Le développement d’outils diagnostiques moléculaires a attribué aux virus respiratoires la responsabilité de la majorité d’infections respiratoires aiguës chez l’enfant. En Suisse, plus de 1000 hospitalisations annuelles sont causées par le virus respiratoire syncytial (VRS), alors que jusqu’à 5000 admissions sont associées à la grippe.1 La documentation d’un virus respiratoire est également retrouvée dans presque 70 % des pneumonies communautaires aiguës (CAP) pédiatriques.2 Cette revue sensibilisera le praticien d’abord sur des virus respiratoires connus des pédiatres tels que le VRS, puis abordera d’autres pathogènes viraux moins connus de la communauté tels que le Human Bocavirus (HBoV).
Les infections à VRS, un virus simple brin ARN, de la famille des Paramyxoviridae, sont associées à de plus 90 % des bronchiolites et 50 % des CAP, avec plus de 200 000 décès rapportés dans le monde chaque année.3,4 Bien que le taux de mortalité soit inférieur à 0,5 % chez un enfant sain, il s’élève au-delà de 80 % chez les enfants avec greffe de moelle allogénique.5 Les options thérapeutiques et prophylactiques sont limitées en nombre, coût et efficacité lors de pneumonie établie. Le palivizumab (Synagis), un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine de fusion F du VRS, est le seul agent prophylactique disponible sur le marché, utile pour le praticien. En Suisse, ses indications sont limitées aux anciens prématurés avec dysplasie bronchopulmonaire (DBP) sévère au début de la saison à VRS et à ceux avec une malformation cardiaque congénitale hémodynamiquement significative. Pour d’autres groupes à risque, notamment les enfants avec déficits immunitaires ou maladies neuromusculaires, le palivizumab n’est pas enregistré et donc pas remboursé par les assurances-maladie.6 Récemment, un autre anticorps monoclonal, le motavizumab, qui présente une haute interaction avec la protéine de fusion F, n’a montré aucune supériorité en termes d’efficacité comparé au palivizumab.7 Parmi les agents thérapeutiques, seule la ribavirine, un analogue nucléosidique, a été approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) pour le traitement des pneumonies à VRS chez les patients avec comorbidités significatives. D’autres molécules comme les small-interfering RNA (si-RNA) dirigées contre les ARNm des protéines nucléocapsidiques, inhibiteurs de fusion (Viropharma Inc MDT-637, Gilead Sciences-5806)8 et un vaccin à base de protéine de fusion F (Novavax)9 sont actuellement en cours d’investigation dans des essais cliniques et cibleraient surtout les enfants avec comorbidités sous-jacentes.
Les virus influenza A ou B, virus ARN appartenant aux Orthomyxoviridae, sont responsables chaque année de 1000 à 5000 hospitalisations et jusqu’à 1500 décès en Suisse, notamment chez les personnes âgées. L’épidémie de 2014/2015 a été particulièrement sévère, avec une incidence saisonnière globale de 3393 consultations pour 100 000 habitants.10 Durant la saison grippale 2014/2015, le virus A (H3N2) a été dominant, suivi du A (H1N1)pdm09 devenu saisonnier suite à la pandémie de 2009, et principalement observés chez les jeunes enfants de moins de 4 ans, et du virus influenza B (lignage Yamagata). La prévention la plus efficace contre la grippe est la vaccination annuelle dont la combinaison des souches dans le vaccin est déterminée chaque année par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les souches A/Texas/2012 (H3N2) et B/Massachustetts/2012 (lignage Yamagata) utilisées dans le vaccin pour la saison 2014/2015 n’ayant pas assuré une protection suffisante contre les virus en circulation, l’OMS a recommandé de remplacer ces deux composantes pour le vaccin de la saison 2015/2016 par les souches A/Switzerland/2013 (H3N2) et B/Phuket/2013 (lignage Yamagata). Depuis 2014, un vaccin tétravalent (Fluarix Tetra), comportant en plus des trois souches ci-dessus, un antigène analogue à la souche B/Brisbane/2008 (lignage