La maladie de Rendu-Osler (MRO) est une maladie génétique rare à transmission autosomique dominante, à l’origine de multiples télangiectasies cutanéo-muqueuses et malformations artérioveineuses viscérales (MAV).1 Les organes principalement touchés par les MAV sont les poumons, le foie, le tractus digestif et le cerveau.1 Les complications principales de ces lésions sont liées aux shunts artérioveineux pulmonaires telles les embolies paradoxales ou l’hypoxémie, une anémie secondaire aux hémorragies récidivantes et des thromboses.2 Le diagnostic de MRO peut être posé cliniquement ou grâce à une analyse génétique.3 L’atteinte de divers organes est l’une des caractéristiques de la MRO, ce qui nécessite une prise en charge multidisciplinaire, de préférence dans un centre spécialisé.
La prévalence globale de la MRO est d’environ 1/5000 à 1/10 000 mais il existe des variations régionales (avec une prévalence très élevée dans le Jura français).4,5 Les hommes et les femmes sont atteints à des fréquences équivalentes.6 La pénétrance de la MRO est très variable et augmente avec l’âge. En général, les individus atteints sont asymptomatiques à la naissance.1,7 A 16 ans, environ 62 % des individus présentent des manifestations de la maladie, alors qu’à 40 ans ce pourcentage s’élève à plus de 90 %.7 L’espérance de vie des patients est diminuée en moyenne de 6,8 ans8 par rapport à la population générale, et environ 10 % des individus atteints décèdent des complications de la maladie.9
S’agissant d’une maladie à transmission autosomique dominante, les patients porteurs de la mutation ont un risque de 50 % de transmettre la maladie à leur descendance.10 L’état homozygote est considéré comme non viable. Trois gènes ont été identifiés dans la MRO : ENG, ACVRL1 (ou ALK1) et plus rarement MADH4.11 Dans la majorité des cas de MRO (environ 80 %), les mutations sont identifiées dans les gènes ENG et ACVRL1 ;12 plus de 600 mutations ont été répertoriées jusqu’ici dans ces deux gènes. Les mutations du gène ENG (MRO type 1) sont responsables d’environ 53 % des cas de MRO.13 Ce gène code pour l’endogline, un corécepteur de la famille du tumor growth factor beta (TGF-β). La majorité des mutations sont de type non-sens, entraînant une inactivation d’une des deux copies du gène et créant ainsi un déséquilibre quantitatif du produit du gène.14 Les mutations du gène ACVRL1 (MRO type 2) sont responsables d’environ 47 % des cas de MRO.13 Ce gène code pour l’activin receptor-like kinase 1, un récepteur appartenant aussi à la famille du TGF-β. Il s’agit principalement de mutations faux-sens entraînant la traduction d’une protéine mutée et instable, ne pouvant pas fonctionner normalement et induisant ainsi un déséquilibre qualitatif de la protéine.15 Le gène MADH4 code pour le facteur de transcription Smad4 qui intervient dans la voie de signalisation du TGF-β et représente une minorité des mutations responsables de la maladie (environ 2-3 % des cas de MRO).12 La mutation du gène MADH4 est responsable d’un syndrome associant MRO et polypose juvénile.12,16 Ces trois gènes codent donc tous pour des protéines qui interviennent dans la voie de signalisation de la famille TGF-β dépendant de Smad dans les cellules endothéliales. Les mutations sont associées à une diminution de la production de Smad4, responsable d’une perte de contrôle de l’angiogenèse qui aboutit à la formation de vaisseaux anormaux (télangiectasies et MAV) caractéristiques de cette maladie.16,17 La MRO pourrait donc être en partie liée à un état de déséquilibre entre des facteurs pro et antiangiogéniques.18
Tous les signes de la maladie peuvent survenir indépendamment de la mutation sous-jacente.19 Il existe néanmoins des différences dans la prévalence de malformations artérioveineuses entre MRO type 1 et MRO type 2. Dans la MRO type 1 (ENG), les épistaxis sont plus précoces et les MAV pulmonaires non seulement plus précoces mais aussi plus nombreuses19,20 et les patients présentent une fréquence augmentée de MAV cérébrales. Dans la MRO type 2 (ACVRL1), les MAV hépatiques surviennent plus fréquemment et ont un risque plus élevé de devenir symptomatiques au cours du temps.21 Le génotype ne permet toutefois pas de prévoir les différentes manifestations cliniques de la maladie et n’influence pas la prise en charge. De plus, au sein d’une famille porteuse d’une mutation spécifique, les manifestations cliniques peuvent être très différentes d’un individu à l’autre.22 En ce qui concerne les mutations de MADH4, un suivi particulier est préconisé en raison du risque augmenté de cancer digestif.23
Les critères de Curaçao permettent de poser cliniquement un diagnostic de MRO (tableau 1). Le diagnostic est considéré comme certain si 3 critères sur 4 sont présents, et possible si 2 critères sur 4 sont présents.
