La transition du patient atteint de diabète de type 1 des soins pédiatriques aux soins adultes pose un réel défi en raison de la complexité de gestion de la maladie dans une phase de la vie caractérisée par de multiples changements physiques, psychologiques et sociaux. Toutes les personnes impliquées dans le suivi de ces jeunes adultes doivent être conscientes du fait que le gain d’autonomie du patient doit s’intégrer aux centres d’intérêts spécifiques du jeune adulte. Le rôle de l’infirmière est primordial dans la coordination et le succès du processus de maintien du lien nécessaire à un suivi de qualité, tout en répondant aux besoins spécifiques des jeunes adultes.
Le diabète de type 1 (DM1) est la maladie métabolique la plus fréquente chez l’enfant et l’adolescent. L’incidence, en augmentation, se situe entre 0,4 et 42 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants selon la région.1 En Suisse, elle est estimée à 14,4/100 000 habitants par an.
Le DM1 est une maladie chronique exigeante en raison d’un besoin constant d’autocontrôle et d’autogestion, avec des besoins variables en insuline. Le DM1 et son traitement ont un impact direct sur la qualité de vie : d’une part, par le risque de décompensation aiguë (hypoglycémie, hyperglycémie) possible à tout moment et d’autre part, lié au risque de complications à long terme (rénales, ophtalmologiques, cardiovasculaires, neurologiques…). Ces complications sont fortement associées à l’équilibre métabolique de la maladie, ainsi qu’à la présence de facteurs de risque personnels ou familiaux (surpoids/obésité, hypertension artérielle (HTA), dyslipidémie).2,3
Les enfants atteints de DM1 et leur famille sont formés dès le diagnostic posé à la prise en charge de la maladie. Un accompagnement personnalisé par une équipe multidisciplinaire visera à intégrer les exigences et spécificités du DM1 à la vie quotidienne de chaque patient. Si pour l’enfant les modalités thérapeutiques sont encore discutées avec les parents (ou adultes responsables) lors des consultations, un objectif fondamental sera ensuite l’autonomisation progressive de l’adolescent.
Cette intégration du concept de chronicité somatique va se confronter aux défis psychosociaux liés aux changements corporels, psychologiques et émotionnels de la puberté. Ce phénomène peut conduire au développement de sentiments d’anxiété, culpabilité et découragement face à la gestion du DM1, avec un risque accru de détérioration du contrôle métabolique, ou de complication aiguë chez le jeune adulte.4 Par ailleurs, cela peut être à l’origine de troubles psychiques caractérisés, à type de dépression ou troubles des conduites alimentaires.5–7
La période de la transition en diabétologie ne se limite pas aux changements corporels et émotionnels liés à la puberté et/ou au passage d’une structure pédiatrique à une structure adulte (le transfert), mais constitue un processus complexe de responsabilisation. L’équipe soignante se retrouve alors devant une double problématique : l’enchevêtrement des difficultés liées à l’adolescence elle-même, et à la gestion de la maladie chronique (tableau 1).8
La transition du suivi diabétologique pédiatrique vers le suivi adulte représente une période à haut risque de discontinuité, voire de rupture de suivi. Selon les études, 25 à 64% des jeunes présentent une rupture avec le milieu médical au moment de la transition.9,10 Les spécificités de la prise en charge varient entre les structures pédiatriques et adultes. Dans ces dernières, le patient est davantage abordé comme individu indépendant et autonome que comme sujet au sein d’une constellation familiale. De plus, les consultations en service adulte sont plus courtes, et axées majoritairement sur des problématiques médicales. La fréquence des visites médicales trimestrielles sont appliquées en pédiatrie dans 77% des cas contre 24% deux ans après la transition.11 Certaines études ont montré que jusqu’à 41% des patients avec DM1 quittent les soins adultes pendant la première année après le transfert et 46% déclarent avoir des «difficultés» avec le transfert.12,13
L’identification précoce et la guidance structurée des patients à risque de complications ou de rupture de suivi sont fondamentales.14,15
Différents modèles de transition diabétologique structurée ont été créés en réponse aux constats d’échec de continuité de suivi, et à l’insatisfaction de certains patients et de leurs familles suite à un simple transfert d’une unité pédiatrique à une unité adulte.
Ces modèles se basent sur :
Actuellement, il n’existe pas assez de données en faveur d’un programme de transition par rapport à un autre.15
De manière plus générale, l’Association américaine du diabète (ADA) a publié des recommandations concernant la transition des soins pour jeunes adultes avec DM1, dont les points essentiels sont décrits dans le tableau 2.