Victoria), est également disponible pour les enfants âgés de plus de 3 ans (tableaux 1, 2 et 3).11 Parmi les deux classes d’antiviraux contre la grippe figurent essentiellement les inhibiteurs de la neuraminidase (oseltamivir (Tamiflu) PO ou zanamivir (Relenza) inhalé/IV, disponibles en Suisse), les adamantanes (amantadine et rimantadine) ayant pratiquement été abandonnées depuis l’émergence et la propagation rapide des virus A (H3N2), A(H1N1)pdm09 et influenza B résistant à cette classe de médicaments (mutation S31N).12 Bien que début 2009, les virus A(H1N1) résistant à l’oseltamivir fussent devenus prédominants, ils ont été remplacés par le virus A(H1N1) pdm09 en 2009/2010, dont la résistance par acquisition de la mutation NAH275Y reste localisée bien que documentée.12 Cette mutation confère un haut degré de résistance à l’oseltamivir mais ne diminue pas substantiellement la susceptibilité au zanamivir.12 Les indications d’utilisation de l’oseltamivir sont résumées dans les tableaux 4 et 5. Il est préférable d’administrer l’oseltamivir dans les premières 48 heures de l’apparition des symptômes bien que des effets bénéfiques aient également été constatés au-delà de cette échéance (tableaux 4 et 5).13–15 Le but de cette administration étant d’atténuer l’intensité et la durée des symptômes et de prévenir les formes graves ou des décès. Parmi les autres molécules figurent le favipiravir, antiviral de large spectre contre les virus ARN, efficace contre influenza A, B et C, y compris les souches résistant aux antiviraux approuvés et le nitazoxanide, molécule antiparasitaire à effet immunomodulateur (NCT01610245).16
Bien que les rhinovirus (RV) (famille des Picornaviridae) constituent l’agent causal principal du rhume, ils ont été récemment également identifiés comme les virus respiratoires prédominants lors d’exacerbations asthmatiques aiguës, de bronchiolite et de pneumonie virale. La sévérité clinique des infections à RV reste débattue.17–24 Une étude récente25 a rapporté une sévérité clinique équivalente des infections à RV à celles causées par influenza ou RSV chez des enfants hospitalisés pour infections respiratoires basses alors que d’autres études conduites entre autres chez des nourrissons avec bronchiolite17,26 ont rapporté une sévérité clinique accrue des infections à RV comparée à celles causées par RSV et influenza. D’autres études récentes incluant un génotypage des souches RV ont attribué une sévérité accrue des symptômes cliniques lors d’infections à RV-C chez des nourrissons27,28 mais pas chez d’autres populations de patients.29 Par ailleurs, les souches RV-A et C sont associées à des infections respiratoires alors que les souches B sont majoritairement identifiées chez des sujets asymptomatiques dont le taux de détection peut avoisiner 15 %.30 Les stratégies préventives et thérapeutiques sont limitées. Le pleconaril, un antiviral interférant avec la capacité d’interaction du virion avec son récepteur, s’est avéré efficace et bien toléré mais a été retiré dès 2002 au vu d’interactions avec les contraceptifs oraux. Le vapendavir, un inhibiteur de capside VP1, s’est montré prometteur dans des essais cliniques de phases I et IIa. D’autres alternatives thérapeutiques incluent des cibles d’enzymes protéolytiques31 et des inhibiteurs de protéase.32 A noter que l’émergence de résistances à ces agents semble inévitable si ces derniers sont utilisés en monothérapie étant donné le taux de mutations élevé chez ces virus à ARN. L’hétérogénéité antigénique et le nombre élevé de sérotypes RV dépassant 150 rendent la conception d’un vaccin difficile.33
