La transition en transplantation rénale constitue une étape importante dans la vie d’un jeune adolescent greffé. Durant cette période, les impératifs de la greffe se heurtent aux changements physiologiques et psychologiques de l’adolescence, avec un risque augmenté de non-observance thérapeutique et donc de perte du greffon. Il n’existe pas encore un modèle optimal de transition unanimement accepté, mais il a été démontré que la mise en place d’une équipe multidisciplinaire de professionnels pédiatres et adultes, ayant une formation dans la gestion des adolescents et jeunes adultes, est bénéfique. Cette équipe doit assurer une transition progressive des jeunes patients vers la clinique adulte selon un plan bien défini.
L’incidence de l’insuffisance rénale terminale (IRT) en Europe, chez l’enfant de 0 à 18 ans, est estimée à cinq nouveaux cas par million d’enfants.1 Dans notre pays, dix à douze enfants reçoivent chaque année une transplantation rénale,2 principalement secondaire à une hypodysplasie rénale, avec ou sans reflux vésico-urétéral (30% des causes de l’IRT). Les enfants avec IRT sont mis en dialyse en attendant une éventuelle greffe rénale ou bénéficient d’emblée, lorsque cela est possible, d’une transplantation rénale (greffe préemptive). La greffe rénale permet d’améliorer l’espérance et la qualité de vie des enfants avec IRT.3 Les progrès des vingt dernières années avec le développement de nouveaux traitements immunosuppresseurs ont permis d’améliorer les résultats des greffes rénales à court terme, avec une diminution significative du risque de rejet aigu. Le rejet chronique du greffon rénal demeure cependant un véritable défi, et ceci malgré les importants progrès dans la compréhension et l’identification des mécanismes physiopathologiques aboutissant à la perte des greffons à long terme. Certaines mesures spécifiques permettent de diminuer le risque d’apparition d’un rejet chronique et d’améliorer la demi-vie du greffon. Ces mesures comprennent une prévention du rejet aigu, une diminution de la toxicité des inhibiteurs des calcineurines, un contrôle de la tension artérielle et de la dyslipidémie, et la prévention et le traitement des infections bactériennes et virales. Cependant, la non-adhérence du patient au traitement, en particulier aux traitements immunosuppresseurs, joue un rôle majeur dans la perte de greffons à l’adolescence, plus qu’à tout autre âge de la vie.
En transplantation rénale pédiatrique, les changements physiologiques et psychologiques de l’adolescence, tels que l’autonomisation, l’intégration aux groupes de pairs, la maturation sexuelle et l’acceptation de son corps et de son image, modifient de façon importante la relation entre le malade, sa maladie et son traitement. L’adolescent* doit simultanément gérer la prise en charge de sa greffe et faire valoir son statut autour de lui, aboutissant parfois à de sérieux problèmes durant cette période charnière. Les études montrent que la non-observance ou la mauvaise adhérence aux traitements immunosuppresseurs constituent un problème majeur des adolescents avec une importante morbidité pouvant mener à la perte du greffon.4,5 Dans une large étude prospective, Kim et coll.6 ont récemment démontré que les enfants qui développent des anticorps anti-HLA de novo dirigés contre des antigènes HLA du donneur présentent un risque augmenté de détérioration ultérieure de leur fonction rénale. Selon les résultats de cette étude, ce risque dépend du moment de la transplantation avec une augmentation significative du risque en fonction de l’âge, notamment chez les adolescents, et ceci possiblement en lien avec la non-observance aux traitements immunosuppresseurs. Dobbels et coll.7 ont également démontré que le risque de non-observance est augmenté d’environ 30% chez les adolescents comparé aux plus jeunes greffés rénaux et que 44% des pertes de greffons et 23% des rejets sont secondaires à la non-observance thérapeutique. Enfin, c’est durant cette période charnière de l’adolescence qu’est souvent effectuée la transition des soins, avec passage d’une équipe pédiatrique à une équipe adulte. Dans ce contexte, et au vu de ces données, il est primordial d’assurer une transition progressive de la période pédiatrique vers la période adulte, comme mentionné récemment, en 2014, dans deux excellentes revues sur la transplantation rénale et des organes solides pédiatriques.8,9
Le nombre de patients greffés suivis en pédiatrie et qui sont transférés aux médecins de la transplantation adulte ne cesse d’augmenter, ceci en raison de l’amélioration de la prise en charge médicale et de l’augmentation de la survie de ces patients.10,11 Cependant, il existe des risques importants liés au non-respect des étapes du transfert des soins pédiatriques aux soins adultes, avec surtout un risque accru de perte du greffon.7,12,13 Un aspect souvent soulevé, par les jeunes patients qui ont été transférés rapidement (sans programme de transition), est le changement de continuité des soins, et une diminution de la confiance dans la relation thérapeutique qu’ils appréciaient dans l’unité rénale pédiatrique. Chaturvedi et coll.14 ont notamment trouvé un risque augmenté de rendez-vous manqués dans le suivi médical chez les jeunes greffés transférés chez un néphrologue adulte, sans un plan de transition. Pour cette raison, un plan précis de transition doit être mis en place permettant d’assurer une prise en charge optimale par une équipe de professionnels, ayant une formation dans la gestion des adolescents et jeunes adultes et des connaissances des maladies rénales pédiatriques. Cette équipe dite de «transition» (ou «clinique de transition») doit assurer ce passage progressif et programmé sur plusieurs étapes. Elle doit comporter idéalement le néphrologue pédiatre qui suit le jeune patient, le néphrologue transplanteur adulte qui reprendra en charge le malade, des infirmières formées en éducation thérapeutique (l’infirmière de référence pour la transplantation rénale pédiatrique et une infirmière coordinatrice de la transplantation rénale chez les adultes), un(e) pédopsychiatre et un(e) psychologue, une assistante-sociale et une diététicienne.