Toutes les personnes impliquées dans la transition doivent garder à l’esprit que le jeune est un «adulte émergent», ni adolescent ni adulte mature.10
Une enquête de satisfaction, menée auprès de 173 patients suivis pour un DM1 à l’Hôpital de l’enfance de Lausanne et ayant finalisé le transfert aux soins adultes entre 1980 et 2010, avait montré un manque de soutien et d’information de la part des soignants : environ un tiers des patients déclarait avoir ressenti un accompagnement insuffisant pendant cette période, 35,6% déclaraient n’avoir eu aucun renseignement concernant la rencontre avec un spécialiste pour adultes, et 40% d’entre eux ont dû en trouver un par leurs propres moyens. Il s’agissait principalement de consultations en cabinet (81,6%), le milieu hospitalier étant en deuxième plan (18,4%). Le rôle du médecin généraliste restait secondaire : 73% des jeunes diabétiques n’avaient pas consulté leur médecin traitant pendant l’année.
Suite à ces résultats, et avec l’aide du Programme cantonal diabète vaudois, un programme de transition structuré a été établi. En coordination avec les collègues diabétologues adultes de la région, un poste d’infirmière de transition (IT) a été créé. L’IT rencontre les jeunes avec ou sans leurs familles pendant le suivi pédiatrique, en hospitalier ou en ambulatoire (figure 1). A l’aide d’un «passeport de transition», elle synthétise avec le jeune son parcours en diabétologie, offrant la possibilité de revoir certains aspects médicaux et d’éducation thérapeutique. L’IT informe le patient et sa famille des possibilités de suivi en diabétologie adulte et les accompagne à la première visite chez le diabétologue adulte (case management). Le passeport est alors utilisé comme source d’informations, en plus du document de transfert habituel. Le médecin de famille reçoit une copie de tous les rapports.
Entre début 2012 et fin 2013, 64 patients ont été transférés chez un diabétologue adulte (75% en cabinet, 25% en structure hospitalière). Une année après la transition, 98% sont suivis de manière régulière. Le nombre médian de contacts par patient (visites, SMS, téléphone) avec l’IT est de 9 (2-59). Trois hospitalisations pour décompensation aiguë ont été évitées par l’intervention à domicile de l’IT. Plusieurs patients ont déjà contacté l’IT suite à un déménagement pour une révision des modalités du suivi.
Au CHUV, les équipes pédiatriques et adultes d’endocrinologie et diabétologie ont développé le Centre d’endocrinologie et métabolisme du jeune adulte (CEMjA). Il s’agit d’un lieu adapté à l’accueil des jeunes patients dès seize ans, permettant un suivi ambulatoire par leur équipe habituelle pédiatrique pour ensuite bénéficier de consultations communes entre diabétologues pédiatre et adulte, puis par le diabétologue adulte seul. Une infirmière spécialisée en «diabétologie du jeune adulte» voit tous les jeunes patients inclus dans le CEMjA, afin de maintenir la cohésion des messages thérapeutiques. Une brochure développée sur format électronique (tablette, smartphone) «Vivre avec le diabète» (figure 2) vise à aider le patient à trouver des réponses à ses questions quotidiennes autour du diabète. Ces thèmes peuvent être discutés aux consultations régulières trimestrielles planifiées au CEMjA.
Le Programme genevois de transition pour les adolescents diabétiques (PGT_DT) est né en 1999. Des focus groups ont été effectués en 2006 avec une vingtaine d’adolescents, afin d’identifier leurs besoins spécifiques. Le fruit de ce travail a engendré plusieurs modifications dans la prise en charge des jeunes patients, prise en charge qui ne cesse d’évoluer.
Ce programme a été structuré avec une conscience aiguë des caractéristiques de l’adolescence en tenant compte des étapes du développement cognitif décrites par Piaget21 et de l’importance du contexte psycho-affectif général.
Dès le diagnostic, les patients pédiatriques sont formés pour gérer leur diabète selon les principes de l’insulinothérapie fonctionnelle.22 Ils acquièrent des connaissances et un langage qui sont également appliqués par le diabétologue adulte. Les adolescents bénéficient d’une réunion annuelle lors du bilan sanguin autour d’un petit déjeuner coanimé par les jeunes eux-mêmes et l’équipe médicale, sous la supervision de la consultation des adolescents. Ceci permet d’aborder de façon informelle les inquiétudes concernant les complications à long terme, le sens de ce bilan, ou des questions plus spécifiques comme la consommation d’alcool ou l’hérédité. Les parents sont vus séparément par l’infirmière de diabétologie pour aborder librement leurs questionnements par rapport à l’autonomisation de leur enfant, les comportements à risque, etc. Un film écrit et joué par les adolescents a pu être réalisé avec l’aide du Service de communication des HUG et sert à présent d’outil explicatif du DM1 auprès de leur entourage. Certains adolescents bénéficient également d’une consultation spécialisée en «médecine des adolescents» (figure 3).
