Depuis quelques années, les techniques modernes de l’imagerie médicale, comme le MDCT (Multidetector computed tomography) et l’IRM (Imagerie par résonance magnétique), prennent de l’importance dans les examens post mortem (pm). L’angiographie pm, quant à elle, ouvre de nouvelles possibilités d’investigation du système vasculaire jusqu’alors impossible avec une autopsie conventionnelle. En plus des méthodes radiologiques, d’autres techniques modernes comme le scanner de surface en trois dimensions (3D) ont été employées afin d’améliorer les reconstitutions de cas complexes. En utilisant les techniques d’imagerie pm, une autopsie et une documentation objectives peuvent être réalisées, permettant une augmentation de la qualité des investigations médico-légales.
Les progrès technologiques qu’a connus la radiologie ces dernières années commencent à toucher également la médecine légale, comme l’ont fait auparavant les progrès en toxicologie ou encore la génétique forensique. A ce jour, les techniques d’autopsie se basent sur des méthodes introduites il y a plus de 100 ans et consistent essentiellement en la dissection et la documentation par oral/écrit.1 Le plus souvent, les lésions à la surface du corps sont documentées par des photographies.1 Une fois les investigations terminées, le corps est rendu aux proches, puis incinéré ou enterré. Si, dans un second temps, d’autres questions surgissent ou un deuxième avis est sollicité, il sera souvent difficile d’apporter des réponses sur la seule base de la documentation initiale. C’est entre autres sur ce point-là que les nouvelles technologies radiologiques viennent apporter un avantage considérable.
Les examens radiologiques ont été utilisés en médecine légale très rapidement après l’introduction des rayons X dans la médecine.2-5 Il a fallu toutefois attendre l’introduction du scanner, et notamment celui à multidétecteur (MDCT, multidetector computed tomography), pour entamer une véritable révolution radiologique dans la médecine forensique. Cette technologie introduite en 19896 permet de faire des reconstructions en trois dimensions, ce qui offre des avantages évidents pour expliquer des données médicales complexes à des personnes venant d’autres domaines.7-9
Le développement et la recherche en imagerie post mortem (pm) ont permis de repousser plus loin les limites de l’autopsie conventionnelle. Les exemples discutés ci-après sont le MDCT, l’IRM,10-16 l’angiographie post mortem17-20 ou encore le scan de surface.21
Parmi les technologies modernes d’imagerie pm, le MDCT est l’outil le plus important et le plus fréquemment utilisé. En effet, le temps d’installation et d’acquisition des données est très rapide (un corps entier est scanné en 10 minutes) et la manipulation du MDCT est relativement facile. Des scanners sont déjà installés dans plusieurs instituts médico-légaux à travers le monde, par exemple au Armed Forces Institute of Pathology à Washington DC, Etats-Unis, à l’Institut de médecine légale de Copenhague, Danemark,22 et au Victorian Institute of Forensic Medicine à Melbourne, Australie. Au Japon, la «Society for autopsy imaging» a été créée en 2003. En Suisse, les instituts de médecine légale de Berne23-25 et de Lausanne ont installé leur propre MDCT.
L’imagerie pm peut être employée comme examen complémentaire à l’autopsie ou à l’examen externe du corps. Les données volumétriques acquises du corps entier peuvent ensuite être reconstruites en coupes axiales et en 3D. Selon l’épaisseur des coupes axiales, la résolution peut être augmentée ou diminuée. La résolution usuelle pour l’imagerie pm est une épaisseur de coupe de 1,25 mm pour tout le corps et une épaisseur de 0,63 mm pour des régions d’intérêt particulier (dépendant du cas) et pour le crâne.24,25 Les avantages du scanner effectué avant l’autopsie sont essentiellement les suivants.
Pour la médecine légale, la morphologie exacte d’une fracture est très importante, car le médecin légiste peut en retirer des informations sur son origine. Lors d’une autopsie conventionnelle, certaines fractures complexes sont impossibles à investiguer sans les modifier par les manipulations. Ainsi, la détection des fractures situées dans des régions difficilement accessibles à l’autopsie est plus aisée par l’imagerie.25 De plus, grâce à des reconstructions en 3D, les informations obtenues sont aussi facilement compréhensibles par des non-médecins (figure 1).
Les corps étrangers, notamment métalliques, peuvent facilement être localisés et visualisés radiologiquement. Les avantages en médecine légale sont multiples. Par exemple, dans des cas de coup de feu, le MDCT permet de détecter la présence éventuelle d’un projectile à l’intérieur du corps ainsi que sa localisation exacte qui pourrait être involontairement modifiée lors des manipulations faites au cours de l’autopsie. De plus, l’extraction d’un projectile pour l’analyse balistique et une visualisation du trajet du projectile sont facilitées (figures 1 et 2). La position exacte du projectile peut être également importante pour la reconstitution des faits.
