Les nausées et vomissements sont fréquents au premier trimestre de grossesse, affectant environ 85 % des femmes enceintes.1 Ils atteignent un pic à 9 semaines de grossesse et dépassent rarement la 14e semaine.2 En raison de leur fréquence, quel que soit le moment de la journée,3 nausées et vomissements gravidiques (NVG) sont à risque d’être banalisés par les professionnels de santé, l’environnement familial ou les femmes enceintes elles-mêmes.4 De plus, certaines patientes s’abstiennent de tout recours thérapeutique par peur des éventuels effets indésirables médicamenteux sur leur fœtus.5 Or, non traités et persistants, les NVG peuvent être responsables d’une morbidité maternelle et/ou fœtale non négligeable,6 alors que leurs traitements ont prouvé leur innocuité et leur efficacité. Ils préviennent par ailleurs les évolutions défavorables vers une forme sévère lorsqu’ils sont initiés à un stade précoce des symptômes. L’hyperémèse gravidique (HG) est la forme la plus sévère de NVG. Son incidence est de 0,3 à 2 %. Elle reste un diagnostic clinique, caractérisé par des vomissements sévères incoercibles, une perte pondérale supérieure à 5 % (poids avant la grossesse), une cétonurie, des anomalies électrolytiques et une déshydratation.7
NVG et HG constituent enfin un problème de santé publique en raison de leur impact sur la qualité de vie des femmes enceintes, les coûts de santé et l’absentéisme au travail. Ils constituent en effet la première cause d’hospitalisation durant le premier trimestre de grossesse.5
L’étiologie exacte des NVG reste mal connue. Elle est probablement multifactorielle et combine des mécanismes d’ordre métabolique, environnemental, ethnique ou psychologique, sans qu’aucun n’ait été significativement identifié.6 Sur le plan endocrinien, il existe un lien étroit entre le pic plasmatique d’hCG (human chorionic gonadotropin) et l’acmé des symptômes.5 Les taux plasmatiques d’œstrogène semblent également jouer un rôle. L’impact des modifications endocriniennes en cours de grossesse sur la motilité gastro–intestinale et les fluctuations thyroïdiennes aurait également un effet sur la survenue des NVG.8
Parmi les facteurs de risque retenus dans la survenue de NVG et HG, une infection à Helicobacter pylori aurait un rôle dans la pathogenèse.9 On retiendra aussi les antécédents de migraine, des antécédents familiaux génétiques ou personnels d’HG lors d’une précédente grossesse, une intolérance aux contraceptifs œstro-progestatifs, ainsi que le volume placentaire.5
Enfin, des facteurs protecteurs sont décrits, tels qu’un âge supérieur à 35 ans, le tabagisme et une grossesse avec un embryon de sexe masculin.10,11
Lors de formes légères à modérées de NVG, l’examen physique et biologique est habituellement normal. Les formes sévères peuvent se présenter avec des signes de déshydratation (muqueuses sèches, tachycardie, pli cutané, hypotension orthostatique, oligurie, changements psycho-comportementaux).
L’HG entraîne un déséquilibre hydrique, électrolytique et acido-basique, une carence nutritionnelle et une perte de poids.8 Les anomalies biologiques peuvent comprendre une augmentation de la créatinine, l’urée, l’hématocrite et de la densité urinaire, ainsi qu’une cétonurie. Les perturbations électrolytiques impliquent une hyponatrémie, une hypokaliémie, une alcalose métabolique7 et une pré-albumine abaissée.12 On retrouve également fréquemment une perturbation des tests hépatiques et pancréatiques.13
Sur le plan endocrinien, une hyperthyroïdie est souvent présente en raison de l’effet stimulateur de la hCG sur la thyroïde. Les taux d’hormones thyroïdiennes se normalisent en général sans traitement, avec la baisse des bêta-hCG au cours du 2e trimestre.
L’évaluation initiale de vomissements persistants comprend l’évaluation du poids, de la tension artérielle (TA) et de la fréquence cardiaque (FC). L’HG reste un diagnostic clinique, basé sur les symptômes et sur l’exclusion des autres causes possibles. Aucun test spécifique n’existe, mais il convient de rechercher un retentissement biologique des vomissements (tableau 1).