Lorsque le transfert est décidé, une consultation conjointe est organisée en pédiatrie avec le diabétologue adulte des HUG et l’infirmier(ère) référent(e). Si le patient désire un suivi chez un diabétologue installé, il lui est demandé de fixer un premier rendez-vous avec celui-ci, puis de consulter encore une fois en pédiatrie, permettant de s’assurer du suivi.
Une fiche de transfert contenant plusieurs rubriques (renseignements généraux, biologiques, enseignement et apprentissage, bien-être somatique, psychique et environnement psychosocial) est remplie par l’infirmière spécialiste et le patient. Elle permet au diabétologue adulte, et particulièrement s’il ne travaille pas dans l’institution, d’avoir en main un résumé détaillé de la situation. Les diabétologues sont contactés systématiquement un an après la transition pour résumer l’évolution du jeune.
La passerelle interne à l’institution HUG se base sur l’organisation préalable d’une consultation diabétologique conjointe (pédiatrique et adulte). Celle-ci assure une prise de contact dans un lieu familier au jeune patient et limite l’anxiété liée au changement de référent. L’équipe des infirmières spécialistes cliniques en diabétologie, dont l’activité est transversale dans l’institution, assure la coordination du suivi et constitue un point d’ancrage pour les jeunes adultes.
Les premières consultations «adultes» sont consacrées à l’exploration des ressources du patient concernant la gestion du diabète, plutôt qu’aux problématiques purement médicales. Le défi étant justement d’établir un lien suffisant pour assurer un suivi de qualité tout en répondant aux besoins spécifiques du jeune adulte.
L’IT, spécialiste en diabétologie clinique, est garante de la coordination et de la continuité des soins autant en milieu pédiatrique qu’adulte. Sa pratique est guidée par des modèles conceptuels de soins infirmiers.23 Le concept du Human Caring selon Watson24 vise à soutenir la personne en respectant ses valeurs et croyances, son mode de vie et sa culture. Il estime que la conscience du caring, l’ouverture d’esprit et la présence spirituelle de l’infirmière, deviennent des éléments essentiels pour établir une connexion et comprendre la perspective de la personne soignée. L’attitude de non-jugement est primordiale. Définir les ressources du patient afin de mieux gérer son traitement est un objectif nécessaire à la création du lien et à l’amélioration de sa qualité de vie. L’approche infirmière selon Cox25 étudie les modes d’interaction entre patient, famille et soignant afin d’amener des résultats de santé positifs. La constance et la stabilité de l’équipe infirmière, ainsi que l’unité de langage vont permettre de diminuer le stress du jeune et d’augmenter sa confiance en son nouvel environnement médical.
Le patient atteint de DM1 nécessite un accompagnement spécifique et adapté pendant le passage des soins pédiatriques aux soins adultes. Les différences d’objectifs de consultation et d’axes de prise en charge doivent être anticipées par tous les intervenants.
Bien que sensiblement différents dans leur organisation pratique, les modèles mis en place par les CHU de Lausanne et de Genève s’inscrivent dans des objectifs communs. Ils incluent l’anticipation du processus de transition avec le patient et sa famille, un passage efficace des informations, et la prévention des potentielles complications à long terme en tenant compte des aspects biopsychosociaux de chaque individu.
> L’infirmier(ère) référent(e) en diabétologie est un pivot central des modèles de transition appliqués sur Vaud et Genève, accompagnant pas à pas les adolescents et leur famille de la diabétologie pédiatrique à une structure adulte
> Ce principe ne se limite pas aux patients avec un diabète de type 1, et pourra être appliqué aux patients souffrant de diabète de type 2 ou de toute autre maladie chronique
For patients with type 1 diabetes, transition from pediatric to adult care is a challenge due to complex treatment requirements and the physical, psychological and social changes of adolescence. Members of the care team must recognize that while these emerging adults need to develop self-management skills, this may conflict at times with the developmentally appropriate desire for increasing autonomy. The role of nursing in coordinating a successful transition is critical for maintaining continuity of patient-centered care that responds to the specific needs of these young adults.