Le diagnostic peut aussi être fait par biologie moléculaire. La recherche de mutations est disponible pour les gènes ENG, ACVRL1 et MADH4. Des mutations dans les gènes ENG et ACVRL1 sont identifiées chez 80 % des patients diagnostiqués par les critères cliniques.15 L’analyse génétique permet d’identifier la mutation spécifique dans une famille, rendant possible l’identification d’autres membres de la famille atteints mais encore asymptomatiques.23 Le diagnostic génétique est particulièrement utile pour les patients porteurs d’un diagnostic suspect de MRO, alors qu’il l’est moins pour les patients pour lesquels le diagnostic est certain ou au contraire improbable.24
Les manifestations cliniques (tableau 2) sont variables et sont la conséquence des MAV, qui touchent plusieurs organes simultanément chez un tiers des patients.9 Une MAV est une communication entre une artère et une veine en l’absence de capillaire.
Environ 95 % des patients atteints de MRO développent des épistaxis, complication des télangiectasies nasales, souvent spontanées et récidivantes, qui augmentent avec l’âge et sont à l’origine d’anémies parfois sévères.9
Les télangiectasies cutanéo-muqueuses sont présentes chez environ 75 % des patients atteints de MRO et sont en général visibles sur le visage, les conjonctives, la muqueuse buccale, les oreilles et les doigts (figure 1).25 Ces lésions tendent à augmenter en nombre et en taille avec l’âge.18 Dans certains cas, ces vaisseaux anormaux peuvent saigner mais le plus souvent ils représentent seulement un problème de nature esthétique.1
La fréquence des télangiectasies gastro-intestinales se situe aux alentours de 15 à 30 % chez les patients atteints de MRO.6 Des télangiectasies peuvent être identifiées tout au long du tractus digestif, mais la plupart se trouvent dans l’intestin grêle et l’estomac.26 Les complications qui peuvent apparaître sont des hémorragies chroniques à bas bruit, qui tendent à augmenter avec l’âge et qui nécessitent parfois des transfusions sanguines. Une hématémèse ou un méléna surviennent chez environ 33 % des patients atteints de la MRO.27 Une évaluation endoscopique est préconisée en cas d’anémie dont la sévérité n’est pas expliquée par les seules épistaxis, ou lorsque le patient présente une hémorragie digestive aiguë ou chronique.18
Les MAV cérébrales surviennent avec une fréquence de 10-12 % chez les patients atteints de MRO.24,28 L’atteinte cérébrale peut se manifester par divers types de malformations vasculaires dont des MAV cérébrales, des fistules artérioveineuses et des télangiectasies.29 L’incidence d’hémorragie cérébrale est faible (rétrospectivement environ 0,5 % par an)28 mais les conséquences sont graves en termes de morbidité et mortalité.9 Ces considérations sont à prendre en compte dans la discussion du rapport risque/bénéfice du dépistage et du traitement des MAV cérébrales. Les recommandations internationales proposent de faire un dépistage des malformations vasculaires cérébrales par IRM chez tout patient avec un diagnostic certain ou suspect de MRO.23
Les MAV pulmonaires surviennent avec une fréquence variant entre 15 et 33 % chez les patients atteints de MRO.13,30 Les MAV pulmonaires sporadiques (hors MRO) sont rares : environ 94 % des individus porteurs d’une MAV pulmonaire sont atteints de MRO.31 Asymptomatiques dans la majorité des cas, les MAV pulmonaires sont des équivalents de shunts droite-gauche plus ou moins importants qui peuvent être à l’origine d’une hypoxémie chronique, d’une dyspnée d’effort et d’une cyanose.30,32 Les MAV pulmonaires peuvent aussi être responsables de complications graves pulmonaires et neurologiques : il s’agit de la survenue d’hémoptysie, d’hémothorax, d’hypertension pulmonaire et, au niveau du système nerveux central, d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) constitués ou transitoires, d’abcès cérébraux par le biais d’embolie paradoxale de thrombus sanguin stérile ou non (figure 2) et de migraines.11,33 Les examens de choix pour le dépistage des MAV pulmonaires sont le scanner thoracique (figure 3A) et l’échocardiographie transthoracique de contraste réalisée par injection intraveineuse de microbulles ; l’échocardiographie permet aussi le dépistage de l’hypertension pulmonaire.23
Une atteinte hépatique est présente chez 41-78 % des patients atteints de MRO, mais la plupart sont asymptomatiques.34,35 Trois types de shunts hépatiques peuvent coexister : des shunts entre 1) artère hépatique et veine hépatique ; 2) artère hépatique et veine porte et 3) veine porte et veine hépatique. Ces shunts intrahépatiques sont responsables de complications cliniques telles qu’une insuffisance cardiaque à haut débit, une hypertension portale et une ischémie biliaire.36 L’examen de choix pour le dépistage des MAV hépatiques est l’échographie Doppler abdominale ou l’IRM hépatique.23
Une grossesse chez une patiente avec MRO doit être considérée à risque, malgré le fait que la majorité de ces grossesses se déroulent sans complications. Toute patiente désirant une grossesse devrait bénéficier d’un conseil préconceptionnel multidisciplinaire et des examens de dépistage préconisés chez tout patient avec MRO.
