La pneumonie aiguë se définit comme une inflammation des alvéoles et du tissu interstitiel pulmonaire impliquant des signes et des symptômes respiratoires.1 On utilise le terme de pneumonie acquise en communauté lorsqu’elle se développe en dehors du contexte hospitalier. On parle de pneumonie compliquée, par opposition à une pneumonie simple, en présence d’un épanchement pleural, de signe de nécrose ou d’abcès.
La pneumonie représente la première cause de mortalité infantile (< 5 ans) dans le monde, au-delà de la période néonatale. Ainsi, en 2013, plus de 930 000 enfants sont décédés des suites d’une pneumonie, très majoritairement dans les pays en voie de développement (98 %).2 L’incidence annuelle dans les pays industrialisés est estimée entre 36 et 40/1000 chez les enfants de moins de 5 ans et entre 11 et 16/1000 chez ceux entre 6 et 15 ans.3 Son fardeau économique est non négligeable. Ainsi, le coût total moyen d’un épisode pris en charge en pédiatrie à Genève a été évalué à CHF 11 258.–.4
Durant les deux dernières décennies, son épidémiologie a été successivement modifiée par l’introduction de la vaccination contre Haemophilus influenza type B puis contre Streptococcus pneumoniae (pneumocoque), 7 puis 13 valents. Parallèlement, les protocoles de prise en charge ont subi des modifications. En les adaptant au mieux à l’épidémiologie suisse, nous ferons le point sur les recommandations actuelles, en particulier celles de l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) et de la British Thoracic Society (BTS), pour les approches diagnostiques et thérapeutiques de la pneumonie en ambulatoire par le médecin de premier recours.5,6
Nous n’aborderons pas les pneumonies néonatales, celles de l’enfant immunosupprimé, la tuberculose et la coqueluche.
Malgré sa prévalence élevée, établir le diagnostic étiologique de la pneumonie avec certitude reste souvent un défi. Les expectorations sont difficiles à obtenir, les hémocultures sont généralement négatives et, pour des raisons évidentes, les lavages broncho-alvéolaires ne sont que très rarement réalisés. De plus, la coexistence de plusieurs pathogènes, y compris la combinaison de virus et de bactéries, retrouvée dans près de 30 % des cas, complique encore la détermination de l’agent responsable.3,7 Chez les enfants de moins de 5 ans, une cause virale (un ou plusieurs virus concomitants) peut être mise en évidence dans la très grande majorité des cas. Le pneumocoque représente l’étiologie bactérienne principale. Mycoplasma pneumoniae (mycoplasme) est plus fréquemment retrouvé chez les enfants de plus de 4 ans que chez les plus jeunes.
Une large étude pédiatrique américaine, incluant plus de 2500 enfants, a récemment analysé les agents étiologiques des pneumonies chez les enfants hospitalisés ; les résultats sont résumés dans le tableau 1.8 Soulignons que ces chiffres, bien qu’indicatifs, concernent uniquement les cas de pneumonie remplissant des critères d’hospitalisation et ne peuvent être transposés aux patients ambulatoires qu’avec prudence.
Les mots-clés souvent exprimés par les parents (ou l’enfant) (difficulté à respirer, fièvre très élevée, gémissement, pâleur, douleur abdominale ou en respirant) servent de critères d’alerte pour le médecin, même si leur valeur prédictive n’a jamais été formellement étudiée.
Selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), élaborées à l’intention des centres de santé primaire des pays en voie de développement, la présence d’une polypnée et d’un tirage sous-costal chez un enfant présentant une toux ou une respiration difficile permet de poser le diagnostic.9
Ces critères diagnostiques ont montré une sensibilité de 74 % et une spécificité de 67 % chez les enfants de moins de 5 ans.10 La combinaison d’un état fébrile avec une diminution du murmure vésiculaire, des crépitements ou une tachypnée a montré une sensibilité d’environ 95 %.11 Dans la même étude, la présence d’un tirage est spécifique (98 %) mais peu sensible. Plusieurs de ces signes peuvent aussi être retrouvés dans les bronchites obstructives et l’asthme. C’est donc une combinaison de facteurs, incluant l’âge, l’état général de l’enfant, la fréquence respiratoire, l’auscultation pulmonaire, l’absence de sibilances, ou la persistance de la détresse respiratoire après traitement bronchodilatateur qui permettra de poser le diagnostic clinique.12
La mesure de la saturation devrait être effectuée dans tous les cas de suspicion de pneumonie. Une valeur basse (< 92 %) en augmente le degré de suspicion. Par ailleurs, c’est un élément déterminant quant à la suite de la prise en charge (hospitalière ou ambulatoire).
L’OMS, de même que l’IDSA et la BTS ne recommandent pas d’effectuer systématiquement une radiographie pour les pneumonies pouvant être prises en charge en ambulatoire.5,6 En effet, la radiographie du thorax ne permet pas de poser un diagnostic étiologique. De plus, plusieurs publications, dont une étude Cochrane, ont montré l’absence d’impact significatif de la radiographie sur la prise en charge de la pneumonie en ambulatoire chez l’adulte et l’enfant.13 Cela s’applique tout particulièrement aux cas où la clinique est fortement suggestive.
