Il est une maison, près de Genève, que chaque médecin genevois devrait connaître et qui mérite, bien au-delà des frontières cantonales, l’intérêt de tout profes-sionnel confronté à la fin de vie de ses patients.
Sollicité pour présenter la Maison de Tara aux lecteurs de la Revue Médicale Suisse, j’ai immédiatement accepté ce mandat tant cette maison est devenue, dès son ouverture en 2011, un lieu indispensable à mon activité de médecin de famille, désormais tourné vers les soins palliatifs.
Une majorité exprime son désir de mourir é domicile, mais seule une minorité y parvient
Et me voilà, devant le clavier de mon ordinateur, un peu embarrassé pour attaquer le sujet. Avec la crainte de réduire mon papier à un prospectus publicitaire. En composant www.lamaisondetara.ch, le lecteur trouvera toutes les informations détaillées utiles à la compréhension de la genèse du projet, de sa concrétisation et de son fonctionnement. Les reformuler ici me semble un exercice vain. Le paragraphe à la fin de ce texte en résumera l’essentiel.
Entre résidents en fin de vie, famille et proches, équipe de bénévoles avec leurs cadres et soignants que nous sommes, qui intervenons de l’extérieur, les expériences échangées sont riches. Leur chaleur inciterait à un lyrisme auquel je ne voudrais pas succomber. D’autres l’ont très bien fait avant moi et le site internet de la maison présente quelques témoignages à la fois émouvants et susceptibles de réconcilier chacun avec la perspective de sa propre fin. Qualité de vie et dignité. Loin d’être des slogans ou des vœux pieux, ces deux mots-clés sont des réalités vécues et unificatrices à la Maison de Tara.
Rapporter ma propre relation à cette aventure humaine sera ma façon d’ajouter une pierre à l’édifice.
Bien avant qu’elle trouve ses quatre murs, son toit et son jardin, la Maison de Tara existait très fort dans l’esprit et dans le cœur d’un groupe d’une cinquantaine de bénévoles, représentatifs de la Genève internationale polyglotte, laïque, solidaire et engagée. Ces bénévoles avaient été formés à l’accompagnement de fin de vie par quelques professionnels des soins, euxmêmes mobilisés, condition princeps, par une personnalité charismatique.
Invités en 2007, pour faire connaissance, au domicile de cette dernière, avec quelques collègues sensibilisés, nous avions été stupéfaits d’y découvrir des dizaines de nouveaux visages, animés par leur grand projet. Quelques conversations nous ont rapidement persuadés de la qualité des formations dispensées. Le constat de départ était qu’une majorité de citoyens exprime son désir de mourir à domicile, mais que seule une minorité y parvient. Ce dessein est voué à l’échec si les conditions domestiques ou un entourage vulnérable ou absent se révèlent insuffisants. Une maison accueillante, animée par des bénévoles, selon un modèle éprouvé à l’étranger, offrirait une solution qui permette d’éviter une réadmission en milieu hospitalier pour des raisons dites « sociales ».
Exercice de communication réussi. Ce premier contact aura incité les acteurs du réseau genevois de soins palliatifs à proposer systématiquement l’intégration d’une Maison de Tara au sein de tout projet cantonal coordonné.
Mais il y avait encore loin de la coupe aux lèvres. Je fais court sur la longue marche d’une équipe motivée se heurtant au scepticisme désabusé des appareils installés, peu enclins à accorder un espace à une entité nouvelle.
Il en aura fallu du talent, de la ténacité, du travail et de la foi, pour en arriver, en 2011, à l’inauguration d’une villa, parfaitement équipée, au chemin de la Montagne à Chêne-Bougeries. La Maison de Tara était passée de rêve à réalité.
Retenons de ce parcours du combattant que des autorités communales se sont montrées plus réactives à une initiative citoyenne que des structures cantonales plus lourdes, de toute évidence, à faire bouger.
Le praticien en soins palliatifs que je suis est amené à faire, en collaboration avec des infirmières et d’autres professionnels de santé, des visites à domicile fréquentes, parfois en urgence. Cet exercice, devant lequel les plus jeunes générations de médecins restent malheureusement timides, a ses avantages et ses contraintes.