Les implants médicaux sont un autre type de corps étranger d’intérêt médico-légal. Leurs positions et leurs morphologies sont souvent utilisées pour l’identification des corps. Les images pm effectuées par le scanner peuvent facilement être comparées avec les radiographies ante mortem. Bien que le scanner rencontre des limitations (artéfacts) dans la documentation des travaux dentaires, un scanner peut suffire pour l’établissement d’un odontogramme.26,27 En cas de catastrophe de masse, l’utilisation du MDCT pourrait faire gagner du temps pour l’identification des victimes.28
En pratiquant une autopsie conventionnelle, la détection d’une embolie gazeuse ou d’un pneumothorax nécessite d’avoir recours à des techniques spéciales, qui ne sont pas toujours disponibles. Sur les images du scanner, un pneumothorax, un pneumopéritoine, un emphysème des tissus mous ou encore des embolies gazeuses sont facilement détectables. A l’aide de logiciels spéciaux, le volume de gaz peut même être quantifié.29 Evidemment, il faut également tenir compte de la formation naturelle de gaz post mortem.
La consultation des images par le médecin légiste, avant l’autopsie, lui permet de choisir la bonne technique et l’approche idéale. Il peut ainsi également éviter ou anticiper des dangers potentiels (tuberculose, corps étranger coupant, etc.)
Par rapport au MDCT, l’IRM permet une excellente visualisation des tissus mous. En revanche, la reproduction des structures osseuses est médiocre. Dans le cadre de l’imagerie pm, elle est donc utilisée pour investiguer les tissus sous-cutanés, les organes abdominaux, le cœur et le cerveau. En médecine légale, l’investigation du tissu sous-cutané est très importante, particulièrement dans les cas de traumatismes contondants. La distribution et la morphologie des hémorragies sous-cutanées peuvent donner des informations sur le mécanisme d’origine. L’application de l’IRM pm peut donc améliorer la sensibilité des investigations médico-légales dans le cadre des traumatismes contondants, tels que les accidents de la circulation ou les cas d’homicides par armes contondantes.30 L’IRM est également un bon moyen d’investigation pour les pathologies cérébrales31 et, dans le domaine de la pédiatrie, pour la cause de décès d’un nouveau-né.32,33 Dans ce dernier cas, les images obtenues peuvent montrer des pathologies, des anomalies congénitales et des traumatismes consécutifs à l’accouchement (figure 3). Puisque l’IRM utilise des champs magnétiques et des ondes électromagnétiques sans rayons X, les médecins légistes peuvent également employer cette technique sur des victimes ayant survécu à des agressions, pour autant qu’elles aient donné leur accord. Cette possibilité est utilisée pour examiner les tissus mous du cou des victimes de strangulation.34 Ainsi, même si l’examen à l’œil nu ne montre pas de lésions visibles, dans quelques cas, l’examen par IRM révèle des hémorragies des tissus mous profonds ainsi que des pété-chies dans les ganglions lymphatiques, qui témoignent d’un traumatisme.
Depuis longtemps les anatomistes utilisent des méthodes d’injection de produits pour faire des moulages vasculaires.17,35 Malheureusement ces techniques s’effectuent au détriment d’autres investigations sur les mêmes organes, car le processus détruit souvent les autres tissus. Cette limitation n’est pas acceptable pour une investigation judiciaire. L’emploi du MDCT encourage aujourd’hui les chercheurs à trouver des solutions pour perfuser des liquides de contraste radio-opaques dans les corps.20
Une nouvelle méthode en deux étapes a permis de «rétablir» une circulation sanguine en utilisant une pompe de circulation extracorporelle modifiée qui perfuse du liquide de contraste dans tout le corps.18,19 Un liquide lipophile va créer des embolies graisseuses microscopiques qui boucheront le système capillaire. Cet effet est désiré car le système capillaire est parmi l’un des premiers à subir l’altération liée à l’autolyse, provoquant ainsi des fuites et des œdèmes dans les tissus avoisinants. Les liquides lipophiles restent intravasculaires et pénètrent le système veineux par des shunts artériolo-veineux.18 En utilisant cette technique en deux étapes, les structures vasculaires peuvent donc être visualisées en détail (figure 4A-B), ce qui permet de mettre en évidence des lésions vasculaires fines, telles que des sténoses et des sources d’hémorragies.
En dehors des techniques d’imagerie radiologique, la photogrammétrie digitale et le scan de surface en 3D sont appliqués en médecine forensique par un groupe de chercheurs bernois, connus sous le label «Virtopsy». Pour le scan de surface en 3D, un TRITOP/ATOS system (GOM, Braunschweig, Allemagne) est utilisé. Cet appareil reproduit la géométrie d’un objet en 3D avec une résolution extrêmement haute et le modèle résultant peut être utilisé sur l’ordinateur pour des reconstitutions complexes.
