Les lombalgies et les lombosciatalgies aiguës constituent un motif fréquent de consultation médicale. L’anamnèse et l’examen clinique sont essentiels à leur prise en charge. Le médecin de premier recours, sur la base de la présence de signaux d’alerte (red flags), peut initier rapidement des investigations ambulatoires pour mettre en évidence une étiologie spécifique aux lombalgies. Concernant les lombosciatalgies, il est primordial de rechercher trois syndromes qui nécessitent une prise en charge spécialisée en urgence, à savoir la lombosciatique hyperalgique, la lombosciatique paralysante et le syndrome de la queue-de-cheval. Les atteintes sensitives n’en font donc pas partie, et ne nécessitent par conséquent pas d’avis spécialisé en urgence.
Les lombalgies sont un motif fréquent de consultation ; en sus de la gêne causée au patient, elles sont coûteuses tant par les examens et les traitements qu’elles entraînent que par les arrêts de travail qu’elles génèrent. En Suisse, chaque année, un adulte sur quatre va présenter une lombalgie aiguë,1 responsable de près de 5% des consultations médicales annuelles.2 A l’hôpital de Sion, la revue des 63 564 consultations d’adultes pour les années 2006 à 2009 ayant pour motif «lombalgies/ dorsalgies» recense 1794 cas, soit 2,82%. Cet hôpital couvrant une population résidente de 73 000 habitants,3 on peut calculer qu’un habitant sur 150 vient chaque année en consultation à l’hôpital pour un tel motif.
Par convention, le caractère aigu de cette pathologie se définit par une évolution inférieure à quatre semaines (subaiguë pour une durée de quatre à douze semaines). Une lombalgie fait référence à une douleur de la région lombaire n’irradiant pas au-delà du pli fessier alors que la lombosciatalgie est définie par une douleur lombaire associée à une irradiation dans le membre inférieur en raison d’une tension radiculaire, caractérisée notamment par la présence d’un signe de Lasègue.4,5
Le premier réflexe du praticien sera de s’assurer qu’il s’agit d’une lombalgie aiguë commune, où les douleurs ne sont pas attribuables à une pathologie spécifique,6 et qui évolue favorablement pour un tiers des patients en une semaine et pour les deux tiers en sept semaines. Dans le cas où une atteinte inflammatoire, infectieuse, traumatique ou tumorale est évoquée, un bilan complémentaire doit être rapidement pratiqué. Dans le cas d’une lombosciatalgie, trois situations nécessitent l’envoi du patient en urgence : une sciatique hyperalgique, une sciatique paralysante et un syndrome de la queue-de-cheval.7
Une cause spécifique de lombalgie reste peu fréquente : une revue de la littérature retrouve une fracture dans 4% des cas, un cancer dans 0,7% des cas et une infection encore plus rarement (0,01%).8 La présence de signaux d’alerte (red flags) (tableau 1) doit inciter le praticien à évoquer une atteinte inflammatoire, infectieuse ou tumorale.8-11 La valeur de l’anamnèse et des signes cliniques, variable en fonction des populations sélectionnées, a été analysée dans plusieurs études :12 parmi près de 2000 patients vus ambulatoirement, ceux chez lesquels un cancer était diagnostiqué présentaient tous au moins un des quatre paramètres suivants : âge > 50 ans, perte de poids inexpliquée, antécédent tumoral, échec du traitement conservateur.13 Dans une revue rétrospective de 101 cas d’infections spinales,14 dont 96 spondylodiscites avec une localisation la plus fréquente au niveau lombaire (56%), le principal facteur de risque était la présence d’un foyer infectieux simultané à distance (33%).
Dans ce contexte, un bilan complémentaire s’impose rapidement et devrait comporter une formule sanguine, un dosage de la CRP et de la VS, un examen d’urine et des examens radiologiques. Les radiographies standards ont une trop faible sensibilité pour exclure des pathologies infectieuses ou tumorales débutantes. Un CT ou une IRM doivent être envisagés en urgence si l’on suspecte une spondylodiscite, une ostéomyélite, des abcès épiduraux et des fractures avec possible instabilité. Le CT est à privilégier pour la recherche de lésions osseuses, alors que l’IRM a toute sa place pour l’examen des parties molles, des ligaments, des disques et pour la recherche de lésions inflammatoires.
