicale trop étroite de la santé en proposant cette définition d’ailleurs toujours utilisée : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »4 Et les défenseurs de la santé publique, issus d’autres sciences, s’efforcent aussi de définir plus globalement les déterminants de la santé, en mettant notamment l’accent sur les déterminants sociaux.5

Santé publique et biomédecine, deux préoccupations de santé parallèles

Partant de ces modèles différents de compréhension de la santé s’ensuit une cohabitation tendue entre la santé publique comme préoccupation de l’État avec sa vision large et populationnelle (déterminants sociaux et environne­mentaux de la santé) et la biomédecine garante des soins médicaux, alliée des progrès scientifiques et centrée sur les individus.

Malgré des tentatives de repositionnement des enjeux de santé au cours du siècle dernier, la santé publique et sa préoccupation populationnelle résistent mal à ce modèle scientifique de la médecine qui prend le dessus et qui devient déterminant dans la compréhension populaire moderne de ce qu’est la santé. Cette dernière devient ce que la médecine en dit.

Ces modèles de compréhension très différents produisent finalement des systèmes parallèles. L’un centré autour de programmes de prévention ou de promotion de santé, en main des collectivités publiques, et l’autre centré sur la maladie, sa prévention et ses traitements, sous responsabilité médicale.6 Deux mondes qui finalement communiquent peu et peinent à trouver un langage commun ou un discours de valeurs communes. Le premier tend parfois à moraliser certains comportements humains (alcool, tabac, sédentarité, malbouffe…), le second se vante de réparer les méfaits que ces comportements ont sur la santé, il sauve des vies dans le présent et offre des secondes chances, donnant à l’Homme l’illusion que sa santé est réparable.

L’histoire nous apprend donc que derrière le terme « santé » se cachent en réalité des conceptions et des systèmes différents. Et en parlant de « système de santé » aujourd’hui, on confond en réalité la santé et les soins, la prévention et le curatif, le collectif et l’individu.

Ce qui fait « système »

Venons-en maintenant au « système ». De quoi est-il constitué ? De quoi se préoccupe-t-il ? De promouvoir la santé ou seulement d’organiser les soins ?

Selon Wikipédia, « un système est un ensemble d’éléments interagissant entre eux selon certains principes ou règles ».7 Dans la logique de l’évolution des conceptions de santé publique et de biomédecine, on peut donc tenter de définir ce qui fait système aujourd’hui et identifier deux centres de préoccupation distincts : le premier autour du rôle de l’État dans le domaine de la santé et le second lié à l’organi­sation des soins (figure 2).

Fig 2

Notre « système de santé » se dédouble en réalité en deux systèmes parallèles

L’État est ici considéré indifféremment comme fédéral, cantonal ou communal.

LAMal : loi fédérale sur l’assurance-maladie.

Le système créé autour de l’assurance-maladie (triangle bleu central sur le schéma de la figure 2)

Les premiers éléments d’organisation de notre système de soins contemporain se constituent autour des médecins et des hospices qui passent progressivement au cours du 19e siècle d’une mission d’assistance publique à des soins médicaux. Mais un autre acteur s’invite rapidement dans le jeu et crée progressivement le « système » : l’assurance. Si des caisses maladie et mutuelles existaient déjà comme organismes privés chargés d’offrir à quelques heureux élus une protection financière contre la maladie, l’invalidité ou le décès, leur rôle se renforce rapidement. En étendant progressivement leurs prestations et en conventionnant avec les médecins et les hôpitaux pour commencer à offrir à leurs assurés une participation aux frais médicaux, elles créent les prémices du « système » de soins. La mise en relation complètement privée des assureurs avec les prestataires de soins (médecins et hôpitaux), d’un côté, et les citoyens payeurs de prime ou patients consommateurs, de l’autre, crée ce premier système (triangle bleu) duquel l’État est initialement absent. Mais pas longtemps…

Avec l’augmentation des soins médicaux et l’émergence de la notion de protection sociale comme devoir d’État (passage de l’« État gendarme » à celui d’« État providence » ou État social), une forte pression se fait sur le rôle de l’État dans la protection de la maladie et de l’accident. En 1890 déjà, lors d’une votation populaire, le peuple suisse confère à la Confédération, à une large majorité, la compétence d’instituer une assurance-maladie et accidents obligatoire dans le but de favoriser une meilleure couverture de prise en charge de tout citoyen.8 La Suisse suit en cela le modèle allemand de développement des assurances sociales. Mais la Loi fédérale sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents (la LAMA) ne voit finalement le jour qu’en 1911, après de vifs débats, et ne prévoit que l’obligation d’assurance accidents, marquant le début de la CNA/SUVA, Caisse nationale d’accident. L’assurance maladie reste facultative, en main du secteur privé, même si la loi fédérale laisse aux cantons la compétence de la rendre obligatoire et permet à la Confédération de subventionner certaines caisses maladie.

Commence alors l’histoire de l’assurance-maladie telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec deux enjeux principaux : l’obligation d’assurance et le contrôle de l’augmentation des coûts à charge.

Concernant l’obligation d’assurance, il faut noter que dans la suite du « rapport Beveridge » du Royaume-Uni en 1942, plusieurs initiatives demandent la mise en place d’une sécurité sociale nationale. Mais ces propositions échouent toutes au motif d’un refus de centralisation, d’une volonté de travailler avec des acteurs privés et d’un risque d’augmentation des coûts. Les cantons continuent donc d’assumer leurs propres politiques de protection. Plusieurs cantons rendent obligatoire l’assurance pour certaines populations précarisées. Jura et Neuchâtel sont les premiers cantons à étendre cette obligation à toute la population en 1979. Et quelques cantons créent des caisses publiques. Mais l’obligation d’assurance ne sera finalement réglée qu’un siècle après la votation de 1890, au moment de l’acceptation de la nouvelle Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) en 1996.

