Grâce à l’amélioration de la chirurgie cardiaque, les enfants avec une malformation cardiaque congénitale atteignent actuellement en grande majorité l’âge adulte avec une bonne qualité de vie. Un suivi cardiaque régulier est toutefois recommandé. La période de l’adolescence coïncide souvent avec la survenue de complications à moyen et long termes et la nécessité d’une reprise chirurgicale ou par cathétérisme interventionnel, en particulier chez les patients avec cardiopathie complexe. Par conséquent, il est primordial de débuter le processus de transition assez tôt et de la poursuivre jusqu’à l’âge adulte. Nous avons élaboré un programme de transition formel, adapté aux patients avec cardiopathie congénitale.
Un changement profond s’est produit ces dernières décennies dans le monde des malformations cardiaques congénitales. Depuis les débuts de la chirurgie cardiaque, dans les années 60, la survie des patients avec cardiopathie congénitale n’a cessé d’augmenter et actuellement plus de 90% des enfants naissant avec une malformation cardiaque atteindront l’âge adulte.1 L’énorme avancée de la chirurgie cardiaque et de la cardiologie pédiatrique fait que les enjeux ne sont plus uniquement qu’un «bébé bleu» survive à sa prochaine opération, mais aussi de pouvoir lui offrir une qualité de vie normale passées l’enfance et l’adolescence. Actuellement, le nombre de patients adultes porteurs de cardiopathie congénitale augmente de façon exponentielle et dépasse le nombre d’enfants. Aux Etats-Unis, plus d’un million d’adultes sont porteurs de cardiopathie congénitale, dont plus de la moitié d’une cardiopathie congénitale complexe.1–3 En Suisse, le nombre d’adultes avec cardiopathie congénitale est estimé à 32 000.4 Les cardiopathies congénitales sont pour la plupart corrigées dans la petite enfance, néanmoins la morbidité et la mortalité chez les jeunes adultes avec cardiopathie congénitale sont non négligeables.2,5 Il faut rappeler que nombre de ces patients ont été opérés il y a deux à trois décennies, période où la chirurgie cardiaque n’était pas aussi avancée et, dès lors, ils peuvent présenter des séquelles nécessitant des soins particuliers. Certains nécessitent une reprise chirurgicale ou par cathétérisme interventionnel à l’adolescence pour améliorer leur hémodynamique cardiovasculaire, pour implanter un conduit valvé, dilater des sténoses ou poser des stents. Chez les patients avec un cœur univentriculaire, l’adolescence peut coïncider avec la survenue de complications graves telles qu’arythmies, thromboses, entéropathies exsudatives et cirrhose hépatique.6,7 En Europe, c’est aussi entre 11 et 17 ans que la transplantation cardiaque pédiatrique est la plus fréquente.8 Dès lors, la transition de la pédiatrie à l’adulte revêt une importance particulière.
La transition est définie comme le processus par lequel les adolescents et jeunes adultes avec une maladie chronique sont préparés à prendre en charge leur vie et leur santé à l’âge adulte.9 Pour les patients avec cardiopathie congénitale, cela implique des changements médicaux et psychosociaux. Il ne s’agira pas forcément de changer de médecin mais plutôt de changer l’approche, d’une approche orientée sur la famille à une approche adulte centrée sur l’individu lui-même. Le patient devra prendre des décisions lui-même et sera peut-être confronté à une morbidité accrue, voire à un risque de décès. La transition devrait aussi avoir des buts d’éducation et de guidance afin que le patient puisse mener une vie professionnelle épanouie et productive.3 C’est aussi la période où il faut aborder la contraception et les potentielles futures grossesses. La transition s’effectue généralement progressivement sur plusieurs années et aboutit au transfert qui définit l’événement de passage du système de soins pédiatriques au système de soins adultes.9
Une transition mal adaptée ou déficiente peut amener à un arrêt de soins appropriés pour ces patients avec une augmentation de leur morbidité. En effet, des études ont démontré que le nombre d’opérations ou d’interventions par cathétérisme cardiaque augmentait significativement après un arrêt de suivi de trois ans.10,11 Les raisons d’une mauvaise transition sont multiples : la majorité des patients se sentent bien et n’éprouvent donc pas le besoin d’un suivi, un lien profond s’est souvent créé avec le cardiologue pédiatre et constitue une barrière à la transition, certains centres ne disposent pas de cardiologue adulte spécialiste des cardiopathies congénitales.12–14 Aux Etats-Unis, seuls 30% des patient adultes avec cardiopathie congénitale sont suivis dans une clinique spécialisée.1
Le but d’un programme de transition est de préparer les adolescents et jeunes adultes à un transfert de leur suivi et de promouvoir un passage progressif vers la cardiologie adulte afin de garantir la meilleure qualité de vie future pour ces patients. Il doit permettre au patient d’acquérir les compétences nécessaires pour prendre en charge sa santé et gérer sa vie au mieux avec sa maladie et éviter une interruption du suivi.3
Le timing de la transition devra prendre en considération l’étape du développement psychomoteur de l’enfant, sa maturité en tenant compte de l’impact d’une maladie chronique, en particulier d’une cardiopathie congénitale sur son développement.3,15 Il sera donc différent d’un enfant à l’autre. La task force de l’ACC/AHA (American College of Cardiology/Amercian Heart Association) recommande d’entamer le processus de transition dès l’âge de douze ans.16