Les complications rencontrées pendant la grossesse sont principalement liées aux MAV pulmonaires : il s’agit d’une augmentation du shunt pulmonaire sous l’effet des hormones de la grossesse, des hémoptysies et des AVC. Les examens de dépistage devraient être réalisés avant le début de la grossesse. On ne fait pas d’examen de dépistage au cours de la grossesse, sauf en cas de forte suspicion clinique de MAV pulmonaire. Une MAV spinale (présente chez 1 % des patients) doit également être recherchée au troisième trimestre par IRM en vue d’une future anesthésie péridurale. Un accouchement par voie basse doit être favorisé, avec une deuxième phase du travail écourtée si une MAV cérébrale n’a pas été exclue. Une antibioprophylaxie et des filtres à air sur les voies veineuses sont indiqués si une MAV pulmonaire n’a pas été exclue.37
La chronicité et la récurrence des épistaxis dans la MRO rendent souvent problématique la prise en charge et le contrôle des saignements.38 Différents types de traitements peuvent être proposés aux patients selon la gravité et la fréquence des épistaxis. La mousse hémostatique Floseal, utilisée en application locale, a montré des bons résultats et permet de diminuer l’utilisation de procédés plus invasifs.39 L’embolisation sélective, la ligature artérielle, la coagulation endonasale des télangiectasies à l’aide de laser nd-yag ou KTP ainsi que la cautérisation électrique bipolaire sont des procédures souvent utilisées. Lors d’épistaxis sévères, l’indication à effectuer une greffe cutanée (opération de Saunders) ou une fermeture des fosses nasales (opération de Young) peut être posée.
L’utilisation de traitements hormonaux à base d’œstroprogestatif ou d’antiœstrogène (tamoxifène) est proposée dans certains cas mais reste controversée, surtout chez l’homme et chez la femme ménopausée au vu des effets secondaires potentiels.11,40 Le bévacizumab, un agent antiangiogénique utilisé dans le traitement de certaines tumeurs, et l’acide tranexamique, un antifibrinolytique, ont montré une certaine efficacité pour réduire la fréquence et la sévérité des épistaxis dans la MRO, mais ne sont pas encore utilisés en routine clinique.41–43 La thalidomide semble également réduire la fréquence et l’intensité des épistaxis, mais est pour l’instant du domaine expérimental dans cette indication.44,45 Des études à plus grande échelle sont nécessaires pour pouvoir définir la place de ces traitements dans la MRO.17
Le traitement des télangiectasies cutanéo-muqueuses par laser peut être réalisé en cas de gêne esthétique ou de saignements répétés, mais ces derniers sont rares.46
Pour les MAV pulmonaires dépistées par échocardiographie de contraste et scanner thoracique, le traitement préconisé est la vaso-occlusion par voie endovasculaire en radiologie interventionnelle, indiquée lorsque le vaisseau afférent mesure au moins 3 mm de diamètre (figures 3B et 3C).22 Bien qu’il n’existe pas d’étude randomisée, des données observationnelles suggèrent que la vaso-occlusion prophylactique diminue le risque de complications ischémiques ou infectieuses du système nerveux central par embolie paradoxale.47 Le taux de succès de la vaso-occlusion de MAV pulmonaires se situe autour de 75 %.48 Plusieurs séances peuvent être nécessaires en cas de MAV multiples. Une reperméabilisation peut survenir secondairement après une vaso-occlusion initialement efficace, et nécessiter une réintervention. En cas de MAV pulmonaire (ayant bénéficié ou non d’un traitement par vaso-occlusion), la prise prophylactique d’antibiotiques est recommandée avant les interventions dentaires et autres situations à risque de bactériémie, dans le but de diminuer le risque d’embole paradoxal et d’abcès cérébral.49,50 Il est également recommandé d’éviter strictement l’entrée de bulles d’air dans la circulation sanguine en plaçant des filtres sur les cathéters veineux, et d’éviter la plongée sous-marine (en raison du risque théorique d’embolie paradoxale en cas de survenue d’embolie gazeuse).51
Pour les patients porteurs de MAV hépatiques sévères symptomatiques, la thérapie médicale conventionnelle est préconisée pour chacune des complications possibles (insuffisance cardiaque, hypertension portale). La transplantation hépatique a été jusqu’à ces dernières années le seul traitement curatif et elle est proposée en cas de nécrose biliaire ou symptômes réfractaires au traitement médical.52 Le bévacizumab par voie systémique a récemment montré un effet favorable sur la symptomatologie des MAV hépatiques et constitue une alternative thérapeutique.3,53
En cas de saignements récurrents des télangiectasies gastro-intestinales, un traitement endoscopique par coagulation au laser Argon est préconisé et nécessite en général plusieurs séances.23
Pour le traitement des MAV cérébrales, les interventions à disposition sont l’embolisation artérielle, la microchirurgie et la radiothérapie stéréotaxique, utilisées seules ou en association.23 L’indication à réaliser de tels traitements, très délicate, relève d’un centre multidisciplinaire spécialisé dans les traitements cérébrovasculaires.