Sur la question de l’accroissement des coûts, les choses sont plus délicates car se situant souvent hors du champ de maîtrise directe des autorités étatiques. L’État subit les développements de la médecine et court derrière les besoins de régulation qui apparaissent successivement. Les interventions parlementaires se succèdent aussi dès le milieu du 20e siècle, demandant une révision complète de la loi et la résolution des problèmes de financement. Le peuple rejette deux projets de réforme en 1974. Les débats politiques sont tendus et la position des lobbys (pharma, assurances, médecins) défendant l’indépendance du secteur s’affirme toujours plus. Les acteurs se renvoient tous la balle. La Confédération s’efforce d’harmoniser la réglementation, différente d’un canton à l’autre, et tente d’instaurer des incitations visant à réduire les coûts.

La réforme de 1994, qui aboutit à la mise en œuvre en 1996 de la nouvelle version de la LAMal, n’est finalement que l’aboutissement des débats du siècle précédent. Avec l’instauration d’un régime obligatoire d’assurance à l’échelle nationale, décidé par le peuple un siècle plus tôt, et créant une base légale pour plusieurs instruments de maîtrise des coûts, cette révision répond aux enjeux passés sans amener particuliè­rement de vision d’avenir. Par ailleurs, cette réforme ancre solidement la question de la responsabilité individuelle et d’une concurrence régulée dans le marché de la santé.

Ce système organisé autour du soin et de la médecine est donc construit sur des bases privées, avec deux acteurs principaux que sont les médecins et les assurances. L’État fédéral y joue un rôle de régulateur, selon la volonté du peuple exprimée plusieurs fois au cours du siècle dernier.

Le système créé autour des différents rôles de l’État (en gris sur le schéma de la figure 2)

On peut identifier trois rôles différents pour l’État (considéré ici aux sens fédéral, cantonal ou communal).

Comme décrit précédemment, la responsabilité santé de l’État s’institue tout d’abord depuis le 19e siècle avec l’émergence de l’hygiène. Les cantons et la Confédération endossent progressivement de nouvelles responsabilités (gestion des épidémies, « police alimentaire » ou surveillance des examens des professions médicales), toujours avec une mission de protection de la population. L’ancêtre de l’OFSP est d’ailleurs fondé en 1893.

Mais la préoccupation santé de l’État s’étend rapidement dès le début du 20e siècle de l’hygiène publique au champ des soins médicaux. Avec la montée en puissance de la médecine et la mise en système des médecins, des hôpitaux et des assureurs, l’État endosse progressivement deux autres rôles. Au titre de mini-État, les cantons assument de plus en plus de responsabilités en termes d’organisation du système de santé sur leur territoire, notamment en planifiant les dispositifs hospitaliers et en finançant un certain nombre d’activités. Et en accord avec la volonté populaire affirmée, l’État endosse un rôle de régulateur et de surveillant, que ce soit des institutions de soins et des professionnels de santé, des médicaments (en plein essor) ou du système d’assurance-maladie.

Ainsi, au-delà de sa tâche historique de protection de la population et de promotion de la santé, l’État endosse un rôle de contrôle et de régulateur du système de soins, auquel il n’appartient pas vraiment et dans lequel il ne joue parfois qu’un rôle subsidiaire. Ces différents rôles, encore complexifiés par notre système fédéral, perdurent encore aujourd’hui et rendent parfois peu lisibles, notamment aux yeux des différents acteurs, le rôle et la responsabilité de l’État. Il n’est pas rare, dans le cadre de débats sur le système de santé, que la balle soit systématiquement renvoyée non seulement entre les acteurs eux-mêmes, mais aussi entre les différents rôles d’État, fédéral et cantonal en particulier.

Conclusion

Notre système de santé est bien une machine complexe, construite au fil du temps, reflétant des choix populaires et des intérêts politiques. Elle a été continuellement ajustée, bricolée, étendue. Son architecture est solidement fondée sur les gènes d’une Suisse libérale et démocratique. Si les artisans de cette machine, institutions et professionnels de soins, État, assureurs et industrie sanitaire, se disputent l’équilibre de cette mécanique complexe, ils en oublient souvent qu’au-delà de leurs propres intérêts, cette machine ne devrait servir que les intérêts de la population et des citoyens.

Conflit d’intérêts :

Les auteures n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Implications pratiques

• Les mots ont de l’importance lorsqu’on veut essayer de comprendre notre « système » de « santé »

• La définition de la santé n’est pas uniforme selon qu’on se place dans une lecture sociale et historique ou dans une perspective biomédicale

• La notion de système n’est pas non plus univoque et l’on est plutôt dans une juxtaposition de systèmes selon qu’on se place dans une responsabilité d’État au sens large (Confédération, canton, commune) ou du point de vue d’une organisation autour de la LAMal. Il n’y a donc pas qu’un seul système

• Enfin, il faut se rappeler que notre « système de santé » est bien une construction historique qui traduit une certaine vision de la société et une culture

Auteurs

Stéfanie Monod

Département épidémiologie et systèmes de santé, Unisanté
1005 Lausanne
stefanie.monod-zorzi@unisante.ch

Chantal Grandchamp

Soutien stratégique et juridique, Unisanté, Centre universitaire de médecine générale et santé publique
1011 Lausanne
chantal.grandchamp@unisante.ch

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