Les infections à hMPV (A1, A2 et B1, B2), virus ARN de la famille des Paramyxoviridae proches du VRS, sont responsables de 10-15 % des hospitalisations pour bronchiolites et des CAP chez les enfants,34 notamment chez les nourrissons de moins de 6 mois, les enfants de sexe féminin et ceux avec comorbidités sous-jacentes.34 Plusieurs stratégies préventives et thérapeutiques regroupant divers vaccins atténués vivants, un anticorps monoclonal ciblant la protéine de fusion F et inhibiteurs de protéine de fusion,34 se sont montrées prometteuses dans les modèles expérimentaux. Actuellement, aucun traitement antiviral n’est à disposition, la ribavirine s’étant montrée efficace uniquement dans des modèles expérimentaux.34
Les nouveaux coronavirus (CoVs) NL63, HKU1 et Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus « MERS-CoV » sont des grands virus à ARN, responsables d’un large spectre d’infections respiratoires. Celles-ci englobent des infections respiratoires hautes (principalement NL63 et HKU1) souvent détectées en coinfections avec d’autres virus respiratoires35 et des infections sévères, en particulier celles liées au MERS-CoV, dont le taux de mortalité avoisine 40 %. Alors que plus de 1600 cas d’infection à MERS-CoV (majoritairement acquis au Moyen-Orient) ont été recensés par l’OMS, aucune infection n’a été déclarée dans notre pays. Ce virus peut être recherché au moyen d’une PCR spécifique chez un patient présentant des symptômes d’infection respiratoire haute et/ou basse, ayant séjourné dans un pays endémique (en particulier l’Arabie Saoudite) dans les quatorze jours précédant les symptômes.
Les infections à Human Bocavirus (HBoV), un virus à ADN de la famille des Parvoviridae, sont responsables de 5 à 20 %36,37 des infections respiratoires chez l’enfant avec une détection documentée majoritairement (70 % des cas) en coinfection avec d’autres virus respiratoires.36 Le spectre des manifestations cliniques regroupe celui des infections à RSV et hMPV, avec une possible association lors de gastroentérite aiguë38 et une associée et suggérée avec la maladie de Kawasaki.39
La détection simultanée de plusieurs pathogènes viraux est fréquemment rapportée chez les enfants avec infections respiratoires (10-40 % des cas),40 notamment chez les nourrissons, les enfants asthmatiques et ceux avec mucoviscidose.41,42 Les infections à HBoV sont habituellement détectées en coinfection avec d’autres virus alors que celles à RSV ou influenza A sont principalement isolées.22,43 La question de la sévérité clinique des coinfections virales versus infections virales seules reste largement débattue. Une méta-analyse44 et une étude rétrospective récente40 n’ont pas associé les coinfections virales à une sévérité clinique accrue, bien que contredite par d’autres études. Cette divergence résulte probablement de l’inclusion de patients d’âges différents et dont la proportion de comorbidités sous-jacentes est variable.
Les infections respiratoires majoritairement causées par des virus respiratoires restent le motif de consultation le plus fréquent en pédiatrie. Au-delà d’une surveillance épidémiologique liée à l’émergence d’épidémies, voire de pandémies, la documentation de virus respiratoires permet de rationaliser l’usage d’antibiotiques.
A M. Schibler, Laboratoire de virologie des HUG, pour sa relecture et ses commentaires utiles à la rédaction de cet article.
L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’émergence de syndromes respiratoires sévères aigus liés aux infections à MERS-COV et la pandémie de grippe A en 2009 ont sensibilisé la population générale aux virus respiratoires
▪ La disponibilité du diagnostic moléculaire offrant un dépistage rapide, sensible et large a renforcé leur contribution à diverses entités cliniques respiratoires
▪ Ces méthodes moléculaires étant devenues la référence de dépistage pour les infections virales respiratoires, il est important pour le praticien d’en connaître la disponibilité et l’utilité
▪ Bien que leur utilisation en ambulatoire reste limitée en raison de leur coût, un usage plus systématique résulterait en une documentation accrue des infections virales respiratoires, ce qui permettrait une rationalisation de l’usage des antibiotiques et donc un meilleur contrôle de l’émergence de résistance