La symptomatologie et l’examen clinique des patients présentant une lombalgie ou une lombosciatalgie ont été largement étudiés.15-18 Dans le cadre d’un syndrome radiculaire,19 la radiculalgie est souvent le symptôme essentiel : elle est lancinante, diurne et nocturne, ou aiguë spasmodique, majorée par les efforts glotte fermée, avec difficulté à garder la station debout en raison de la contracture musculaire paravertébrale, pouvant diminuer en position couchée. Le caractère est variable : brûlure, paresthésies à type de fourmillements, engourdissements, décharge électrique, avec parfois des formes atypiques comme une sensation d’étau autour de la cheville (L5). L’atteinte radiculaire comporte une manifestation motrice et/ou sensitive et/ou neurovégétative (rarement observée). Les troubles sensitifs sont les plus marqués, sous la forme d’une hypoesthésie dans le territoire radiculaire ou d’une hyperalgie, alors que les troubles moteurs sont moins fréquents. Les réflexes peuvent être diminués ou abolis selon la racine impliquée.
Au-delà de la recherche d’un niveau radiculaire précis (tableau 2), plusieurs tests sont applicables (figure 1), parmi lesquels le signe de Lasègue18 dont on ne soulignera jamais assez l’importance. La présence d’une hypoesthésie objective a davantage une valeur de diagnostic topographique que de gravité. Il faut systématiquement étendre l’examen de la sensibilité jusqu’à la région péri-anale même en l’absence de symptôme suggérant des troubles génito-sphinctériens. Les atteintes des racines L5 et S1 représentent 95% des hernies discales.10
Elle est définie par une douleur ressentie comme insupportable et résistante aux antalgiques majeurs de palier 3 selon l’OMS (opiacés forts). Bien que la douleur soit totalement subjective, elle doit être telle qu’elle empêche toute activité du patient, et conduise à des comportements d’évitements (toux, éternuement, défécation). Le traitement doit être bien conduit durant une période d’environ six à huit jours : le paracétamol doit être prescrit en première intention, les AINS sont cependant plus efficaces, finalement les antalgiques de palier 3 et les infiltrations épidurales qui améliorent la qualité de vie devraient être systématiquement proposés après cinq à dix jours. Les glucocorticoïdes sont controversés : une étude a montré une amélioration transitoire avec une administration IV de méthylprednisolone ;20 les données scientifiques à disposition ne plaident pas en faveur des glucocorticoïdes, dont les excellentes propriétés anti-inflammatoires en font malgré tout une thérapie de choix pour la majorité des praticiens en situation aiguë. Une vraie sédation de la douleur est primordiale, car sa persistance provoque un tourisme médical, des hospitalisations inutiles et des interventions chirurgicales prématurées.
L’évolution naturelle de la hernie discale est très souvent favorable. A six mois, l’IRM révèle une régression partielle ou complète de la hernie chez deux patients sur trois : il n’y a cependant pas de corrélation entre la disparition de la hernie à l’IRM et la clinique. Le recours à la chirurgie reste globalement exceptionnel avec une question cruciale : à quel moment, par rapport à la douleur, faut-il opérer en sachant que la probabilité de la résolution des symptômes par un traitement conservateur diminue progressivement avec le temps.21 Des douleurs persistantes sont en outre un facteur prédictif négatif pour une attitude chirurgicale ultérieure ; au-delà de huit mois, elles sont corrélées à un mauvais outcome chirurgical et à un risque élevé d’absence de reprise du travail.21 Les patients opérés ne retournent pas plus rapidement au travail, mais ont une meilleure évolution symptomatique et fonctionnelle.10 Le pronostic est favorable dans 95% des cas à un an quel que soit le traitement, mais la chirurgie divise par trois le délai de guérison.
Elle est définie comme un déficit moteur d’emblée inférieur à 3 selon l’échelle MRC (tableau 3) et /ou comme la progression d’un déficit moteur. Cette atteinte représente 3% des sciatiques mais 11 à 14% des sciatiques opérées. Elle apparaît précocement, dans un délai de moins de quinze jours pour 80% des cas.22 Elle est presque toujours monoradiculaire, touchant la racine L5 dans 75% des cas.
En cas de compression, la conduction nerveuse est d’abord perturbée dans les fibres sensitives, puis motrices ; lors de la levée de la compression, la récupération est plus rapide et plus complète dans les fibres motrices.22 Sur le plan clinique, on retrouve la même topographie en fonction des racines atteintes (tableau 2). La douleur est parfois si intense qu’il peut être difficile de distinguer un vrai déficit neurologique d’un déficit antalgique. Il faut distinguer quatre situations cliniques bien définies (tableau 4) et leur prise en charge.