Des consensus pour la transition en transplantation des organes solides et dans les maladies rénales chroniques ont été publiés en 2008 par Bell et coll.,15 et en 2011 par Watson et coll.16 Ces consensus constituent la base des deux programmes de transition mis en place aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Selon les programmes des HUG et du CHUV, les conditions et étapes suivantes doivent être réunies pour assurer une transition réussie.
A Zurich, le concept de transition zurichois avait déjà été introduit en 2003.19 La mise en place de ce modèle a montré de bons résultats, avec notamment un effet remarquable sur la diminution du nombre de rejets dus à la non-observance thérapeutique, et également sur les pertes des greffons, passant de six pertes sur 21 jeunes patients à une seule perte du greffon sur 31patients, avant et après la mise en place du modèle.
A Lausanne, le programme de transition, ou «filière de transition», a été mis en place sous l’égide du Groupe multidisciplinaire de transplantation rénale pédiatrique (GTRP). En plus des concepts de transition déjà énumérés précédemment, le processus de transition au CHUV se fait pratiquement de la manière suivante.
A Genève, le programme de transition est intégré très tôt à la prise en charge de l’enfant pour favoriser la compréhension de sa maladie et son implication dans la prise en charge des soins et du traitement médicamenteux. Dès l’âge de 10 à 12 ans, la consultation débute par une discussion avec l’infirmière de néphrologie formée en éducation thérapeutique. La consultation se poursuit avec le néphrologue pédiatre en charge de l’enfant. Les étapes nécessaires à l’acquisition des objectifs requis pour la transition, vers la prise en charge adulte, sont discutées pour chaque patient lors des réunions multidisciplinaires afin de suivre régulièrement les progrès des adolescents et de décider du meilleur moment de transition pour chacun, une fois que les éléments suivants sont réunis.20
Si les éléments pour une transition sont réunis, des consultations communes avec les néphrologues adultes et pédiatres ainsi qu’avec les infirmières de néphrologie pédiatrique et adulte, en alternant le lieu de la consultation entre la pédiatrie et le service de néphrologie adulte, sont planifiées.
La place du pédopsychiatre durant tout le processus de transition est essentielle. Le défi pour le pédopsychiatre est de prendre en considération la maturation développementale, la complexité des problèmes de santé et les caractéristiques de l’adolescent et de sa famille.
L’observance médicamenteuse chez l’adolescent doit être appréhendée comme une partie inhérente d’un comportement à risque, directement liée au fait que le cerveau d’un adolescent est en plein processus de maturation.21 La prise en considération de ces éléments devrait permettre de planifier la transition aux soins adultes avec souplesse et flexibilité, visant à une stabilité physique et psychique optimale.22 Le rôle du pédopsychiatre est aussi d’encourager progressivement l’implication active de l’adolescent vers son autonomisation et son indépendance à travers la prise de décisions, permettant ainsi aux parents d’assurer un rôle, bien que moins actif, de soutien et d’encadrement.14 Le pédopsychiatre est également à disposition en cas de problèmes ou d’hospitalisation.
La transition en transplantation rénale constitue une étape importante dans la vie d’un adolescent/patient et doit être effectuée selon un programme bien défini, adapté à chaque adolescent en fonction de son âge, du stade de développement cognitif, de ses besoins propres ainsi que de son contexte familial. Cette transition doit être bien effectuée d’une manière progressive sur plusieurs années, impliquant une équipe multidisciplinaire formée avec une bonne collaboration entre la médecine de transplantation pédiatrique et celle des adultes.
> Le risque de développer des anticorps anti-HLA de novo dirigés contre des antigènes HLA du donneur augmente chez les adolescents et les jeunes adultes, et ceci possiblement en lien avec la non-observance aux traitements immunosuppresseurs
> Il est primordial en transplantation rénale d’assurer une transition progressive (sur plusieurs années) de la période pédiatrique vers la période adulte. Il s’agit de la période dite de «transition»
Transition from pediatric to adult care in renal transplantation has emerged as a critical step in the life of a young kidney recipient. During this phase, young patients are faced with the physiological and psychological changes associated with adolescence that can lead to non-compliance and potentially graft loss. To date, there is not a unique accepted model of transition, however it has been proved that the presence of a multidisciplinary team including specialists in adolescent management and in the transition from pediatric to adult transplant care is beneficial during this at-risk phase. The goal of this team is to ensure a progressive transition of the patients according to a precise plan and time line.