Une radiographie de face devrait être effectuée pour toute suspicion de pneumonie remplissant les critères d’hospitalisation (cf. « Quand référer ? »), ainsi qu’en cas d’absence de murmure vésiculaire ou de matité à la percussion, et dans les cas de non-réponse au traitement après 48 à 72 heures. Elle permettra de caractériser l’infiltrat et de rechercher les complications (épanchement, abcès, signes de pneumonie nécrosante). La nécessité d’un cliché de profil dans ce contexte reste débattue. Il est recommandé par l’IDSA mais pas par la BTS.5,6 Sa plus-value est faible, permettant d’augmenter la sensibilité des foyers non lobaires d’environ 15 %.14
La place des marqueurs inflammatoires (nombre de leucocytes, protéine C-réactive (CRP) et procalcitonine (PCT)) a été étudiée de façon répétée. L’élévation de la CRP comme de la PCT est significativement associée à une pneumonie bactérienne mais leur valeur prédictive positive est très variable d’une étude à l’autre.6,15 Une étude utilisant la CRP pour diagnostiquer la pneumonie a montré une relativement bonne spécificité. 80 % des patients avec une CRP entre 100 et 200 mg/l et 98 % des patients avec une CRP > 200 mg/l présentaient une image radiologique de pneumonie. Par contre, la sensibilité était moins satisfaisante avec tout de même 28 % des enfants avec une CRP < 20 mg/l qui présentaient une image radiologique compatible avec une pneumonie ; l’interprétation de la CRP a pu probablement être compliquée par la présence de foyers d’origine virale.16
L’utilisation systématique des marqueurs inflammatoires de routine dans ce contexte n’est recommandée ni par l’IDSA ni par la BTS.5,6 L’usage de la CRP peut cependant être utile, en particulier chez l’enfant en dessous de 5 ans et/ou dans les situations de doute.
Les hémocultures sont rarement positives (< 2 % des cas) et doivent être réservées aux pneumonies avec critères d’hospitalisation (cf. « Quand référer ? »).5,6,17
La disponibilité croissante des tests virologiques dans les sécrétions nasopharyngées (PCR, test antigénique par immunofluorescence direct) a clairement amélioré la compréhension et le diagnostic de la pneumonie chez l’enfant. Rappelons cependant que la présence d’un virus dans les sécrétions nasopharyngées diminue la probabilité d’infection bactérienne, mais ne l’élimine pas en raison de la coexistence fréquente de deux pathogènes. Chez les enfants présentant une pneumonie sans signe de gravité, ces examens peuvent être utiles pour diminuer l’utilisation superflue d’antibiotique. Cela a particulièrement été montré pour la grippe.5 L’existence de tests Influenza rapides et peu coûteux rend leur utilisation aisée. Nous recommandons leur usage en cabinet durant la période épidémique. Les autres tests rapides disponibles (virus respiratoire syncytial, adénovirus) ont moins de place en médecine ambulatoire mais peuvent avoir une utilité au cas par cas.
Les investigations virales par PCR sont plus coûteuses et leur indication devrait être restreinte à des cas précis, en milieu hospitalier. En raison du taux élevé de faux positifs (porteurs sains), la détection de l’antigène urinaire du pneumocoque n’a pas sa place en pédiatrie.5
Les infections à mycoplasme sont généralement retrouvées chez des enfants de plus de 5 ans avec une toux prolongée. L’absence de sibilances et la présence de douleurs thoraciques semblent en augmenter la probabilité. Cependant, la présentation clinique ne permet pas de poser le diagnostic avec fiabilité.18–20
Deux types de tests diagnostiques sont principalement utilisés : la sérologie spécifique et la PCR sur les sécrétions respiratoires (frottis de l’oropharynx ou prélèvement nasopharyngé). La sérologie est surtout utile pour confirmer rétrospectivement un diagnostic. Elle est particulièrement significative en cas d’élévation de quatre fois la norme sur le sérum convalescent.
La PCR dans les sécrétions respiratoires a l’avantage d’être positive dès le début des symptômes. Sa sensibilité et sa spécificité sont évaluées entre 80 et 100 %.21 Son utilisation est recommandée par l’IDSA en cas de suspicion clinique mais son interprétation doit être prudente en raison d’un taux de portage d’environ 20 %.5,18,20
Un antibiotique ne devrait pas être systématiquement administré chez l’enfant de moins de 5 ans en raison de la haute proportion d’infection virale. Il sera prescrit en cas de forte suspicion d’infection bactérienne. Dans ce contexte, il est utile d’utiliser la valeur prédictive négative de la CRP. Chez l’enfant plus grand, une antibiothérapie est systématiquement conseillée. Les antibiotiques de choix et leur dose sont résumés dans le tableau 2.