Pour digitaliser un objet, deux étapes doivent être réalisées. Premièrement, une photogrammétrie digitale est faite pour définir des points de référence sur l’objet. Plusieurs images depuis des angles différents doivent être effectuées avec une caméra digitale connectée à l’ordinateur et le logiciel de TRITOP calculera ensuite les coordonnées des points de référence. Durant la deuxième étape, c’est-à-dire le scan de surface, ces marques de référence permettront la fusion automatique des images.
Le scanner de surface contient un projecteur et deux caméras. Des rayons lumineux sont projetés sur l’objet et se déplacent sur ce dernier. Pendant ce déplacement, ils se déforment en fonction des irrégularités de la surface de l’objet. Ces déformations sont enregistrées par les deux caméras et envoyées à un ordinateur. Celui-ci recrée ensuite la surface de l’objet scanné sur un modèle à l’échelle. Ce processus est répété plusieurs fois afin de couvrir toute la surface de l’objet et de la transmettre à l’ordinateur. Dans le cadre des investigations médico-légales, des corps entiers peuvent ainsi être scannés et un modèle en 3D être créé. Ces modèles sont particulièrement utiles pour la reconstitution de mécanismes. Par exemple, dans des cas d’accidents de la circulation, il est possible de comparer et de mettre en relation les dégâts des véhicules impliqués avec les lésions présentes sur le corps.21 Une autre application est de comparer la morphologie d’une lésion avec la surface d’une arme que l’on soupçonne d’être l’arme du crime (figure 5).
Les techniques d’imagerie constituent une valeur ajoutée aux investigations médico-légales classiques. Avec un examen par MDCT, le médecin légiste peut obtenir rapidement des informations cruciales sur le cas à investiguer, lui permettant également de préparer son autopsie et d’adopter d’emblée la bonne technique qui est adaptée au cas par cas. L’imagerie avant l’autopsie permet aussi d’anticiper des dangers pour les intervenants.
Par rapport aux constatations effectuées lors d’une autopsie conventionnelle, les informations acquises par un scanner représentent l’état du corps avant toute interférence. Des «lésions» produites par l’autopsie peuvent ainsi être facilement identifiées. La représentation exacte de l’aspect des fractures multi-fragmentaires ainsi que des positions des projectiles est supérieure à toute photographie ou description.
En utilisant le MDCT en combinaison avec l’IRM, presque toutes les structures importantes peuvent être investiguées. Les régions difficiles d’accès lors d’une autopsie sont ainsi plus facilement examinées. La technique de l’angiographie pm, quant à elle, présente de nouvelles possibilités d’investigation en médecine légale, jamais connues avec une simple autopsie.
La conservation des images radiologiques du corps entier avant l’autopsie permet de revenir sur un cas si de nouvelles questions surgissent et de demander un deuxième avis sur cette base. La reconstruction à l’aide du scanner produit des images facilement compréhensibles, même pour des personnes d’autres domaines, ce qui facilite la communication entre les médecins légistes et les autres disciplines impliquées dans l’enquête. Ces images se prêtent également bien pour une démonstration au tribunal, car elles sont «non sanglantes» comparées avec les photos prises lors de l’autopsie, permettant ainsi de rester le plus neutre possible.
Actuellement, nous sommes encore loin d’un remplacement de l’autopsie par des techniques d’imagerie. Une autopsie comporte bien plus qu’une simple recherche et documentation des lésions et des pathologies visibles (examens histologiques, toxicologiques, génétiques, microbiologiques, etc.). Il ne faut pas oublier non plus que l’imagerie forensique présente aussi des limites, telles que la résolution limitée du scanner. De plus, pour un bon nombre d’instituts, l’acquisition du matériel précité est financièrement hors de porté.
Pour finir, il faut également insister sur la nécessité d’une collaboration étroite entre les médecins légistes et les radiologues, pour tout projet de radiologie forensique. En effet, ces deux spécialistes se trouvent confrontés à un nouveau domaine où ils ne peuvent qu’apprendre l’un de l’autre.
> L’imagerie forensique est employée comme complément aux autopsies et aux examens externes
> Les outils principaux de l’imagerie forensique moderne sont le MDCT, l’IRM, l’angiographie post-mortem et le scan de surface
> Les principaux avantages de l’imagerie forensique sont la détection et la documentation de lésions, la sauvegarde durable des données, la démonstration de lésions complexes à un public non averti et la préparation de l’autopsie
> Une collaboration étroite entre les médecins légistes et les radiologues est nécessaire pour la mise en application de ces technologies modernes
In recent years, modern techniques of medical imaging such as MDCT (multidetector-computed tomography) and MRI (magnetic resonance imaging) have pioneered post mortem (pm) investigations, especially in forensic medicine. Particularly pm angiography permits investigating the vascular system in a way which is not possible by performing only conventional autopsy. Beside these radiological methods, other modern visualizing techniques like the three dimensional (3D) surface scan have been implemented in order perform reconstructions of complex cases. By the use of pm imaging techniques, more objective and accurate documentations can be realized that permit an increase of quality in forensic investigations.