La prise en charge d’un patient suspect de MRO comprend en premier lieu une recherche des critères de Curaçao. Si le diagnostic est certain ou probable, il est indiqué de proposer un dépistage de MAV viscérales et une analyse génétique. Le résultat de cette analyse sera utile au patient lui-même ainsi que pour le dépistage des membres de sa famille encore asymptomatiques ou chez les enfants.18,24 La surveillance des lésions vasculaires, les mesures prises pour diminuer le risque de complications des MAV et des mesures symptomatiques sont la base du traitement des patients atteints de MRO.54 Le dépistage des MAV viscérales comprend la réalisation d’un scanner thoracique haute résolution, d’une échocardiographie de contraste, d’un écho-doppler ou d’une IRM hépatique, ainsi que la surveillance de l’hémoglobine, de la ferritine et des tests hépatiques. Les examens d’imagerie sont répétés à intervalles réguliers (trois à cinq ans), car de nouvelles MAV peuvent apparaître au cours de la vie jusque vers l’âge de 50 ans environ. Une angio-IRM cérébrale est proposée à une reprise au cours de la vie. D’autres examens (IRM médullaire, endoscopies digestives) sont réalisés selon la nécessité clinique. Des directives internationales23 et françaises55 sont disponibles concernant les examens de dépistage et le suivi clinique de la MRO. Des recommandations existent également pour les enfants et pour les femmes enceintes.
Il est important d’assurer un suivi clinique régulier au moins une fois par an. Il s’agit aussi de fournir des informations au patient et à sa famille à propos du caractère héréditaire de la maladie.
En raison du caractère multi-organique de la MRO, plusieurs spécialistes sont amenés à intervenir dans le traitement et le suivi des patients. Un programme multidisciplinaire structuré est utile pour harmoniser la prise en charge, réaliser en temps utile les examens recommandés et éviter les lacunes ainsi que les examens superflus.9 Un tel programme, coordonné par le Service de pneumologie, est disponible au Centre hospitalier universitaire vaudois depuis 2011. Une structure similaire existe aux Hôpitaux universitaires de Genève. Ces deux centres sont en contact régulier avec le Centre de référence national français de la maladie de Rendu-Osler à Lyon (www.rendu-osler.fr/). Une association de patients existe en France (www.amro-france.org/). Une meilleure connaissance de cette maladie rare par les médecins de premier recours peut contribuer à un diagnostic plus précoce et une prise en charge adaptée plus rapide, réduisant ainsi le risque de complications graves.56
Les auteurs remercient Mme Nathalie Bacco pour le travail de secrétariat.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La maladie de Rendu-Osler (MRO) se caractérise par des épistaxis spontanées, des télangiectasies cutanéo-muqueuses et des malformations artérioveineuses viscérales touchant divers organes (poumon, foie, tube digestif, cerveau)
▪ Les quatre critères de Curaçao permettent de poser un diagnostic clinique de MRO. Une analyse génétique permet de confirmer le diagnostic
▪ La prise en charge comporte notamment le dépistage des malformations artérioveineuses viscérales et des traitements destinés à prévenir leurs complications. Des recommandations internationales sont disponibles
▪ De nouveaux traitements, en particulier le facteur antiangiogénique bévacizumab, ont montré une efficacité sur certaines complications de la MRO
▪ Un programme structuré multidisciplinaire est disponible dans des centres spécialisés pour améliorer la prise en charge des patients, en évitant les examens superflus et en assurant un suivi régulier
▪ Lorsque le diagnostic est posé dans une famille, l’analyse génétique permet de rassurer et d’éviter une surveillance inutile chez les non-porteurs de la mutation, et d’appliquer un suivi adéquat chez les individus atteints