Avantage de rencontrer le patient dans son environnement familier. Valeur ajoutée par l’intégration de l’entourage à la prise en charge. Soulagement de savoir que son temps de déplacement et de travail est reconnu au même titre que celui passé en cabinet.
Contrainte de parfois se confronter à des limitations architecturales, à des équipements mal adaptés ou à des ressources familiales fragilisées, autant pour des raisons psychologiques que physiques.
A la Maison de Tara, le docteur et l’infirmière se parquent devant la maison dans un sympathique crissement de gravier (les intervenants engagés dans les soins à domicile savent que ce n’est pas trivial). A toute heure de la journée ou de la soirée des bénévoles sont là pour les accueillir. La nuit, ce sera une veilleuse. L’ambiance générale est celle d’une domesticité sereine, calme et souriante. La table est prête à accueillir le prochain repas convivial. La visite au patient et à ses proches se fait souvent, les beaux jours, au jardin. Ces proches sont dans leur vrai rôle, déchargés de celui de soignant.
Restent les lourds soucis d’une maladie grave et inguérissable avec laquelle le patient doit désormais vivre. C’est autour de lui, dans une chambre coquette mais parfaitement équipée, fenêtres ouvertes sur la nature, que pourra se concentrer l’attention médico-infirmière et se concrétiser le travail en binôme propre aux soins palliatifs.
Une classique visite à domicile, en quelque sorte, exercée dans des conditions idéales.
Sans travail, le talent n’est qu’une sale manie, chantait Brassens. Cette centaine de bénévoles cachent, derrière leur disponibilité forte et tranquille, le fruit d’une mise à jour régulière de leurs connaissances. Il y va des techniques de soins, de la familiarisation avec les arcanes de l’aide sociale, comme des réflexions philosophiques existentielles. Sachez le, parmi ces bénévoles œuvrent des professionnels qui contribuent à charpenter la culture maison. Par contre, les soignants désignés, officiellement en charge du « cas », interviennent bien de l’extérieur.
Ils en témoignent haut et fort : les bénévoles de la Maison affirment avoir enrichi leur vie personnelle et sociale des fruits de leur formation et de leur vécu au chevet des malades, en contact avec leurs familles.
Les résidents, malgré la gravité de leur maladie et un pronostic sombre, pourraient surprendre un visiteur néophyte par leur sérénité et leur aptitude à profiter du moment présent. Nul doute que l’esprit et la culture de la maison contribuent à ces dispositions positives.
Pour en arriver là, le chemin n’aura pas été facile, de toute évidence.
Remontons au choc de l’annonce d’un diagnostic menaçant : cancer, maladie neurologique dégénérative ou toute autre affection évolutive et inguérissable avec laquelle il faudra désormais vivre… Quel changement de chapitre douloureux que cette entrée en maladie grave ! Puis les longues pages de traitements éprouvants, supportés avec la perspective d’une rémission.
Un autre et rude changement de chapitre sera celui qu’imposent l’arrêt des efforts curatifs et la proposition d’une prise en soins palliatifs. Une forme d’abandon. Abandon de la part de thérapeutes dans lesquels on a mis sa confiance. Abandon d’un espoir de guérison ou, au moins, d’un sursis prolongé.
Pour le public, pour les gens du quartier, pour les élèves des écoles avoisinantes, pour les clients des commerces voisins, pour les visiteurs, pour les futurs résidents, l’image de la Maison n’échappera pas à des projections ambivalentes. Mouroir en même temps que lieu de soins. Lieu qui évoque la mort, alors même qu’on y cultive la vie.
Il convient que bénévoles et soignants, imprégnés de la culture, si constructive, des soins palliatifs et familiarisés avec l’endroit, ne mésestiment pas cette résistance initiale à s’approcher. Résistance qui ne sera finalement surmontée que par ceux qui auront franchi le seuil de la maison pour s’y imprégner, aussitôt, des valeurs positives qu’elle inspire.
Ainsi, la Maison de Tara, implantée dans ce quartier jeune et animé, vient rappeler à chacun que toute vie humaine a une fin… et que ce n’est pas la fin du monde !
La Maison de Tara, lieu d’accueil, lieu de soins, lieu d’initiation, lieu de réflexion, lieu de remise en question permanente et finalement lieu de témoignage.