L’amoxicilline devrait être choisie en première ligne chez l’enfant de tout âge correctement vacciné contre Haemophilus influenza car le pneumocoque est la bactérie invasive la plus souvent retrouvée. Au vu de la bonne vascularisation des poumons et de la faible proportion de pneumocoques partiellement résistants à la pénicilline en Suisse (< 10 %), nous estimons qu’une posologie de 50 mg/kg/jour en trois doses ou de 80 mg/kg/jour en deux doses est appropriée.22 Cette posologie peut être augmentée à 90 mg/kg/jour en trois doses en fonction de la sévérité de la maladie et de la réponse au traitement. Les pneumonies bactériennes compliquant la grippe devraient être traitées de préférence par une association d’amoxicilline et d’acide clavulanique au vu du risque augmenté de Staphylococcus aureus dans ce contexte.
Les macrolides représentent encore le traitement de choix de la pneumonie à mycoplasme. Cependant, la proportion de mycoplasmes résistants a rapidement augmenté ces dernières années, avec actuellement plus de 50 % de souches résistantes dans certains pays d’Asie et 8,3 % en France.20 En cas de nonréponse au traitement par macrolides d’une infection à mycoplasme documentée, un relais par quinolone (lévofloxacine) est recommandé, après réévaluation clinique.
Signalons que le bénéfice de l’antibiothérapie pour le mycoplasme chez l’enfant n’a pas pu être clairement démontré, contrairement à l’adulte pour lequel on note un avantage modéré.5,20,23 La BTS et l’IDSA recommandent un traitement par macrolides en cas de suspicion clinique ou en adjonction à l’amoxicilline en cas de pneumonie sévère.5,6 Par ailleurs, la BTS conseille également d’ajouter un macrolide à l’amoxicilline chez les enfants de tout âge ne répondant pas au traitement de première ligne.
La figure 1 propose un algorithme décisionnel pour la prise en charge ambulatoire de la pneumonie acquise en communauté. Il s’agit d’une synthèse de notre revue de littérature que nous avons adaptée au contexte ambulatoire en Suisse, en incluant par exemple la CRP dans les outils décisionnels. Il doit être perçu comme une proposition et non comme une nouvelle recommandation.
Un mauvais état général, une détresse respiratoire importante, une saturation < 92 % à l’air ambiant, des difficultés à s’hydrater ou à prendre les traitements par voie orale sont bien entendu des critères d’hospitalisation. En cas d’épanchement pleural supérieur à 1 cm, une ponction à visée diagnostique est recommandée et les enfants devraient être adressés à l’hôpital. Dans le contexte d’un épanchement inférieur à 1 cm, il n’est pas absolument nécessaire de référer l’enfant à l’hôpital mais le patient doit être revu systématiquement pour un contrôle clinique à 48 heures.
Nous recommandons de réévaluer tous les cas de pneumonie 48 à 72 heures après le début du traitement. L’absence de réponse au traitement (détresse respiratoire sans amélioration, persistance de fièvre ou du mauvais état général…) nécessite une réévaluation de la situation clinique et, souvent, des examens complémentaires (radiographie du thorax, mesure de la CRP, recherche de mycoplasme en fonction de la clinique).
Un suivi radiologique est inutile si l’évolution clinique est favorable.5,6 Les patients qui présentent une atélectasie lobaire ou des pneumonies répétées impliquant la même zone devraient bénéficier d’un contrôle en consultation spécialisée au vu du risque d’obstruction bronchique sous-jacente (intra ou extrinsèque), tout comme les patients ayant eu une pneumonie compliquée.
Malgré la grande fréquence de la pneumonie communautaire, il demeure une relative paucité de la littérature sur le diagnostic et la prise en charge de cette affection chez l’enfant. En résumé, il n’est pas nécessaire de réaliser des examens complémentaires pour les patients sans signe de complication et dont la présentation est suggestive. Une antibiothérapie n’est pas systématiquement nécessaire chez les enfants de moins de 5 ans. Quand indiqué, l’amoxicilline reste le traitement de première ligne à tout âge. En cas de non-réponse au traitement ou de présentation suggestive, une recherche de mycoplasme et la prescription d’un macrolide sont indiquées. Un traitement par macrolides doit également être discuté dans les cas de pneumonie très sévère, en addition à l’amoxicilline. Les contrôles radiologiques ne sont indiqués que dans des situations très précises.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La présence d’un état fébrile, associé à des signes de détresse respiratoire, évoque une pneumonie
▪ La pneumonie de l’enfant de moins de 5 ans est le plus souvent d’origine virale. Une antibiothérapie systématique n’est pas indiquée
▪ En pratique ambulatoire, dans la pneumonie sans critère d’hospitalisation, une radiographie du thorax est indiquée uniquement en cas d’hypoventilation significative
▪ Lorsqu’une antibiothérapie est indiquée, l’amoxicilline est le traitement de premier choix pour l’enfant correctement vacciné contre Haemophilus influenza
▪ Mycoplasma pneumoniae doit être recherché chez l’enfant dès 5 ans en cas de tableau clinique évocateur et chez l’enfant de tout âge en cas d’absence de réponse au traitement de première ligne