La présence d’un déficit neurologique lors d’une sciatique pose la question du traitement chirurgical et de son influence sur la récupération motrice. Les résultats des études sont contrastés : il n’existe ni standardisation claire de l’option thérapeutique (conservatrice ou chirurgicale) à prendre, ni stade à partir duquel choisir une option invasive. Aux Etats-Unis, le recours à la chirurgie est plus fréquent.21 Un déficit neurologique n’est pas toujours synonyme de traitement chirurgical : en effet, le traitement médical seul permet une récupération complète dans 56% des cas. En outre, la chirurgie ne semble pas accélérer cette récupération.22 Selon une étude prospective, il existe une différence significative à court terme en faveur de la prise en charge chirurgicale, mais qui s’annihile à moyen et long termes.23 Les meilleurs résultats sont obtenus chez les patients présentant une atteinte compressive marquée et une courte durée des symptômes.24
Dans les sciatiques paralysantes opérées, seul le délai entre l’installation du déficit et l’acte chirurgical paraît influencer la récupération motrice. Une fois l’indication chirurgicale posée, l’intervention doit être rapidement effectuée, une souffrance de plus de 24 heures entraînant le plus souvent un déficit définitif ou une récupération très incomplète.
Elle est définie par l’apparition de troubles sphinctériens. Elle résulte d’une compression des racines nerveuses sacrées, entraînant une rétention urinaire ou une incontinence par regorgement, associée à une parésie des membres inférieurs de degré divers et à une anesthésie en selle. Il s’agit d’une pathologie grave, mais rare : sa prévalence parmi les patients se plaignant de lombalgies est estimée à 0,04%.25 Avec une sensibilité de près de 90%, le symptôme le plus souvent retrouvé est une rétention urinaire : en son absence, la probabilité de se trouver en présence d’un syndrome de la queue-de-cheval est de 1 sur 10 000.8
En cas de hernie discale, une revue de 44 patients permet de retenir un certain nombre d’informations :26 sur le plan symptomatique, tous présentaient une rétention ou une incontinence par regorgement associé à une anesthésie en selle. Cette entité représente une véritable urgence tant diagnostique en raison de la rapidité d’apparition des symptômes (moins de 24 heures pour 89% des patients) que thérapeutique, une chirurgie retardée étant associée à la persistance d’un déficit moteur sévère, de douleurs neurogènes et de dysfonction sphinctérienne et sexuelle. Dans cette même étude, sur les 24 patients opérés tardivement (après 48 heures), le retard de la prise en charge était imputable au patient (absence de consultation) dans quatre cas, et au médecin dans vingt cas : absence de diagnostic (7), retard des moyens diagnostiques (8) ou chirurgicaux (5).
Sur le plan des investigations, l’IRM est l’imagerie de choix, permettant notamment dans les cas de tumeur de visualiser l’ensemble du sac dural et de détecter les lésions des tissus mous ; elle est donc plus performante qu’un CT, qui montre bien les structures osseuses mais analyse mal les structures molles (queue-de-cheval, sac dural, LCR).
Lorsqu’un patient consulte pour une lombalgie ou une lombosciatalgie aiguë, l’anamnèse et l’examen clinique permettent rapidement de classer ces pathologies en lombalgies communes ou spécifiques ou en lombosciatalgies avec ou sans atteinte neurologique. Cette démarche permet au médecin de premier recours d’une part d’initier ambulatoirement quelques examens spécifiques et d’autre part d’identifier et d’envoyer en urgence en milieu hospitalier trois entités cliniques : la lombosciatalgie hyperalgique, la lombosciatique paralysante et le syndrome de la queue-de-cheval. Les deux premières entités devraient être vues par un spécialiste de la colonne vertébrale (neurochirurgien ou orthopédiste spécialisé) dans les 24 heures ; la troisième en revanche demeure une urgence chirurgicale immédiate, la récupération étant inversement proportionnelle au délai avant l’intervention chirurgicale. ■
> Il faut systématiquement évoquer les signaux d’alerte (red flags) en cas de lombalgies aiguës, car leur mise en évidence implique qu’une étiologie spécifique soit recherchée sans délai
> Parmi les nombreux tests dont la positivité est compatible avec une tension radiculaire, il faut souligner l’importance du signe de Lasègue (sensible, mais peu spécifique) et du signe de Lasègue croisé (spécifique mais peu sensible)
> La lombosciatique hyperalgique, la lombosciatique paralysante et le syndrome de la queue-de-cheval doivent être soigneusement recherchés : leur présence impose un avis spécialisé en urgence
Les lombalgies et les lombosciatalgies aiguës constituent un motif fréquent de consultation médicale. L’anamnèse et l’examen clinique sont essentiels à leur prise en charge. Le médecin de premier recours, sur la base de la présence de signaux d’alerte (red flags), peut initier rapidement des investigations ambulatoires pour mettre en évidence une étiologie spécifique aux lombalgies. Concernant les lombosciatalgies, il est primordial de rechercher trois syndromes qui nécessitent une prise en charge spécialisée en urgence, à savoir la lombosciatique hyperalgique, la lombosciatique paralysante et le syndrome de la queue-de-cheval. Les atteintes sensitives n’en font donc pas partie, et ne nécessitent par conséquent pas d’avis spécialisé en urgence.