Le processus débute au moment du diagnostic de la malformation cardiaque avec la «vision du futur» des parents. Il est donc important de commencer très tôt et d’encourager les parents à considérer les options futures pour leur enfant tant au niveau de l’éducation, de la profession que du passage à une vie indépendante. La transition devrait être régulièrement abordée avec les parents qui doivent devenir partie prenante dans le processus en laissant leur enfant se prendre en charge progressivement lui-même. Le processus de transition s’étalera donc de l’enfance pour se prolonger chez les jeunes adultes.3,16,17 Le jeune patient doit progressivement comprendre sa cardiopathie, les interventions effectuées, les traitements qu’il reçoit et il doit de plus en plus prendre part aux décisions médicales le concernant. Puis, à l’adolescence, il devra recevoir des informations sur les attitudes à adopter pour une vie saine et sur les facteurs de risque pour les maladies cardiovasculaires acquises. Le choix de la profession devrait être discuté, de même que l’activité sportive, la sexualité et la contraception, la génétique et le pronostic à long terme. Le tableau 1 résume les tâches et préoccupations des patients avec cardiopathie congénitale au cours des différentes périodes de la vie.15–17 Les étapes devront être adaptées chez les jeunes qui ont un retard de développement. Le processus de transition ne s’arrête pas au transfert, il devra se poursuivre à la consultation spécialisée des cardiopathies congénitales à l’âge adulte. Un point important à aborder est la couverture d’assurance-maladie dans la mesure où la plupart de nos patients ont bénéficié d’une couverture AI qui se termine à l’âge de vingt ans. Il faut conseiller le patient pour qu’il ait une couverture adaptée à ses besoins. Le facteur primordial pour une transition réussie est l’ouverture et la volonté du patient, ce qui peut s’avérer particulièrement difficile à l’adolescence. Par conséquent, l’implication de la famille, du médecin traitant et éventuellement de l’école est indispensable.17–20
D’éventuels problèmes médicaux et chirurgicaux devraient, dans la mesure du possible, être réglés avant le passage à la consultation des cardiopathies congénitales à l’âge adulte. Un résumé de l’histoire du malade, les rapports d’hospitalisations, des cathétérismes cardiaques et les rapports opératoires ainsi qu’un plan de future prise en charge doivent être transmis au patient, à son médecin traitant et au cardiologue adulte qui suivra le patient. Idéalement, le transfert ne devrait pas être effectué en même temps par le médecin de premier recours et le cardiologue afin de mieux maintenir la continuité de la prise en charge.3,18–20
Pour faciliter la transition des patients avec cardiopathie congénitale et éviter une perte de suivi, nous avons instauré depuis 2008, avec nos collègues cardiologues adultes spécialistes des cardiopathies congénitales, des consultations de transition. Ces consultations sont effectuées conjointement par les cardiologues pédiatre et adulte. Les adolescents sont vus selon leur nécessité à plusieurs reprises ensemble avant le transfert définitif en cardiologie adulte. Au fil des années et sur la base de la littérature, il nous est apparu indispensable de développer un programme formel de transition débutant déjà dans la petite enfance. Celui-ci comporte plusieurs volets : la prise en charge et les informations données par le cardiologue, un programme personnalisé d’éducation thérapeutique assuré par les infirmières spécialisées en cardiologie pédiatrique et des activités annexes. Le programme est flexible et adapté à chaque patient. La participation au programme est encouragée mais n’est pas obligatoire. Le projet pilote débutera dans l’Unité de cardiologie pédiatrique du CHUV dans le courant 2015 et sera étendu par la suite aux HUG. Il consiste en différentes étapes qui seront documentées dans le dossier du patient et transmises au médecin traitant (tableau 2).
A l’adolescence
Entre 10 et 14 ans
Entre 14 et 18 ans
Ce schéma est indicatif et reste très flexible. Le programme est individualisé selon le désir du patient, la complexité du cas et des problèmes résiduels. A tout moment, des ajustements sont possibles s’ils sont souhaités par le patient, les médecins ou infirmières. Les examens complémentaires tels que Holter, ergospirométries, IRM, cathétérismes cardiaques seront programmés en dehors des consultations communes afin d’avoir suffisamment de temps à consacrer à chaque patient. En moyenne, les consultations durent 1 heure.
La transition pour les jeunes porteurs de cardiopathies congénitales est une étape cruciale et il est essentiel de l’aborder sous les angles médical et psychosocial. Un programme de transition sur plusieurs années est indispensable pour aborder les différents aspects liés à la cardiopathie congénitale et permettre aux jeunes de se prendre en charge eux-mêmes. Une transition accomplie avec succès se traduira par un suivi sans interruption et par une vie adulte active et productive.
> La grande majorité des enfants naissant avec une cardiopathie congénitale survivront jusqu’à l’âge adulte avec une bonne qualité de vie
> Des complications à moyen et long termes surviennent souvent à l’adolescence, surtout dans les malformations complexes et un suivi médical régulier est indispensable
> Un arrêt du suivi médical de quelques années peut avoir des conséquences graves
> Le processus de transition doit débuter tôt et comprendre des volets médicaux et psychosociaux afin que les jeunes adultes puissent se prendre en charge eux-mêmes
> Le processus de transition doit être flexible et adapté selon le patient et sa pathologie
> L’éducation thérapeutique du patient est essentielle pour une transition réussie
> Le processus de transition se fait en collaboration avec le cardiologue congénital qui suivra les patients une fois adulte
With the improvement of congenital heart surgery, most children with congenital heart disease will survive into adulthood with a good quality of life. Regular cardiac follow-up is recommended for all patients. The adolescent period coincides often with medium and long term consequences and complications and repeat surgery or catheter interventions might be needed. It is therefore of prime importance to begin the transition process early and to pursue it well into adulthood. We have elaborated a formal transition program adapted to youngsters with congenital heart disease.