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ISO 690 | Nau, J., «Ne plus boire ses excréments» (2), Rev Med Suisse, 2010/259 (Vol.6), p. 1566b–1567b. DOI: 10.53738/REVMED.2010.6.259.1566b URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2010/revue-medicale-suisse-259/ne-plus-boire-ses-excrements-2 |
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MLA | Nau, J. «Ne plus boire ses excréments» (2), Rev Med Suisse, Vol. 6, no. 259, 2010, pp. 1566b–1567b. |
APA | Nau, J. (2010), «Ne plus boire ses excréments» (2), Rev Med Suisse, 6, no. 259, 1566b–1567b. https://doi.org/10.53738/REVMED.2010.6.259.1566b |
NLM | Nau, J.«Ne plus boire ses excréments» (2). Rev Med Suisse. 2010; 6 (259): 1566b–1567b. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2010.6.259.1566b |
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Incitons à nouveau à un bonheur de lecture. Celui de l’ouvrage que nous offrent (sous la signature de Gérard Jorland, philosophe et historien des sciences) les éditions Gallimard.1 L’auteur y soutient, de manière joliment paradoxale, que c’est parce que la médecine était alors impuissante (ou presque) à guérir que le XIXe siècle fut pour l’essentiel celui de la progression spectaculaire de l’hygiène publique. Sans doute. On pourrait ajouter qu’il est hautement vraisemblable que la prise de conscience de cette impuissance, que cette passion envahissante pour le prévenir furent le fruit conjoint des progrès majeurs alors réalisés par les servants des sciences et des techniques.
Ainsi le XIXe, via l’hygiène publique, jeta-t-il les principaux fondements des politiques contemporaines de santé publique ; pour ne pas parler de la sécurité sanitaire et du principe de précaution. Gérard Jorland en fait une magistrale démonstration. Ici, le médecin est loin d’être seul dans la chambre du prince. Il œuvre avec le chimiste et l’architecte, avec le statisticien, l’homme politique et l’écrivain. Tous veulent faire reculer les maux (souvent épidémiques, sinon contagieux) ; tous se passionnent pour les multiples facettes des activités humaines dans un siècle en pleine expansion urbaine et industrielle.
Nous avons vu ce qu’il en fut de la fièvre typhoïde, des excréments humains, des égouts des villes et des campagnes (Revue médicale suisse du 11 août). Mais il eut aussi, autre grande affaire, les miasmes et les marais. Avant que Louis Pasteur – ses microscopes, son talent entrepreneurial, son génie… – ne prenne son envol, le XIXe fut longtemps celui des miasmes et de ces générations que l’on tenait pour être «spontanées». Ah les «miasmes» et les charmes retrouvés de l’onomatopée.
Nous sommes en 1873. «L’épidémie est un problème. Le miasme est l’inconnue. Et c’est cette inconnue que la science moderne a entrepris de dégager». Ces mots sont ceux du «médecin des épidémies de l’arrondissement de Neufchâtel-en-Bray». Ils sont extraits d’une «notice sur le miasme épidémique» alors publiée par le «Conseil central d’hygiène publique et de salubrité» du département français de la Seine-Inférieure (à l’époque ce qualificatif désignant une fraction du cours d’un fleuve n’était pas encore perçu comme un outrage). Gérard Jorland voit dans cette formule un «pseudo-syllogisme». Des spécialistes de divers horizons (un éventail allant de la microbiologie à la logique) pourraient sans doute longuement, savamment, en débattre.
2010. Qui, dans les amphithéâtres de médecine (de plus en plus désertés au profit de la Toile) sait de quoi les miasmes étaient faits ? En 1873, les miasmes renvoyaient, pour beaucoup, aux marais. «Les marais sont constitués d’une terre argileuse qui se gorge d’eau de ruissellement ou de pluie et ne la filtre pas, d’une eau stagnante par conséquent, et d’une flore de nénuphars et de nymphéas, trèfles, iris, carex, joncs, roseaux, prêles, épicéas, bouleaux et saules, entre autres, dont se nourrit une faune d’infusoires et de moustiques», résume notre philosophe-historien des sciences. Mais encore ? Lorsque les marais se dessèchent sous l’action de la chaleur les «matières organiques» se «décomposent» et les «infusoires» les «putréfient» en dégageant des «miasmes putrides» que l’air «véhicule alentour». Bien belle leçon de choses ; jolies leçons de mots qui ne sont plus guère les nôtres.
On continue alors à démembrer. Mieux, on accélère le démembrement. Ce modèle miasmatique s’articule autour des trois règnes (minéral, végétal, animal) et des antiques quatre éléments (terre, air, eau, feu) désormais perméables. Modèle «cosmique» de Lavoisier (Antoine Laurent de ; guillotiné en 1794) qui avait osé soutenir (peu avant la décapitation du Roi et de la Reine de France) que rien ne se perdait, que rien ne se créait, que tout se transformait.a «C’est l’odeur qui conduit Lavoisier à conclure de la fermentation et de la putréfaction à la maladie et à la mort, souligne l’auteur. Le gaz hydrogène dissout le carbone, le soufre et le phosphore, d’où résulte le gaz hydrogène carbonisé, le gaz hydrogène sulfurisé et le gaz hydrogène phosphoré ; or ces deux derniers ont une odeur particulière et très désagréable (…)». Pour le dire vite, et pour les deux derniers, odeurs d’œufs ou de poissons pourris.
Quant à l’hydrogène carbonisé (le méthane) c’est le «gaz des marais» dont l’innocuité était paradoxalement avérée et qui, de ce fait, vint soutenir la théorie de la pathogénie des marais autrement que par la chimie. Premier (?) triomphe de l’épidémiologie naissante : on mourrait notablement plus et notablement plus vite dans ces régions malsaines. «Cette épidémiologie alimenta le fantasme de la dégénérescence, dont la dépopulation était l’un des signes ; en retour, ce fantasme précipita les politiques d’assèchement des marais», écrit Gérard Jorland ; la dialectique avant la lettre.
Et l’auteur de poursuivre dans un savant et personnel envol qui renvoie précisément au bonheur de lecture : «Assécher les marais revenait à faire circuler l’eau. Le modèle du marais permet de saisir l’ontologie sociale qu’implique l’ordre bourgeois : faire circuler les éléments – l’eau, l’air, la chaleur et même la terre par héritage –, mais assigner les humains à résidence. Le rôle des pouvoirs publics est de veiller à ce que chacun s’y tienne. Les criminels doivent se trouver dans les prisons, les malades dans les hôpitaux, les indigents dans les hospices, les fous dans les hospices (…). Les soldats sont consignés dans les casernes, les déserteurs y sont ramenés de force. Les paysans doivent rester aux champs d’où le refus de l’exode rural. Les ouvriers pointent dans les manufactures, les employés dans les bureaux, les enfants dans les écoles : il faut éviter qu’ils soient “jetés à la rue” où se fait la jonction avec les classes dangereuses (…)».
Passons de la rue aux «quartiers», des marais français asséchés aux cloaques persistants de la planète, de la consignation géographique des différentes catégories du corps social à la mondialisation triomphante. Un long voyage de moins de deux siècles ; un grand bonheur de lecture. Et le soir, à la chandelle, en ces temps de décroissances militantes, une profonde mine de réflexions.
(Fin)
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