La persistance après neuf semaines de gestation de NVG doit faire rechercher un diagnostic différentiel (tableau 2) en s’appuyant avant tout sur l’anamnèse et l’examen clinique, puis sur d’éventuels examens complémentaires. Une échographie abdominale est ainsi souvent utile pour exclure une autre cause (lithiase vésiculaire, appendicite, pancréatite, etc.). L’échographie va également permettre de rechercher une gestation multiple ou une maladie trophoblastique qui peut être associée aux NVG. Si une gastropathie est suspectée, une endoscopie digestive haute est enfin envisageable.
Les complications en termes de morbidité des NVG sévères et HG sont l’encéphalopathie de Wernicke, la rupture œsophagienne, le pneumothorax et la nécrose tubulaire aiguë.14 L’encéphalopathie de Wernicke (carence en vitamine B1) peut être associée à une mortalité maternelle ou un handicap neurologique permanent dans ses formes graves.15 Dans de rares cas enfin, certaines patientes souffrent d’une morbidité psychosociale importante, causée par des NVG et nécessitent une interruption de grossesse.
Les NVG légers ou modérés ont peu d’effets fœtaux. Dans les cas sévères, des études ont montré une incidence plus élevée de faible poids et/ou taille de naissance et de prématurité.16 Cependant, aucune association entre HG et mortalité périnatale ou néonatale n’a été démontrée à ce jour.17
Le traitement des NVG commence par la prévention5 puis par une approche pharmacologique précoce et efficace. Les traitements peuvent être classés en trois groupes (figure 1).
Ils comprennent la modification de l’hygiène de vie, en évitant l’exposition aux odeurs, aux aliments ou aux suppléments qui déclenchent les nausées18 (aliments gras ou épicés, supplémentation en fer, etc.). Une alimentation et une hydratation fréquente en petites quantités sont recommandées.19 La vitamine B6 (pyridoxine), le gingembre (poudre, comprimés, gélules ou sirop) ou un bracelet d’acupression, peuvent être initiés au début des symptômes.
Ils comprennent une gamme d’antiémétiques, tels que la combinaison vitamine B6 / doxylamine, les antagonistes des récepteurs de la dopamine (métoclopramide), les antagonistes des récepteurs de la sérotonine 5-hydroxytryptamine type 3 (ondansétron). Ils améliorent efficacement les symptômes légers à modérés (niveau A, classe IIa).
Ils sont réservés aux femmes présentant des symptômes sévères et persistants, et sont initiés généralement en milieu hospitalier. Un traitement symptomatique intraveineux peut ainsi s’avérer nécessaire pour corriger la cétose, les troubles électrolytiques et la carence vitaminique.20 Une alimentation entérale ou l’administration de corticostéroïdes ne sont utilisés que dans des cas exceptionnels.
Les NVG sont une condition fréquente, mais susceptible d’affecter la santé d’une femme enceinte et de son fœtus. Ils peuvent diminuer la qualité de vie et contribuer de façon significative aux coûts des soins de santé. Les causes de ces manifestations restent globalement mal connues. Dans tous les cas, laisser les NVG s’installer rend les symptômes plus difficiles à contrôler par la suite. De fait, les NVG, bien que fréquents, ne doivent pas être banalisés, ni faire oublier la possibilité d’un diagnostic différentiel. Des traitements précoces peuvent enfin prévenir les complications médico–socio-économiques et les formes graves, tout en ayant montré leur innocuité comme leur efficacité.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Au-delà de leur caractère fréquent et potentiellement bénin, les nausées et vomissements de la femme enceinte au premier trimestre ne doivent pas être banalisés
▪ Des investigations cliniques et paracliniques sont parfois requises
▪ La prévention de l’évolution vers une forme plus sévère doit être précoce
▪ Des traitements précoces permettent de prévenir les complications médico-socio-économiques et les formes graves, tout en ayant montré leur innocuité comme leur efficacité