De nos jours, près de 90% des enfants atteints d’une maladie chronique survivent au-delà de l’âge de vingt ans et doivent passer de la pédiatrie aux soins adultes et de l’enfance à l’adolescence et à l’âge adulte. Selon la Society for Adolescent Medicine and Health (SAHM), les objectifs d’une transition organisée et coordonnée aux soins adultes pour les jeunes malades chroniques devraient permettre d’optimiser leur santé et de faciliter la réalisation de leur potentiel maximal.1 En conséquence, bien que le but principal de la transition soit la continuité des soins, elle n’est pas limitée au transfert (le passage de l’information et du patient de la pédiatrie aux soins adultes) mais est beaucoup plus large et inclut la préparation à la vie adulte. Ainsi donc, la transition devrait commencer tôt pendant l’adolescence, finir quand le patient devient un jeune adulte et englober trois parties : une phase de préparation en pédiatrie, une de transfert de la pédiatrie aux soins adultes et une dernière d’engagement aux soins adultes.
Un plan de transition, discuté et convenu avec le jeune et ses parents/tuteurs, doit être mis en place le plus tôt possible. Pour la phase de préparation dans les soins pédiatriques, Lotstein et coll.2 décrivent quatre composantes qui définissent un bon plan pour la transition : 1) discuter le passage aux soins adultes ; 2) discuter des besoins futurs de soins de santé ; 3) discuter des changements d’assurance-maladie et 4) que les parents/tuteurs encouragent le patient à prendre la responsabilité de ses besoins de soins.
La deuxième partie, le transfert, est la clé de voûte du processus parce que c’est la partie qui relie les soins pédiatriques et adultes et, par conséquent, assure la continuité des soins. Celle-ci est le paramètre critique étant donné que le maintien de l’état de santé est l’objectif principal des programmes de transition 3 et les patients qui sont perdus de vue après le transfert aux soins pour adultes montrent un risque plus élevé d’hospitalisation avec ses implications, ses coûts énormes et un risque augmenté de mortalité.4
Finalement, la phase d’engagement dans les services adultes implique pour le patient de construire une relation de confiance avec l’équipe adulte. Gleeson et coll.5 concluent que la participation à au moins deux rendez-vous dans les soins pour adultes pourrait être considérée comme un indicateur d’engagement raisonnable, alors qu’un changement de médecin serait plutôt un indicateur de mauvais engagement.6
Quel que soit le modèle de transition choisi,7 elle doit garantir l’accès à des soins de qualité adaptés aux besoins des jeunes.
Développer des programmes de transition pour les adolescents est une occasion de se pencher sur la qualité et l’accès des soins et des programmes d’éducation thérapeutique aux patients atteints d’une maladie chronique quel que soit leur âge.
Aborder la maladie chronique en prenant en compte les étapes de vie (life-course approach) et le contexte (familial, communautaire ou sociétal) n’est pas seulement utile au niveau individuel pour le suivi des patients mais peut permettre de développer des programmes de recherche ou d’évaluation de pratiques dans la durée et par là même observer des changements ou des effets à long terme des programmes mis en place dans l’enfance ou à l’adolescence.8
Cela nécessite de la part des institutions et des programmes de recherche d’adopter un modèle théorique transversal souvent en contradiction avec les politiques budgétaires ou les logiques institutionnelles. Cela nécessite également de la part des services de soins et des professionnels des compétences pour lesquelles ils n’ont pas toujours été préparés au cours de leurs études ou de leur formation. Le remboursement des prestations n’est pas non plus toujours garanti.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l’éducation thérapeutique comme les mesures visant à aider les personnes atteintes d’une maladie chronique à acquérir et maintenir les compétences qui les aideront à gérer au mieux leur maladie. Chez les enfants et les adolescents, il est essentiel de prendre en compte les aspects liés au développement et de ne pas appliquer un programme adulte sans adaptations liées à l’âge des patients impliqués (tableau 1).9
L’adolescence est de plus en plus vue comme une période d’opportunités pour promouvoir des comportements de santé sains ayant un effet non seulement sur l’individu mais potentiellement sur la génération suivante. Ces opportunités ne concernent pas seulement les soins, la possibilité de terminer une éducation secondaire ou de décrocher un emploi étant un des facteur protecteurs les plus importants pour la santé des jeunes.10 L’OMS définit une continuité entre l’adolescence et la période «jeune adulte» de 10-24 ans (adolescents et jeunes adultes) dans laquelle, comme chez les enfants, il faut tenir compte à la fois des aspects liés à la santé mais aussi de ceux liés aux développements physique, cognitif, émotionnel et social. On comprendra aisément que pour les enfants et les adolescents malades chroniques ces questions sont cruciales. Il est urgent de développer des programmes de recherche interdisciplinaires qui prennent en compte les aspects d’insertion professionnelle ou sociale, du développement en plus des éléments médicaux.
Cependant, comment se fait-il que les adolescents restent vulnérables en matière d’accès aux soins malgré le développement de multiples programmes d’éducation thérapetique pour diverses maladies chroniques ?
La prise en compte des besoins spécifiques des adolescents souffrant d’une maladie chronique dans les programmes d’éducation thérapeutique est récente.
Par ailleurs, l’adolescence est un processus, les étapes de développement sont variables d’un individu à l’autre. Les jeunes chez qui une maladie chronique débute après seize ou dix-huit ans sont souvent inclus directement dans des programmes adultes et n’ont pas accès aux programmes pour adolescents. La coordination entre équipes spécialisées pédiatriques et adultes mais également du pédiatre au généraliste est essentielle.
Beaucoup de comportements préjudiciables à la santé chez les jeunes avec une maladie chronique ont à voir avec des causes externes ou avec la santé mentale : accidents, consommations, sport et alimentation excessifs en lien avec l’image de soi, prises de risque sexuelles, etc. Les conditions socioéconomiques défavorables ont un impact crucial (précarité, niveau d’éducation des parents, compétences ou littéracie en santé de l’adolescent et de son entourage (health litteracy).11 La collaboration entre les équipes spécialisées, la santé scolaire et les médecins de premier recours ou des consultations spécialisées pour les adolescents peuvent permettre d’aborder ces éléments dans des espaces séparés. La recherche doit permettre d’identifier des indicateurs psychosociaux permettant de mieux analyser ces domaines et leur impact sur l’évolution de la maladie et de la qualité de vie des jeunes. Les programmes de formation en éducation thérapeutique doivent inclure des modules sur ces éléments afin d’apporter les compétences nécessaires (connaissances et savoir-faire).
La diminution des maladies infectieuses et l’augmentation des maladies chroniques nécessitent une implication plus importante de la part des patients pour «la gestion de la maladie». Les compétences en santé (littéracie en santé : capacité d’avoir accès, traiter et comprendre les informations) lorsqu’elles font défaut sont un obstacle majeur à des soins de qualité.12 Le rôle des médias, des pairs, de la famille et de l’école est crucial, mais actuellement il manque des recherches dans ce domaine chez les adolescents, en particulier autour des aspects cliniques ou de prévention.13 L’information (orale, écrite ou par internet) doit être adaptée à un niveau de scolarisation suffisamment simple (fin d’école primaire environ) afin de permettre à tous les adolescents de comprendre l’information.
Les recommandations de pratiques cliniques de prise en charge des adolescents proposent en plus du suivi médical somatique à proprement parler, l’évaluation psychosociale systématique des adolescents, la promotion d’un cadre de confidentialité, la promotion du sentiment d’autonomie et d’autogestion ainsi qu’un processus de transition vers les soins adultes. En ce qui concerne la notion de transition optimale, il existe encore peu d’évidences dans la littérature, cependant, plusieurs principes de base pour une transition réussie ont été presque universellement acceptés.1 Ceux-ci incluent l’adaptation des services de santé à l’âge biologique et développemental des adolescents, le fait de prendre en compte non seulement les aspects médicaux mais également les aspects psychosociaux et vocationnels de l’adolescent, le fait d’être adaptée et personnalisée en fonction des besoins individuels et également d’avoir une personne de référence pour accompagner le processus. En plus de ces différents principes, la tendance actuelle en ce qui concerne les soins aux adolescents est de promouvoir des soins centrés sur le patient (patient-centred care) qui impliquent la notion de coordination des soins, de respect et de compétence en matière de communication et d’écoute de l’adolescent ainsi que l’implication du patient dans les décisions de soins.14
Lorsque l’on demande aux adolescents ce qui est important pour qu’un service de soins soit adapté à leurs besoins, ils rapportent plusieurs indicateurs qui peuvent se résumer en huit domaines principaux (tableau 2) : 1) l’attitude du personnel soignant : respectueux, honnête, amical, soutenant et de confiance ; 2) la communication doit être claire, fournir de l’information et également permettre une écoute active de l’adolescent ; 3) les compétences médicales et techniques ainsi que la gestion de la douleur ; 4) les recommandations de pratiques cliniques : confidentialité, autonomie, aide à la transition vers les soins adultes ; 5) l’implication de l’adolescent dans ses soins ; 6) l’accessibilité des soins : ceci implique la localisation du centre de soins, les horaires d’ouverture, les aspects financiers avec des prix abordables pour obtenir des soins confidentiels (test de grossesse, pilule du lendemain, interruption de grossesse…) ; 7) l’environnement approprié à l’âge : espace physique séparé des bébés ou des personnes âgées, matériel d’information médicale orienté sur les adolescents en salle d’attente et 8) le résultat sur leur santé : diminution de la douleur, amélioration de leur qualité de vie.15
Les attentes des adolescents sont donc bien plus larges qu’un suivi médical au sens strict. Ils demandent une approche holistique, qui prenne en compte non seulement leur maladie mais également leur personne dans sa globalité. Ils ont une maladie chronique, ils ne sont pas qu’une maladie chronique ! Une autre dimension essentielle est leur demande d’être acteur dans leurs soins, d’être un partenaire à part entière et de pouvoir s’exprimer et être entendu en tant que tel avec le personnel soignant.
Promouvoir une transition adaptée aux adolescents implique d’intégrer les besoins définis par les adolescents dans les modèles de transition proposés par les sociétés professionnelles. L’implication des adolescents dans leurs soins est le meilleur moyen de favoriser des soins adaptés aux adolescents tout en promouvant l’autonomisation, processus fondamental de l’adolescence.
Le processus de transition doit garantir tant la continuité des soins de qualité des jeunes malades chroniques que la préparation au passage à l’âge adulte. Ce processus doit être initié le plus tôt possible, inclure l’opinion du patient et être coordonné entre les différents services impliqués.
A Mme Aline Lasserre Moutet, responsable pédagogique du Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques des Hôpitaux universitaires de Genève pour ses conseils.