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ISO 690 Schaad, B., « La communication n’existe pas », Rev Med Suisse, 2019/665 (Vol.15), p. 1779–1779. DOI: 10.53738/REVMED.2019.15.665.1779 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2019/revue-medicale-suisse-665/la-communication-n-existe-pas
MLA Schaad, B. « La communication n’existe pas », Rev Med Suisse, Vol. 15, no. 665, 2019, pp. 1779–1779.
APA Schaad, B. (2019), « La communication n’existe pas », Rev Med Suisse, 15, no. 665, 1779–1779. https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.665.1779
NLM Schaad, B.« La communication n’existe pas ». Rev Med Suisse. 2019; 15 (665): 1779–1779.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.665.1779
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2 octobre 2019

« La communication n’existe pas »

DOI: 10.53738/REVMED.2019.15.665.1779

Un concept a confortablement fait sa place dans le vocabulaire contemporain: la déshumanisation de l’hôpital. Il est courant de la redouter et plus encore de chercher à la combattre. Mais au fond, existe-t-elle vraiment ? S’ils reconnaissent et déplorent l’affirmation de la techno-science, les pressions de l’économie de marché ou le temps compté en consultation, Jean Lombard et Bernard Vandewalle1 adoptent toutefois une position provocante. Difficile en effet selon eux d’affirmer que l’hôpital est en voie de déshumanisation puisqu’il n’est en réalité ni humain ni inhumain: « Les conditions générales de la déshumanisation dénoncée sont déjà réunies, en effet, dans tout ce que l’hôpital est par nature le lieu: l’angoisse, la crainte du pire, la souffrance, le risque, la solitude, la menace ». En revanche, constatent-ils, plus la technique prend le pas sur la relation, plus le discours sur une nécessaire lutte contre la déshumanisation enfle. Au risque de s’auto-reproduire et de tourner à vide.

Dans ce contexte, les services de communication des hôpitaux et des cliniques qui ont fleuri en Europe dès le début des années 2000 endossent une responsabilité particulière. Celle de ne pas pratiquer d’abus de langage. Brandis à haute dose, certains termes vident de leur sens des vertus que l’on rêverait de voir s’opposer à la technologisation de la médecine et aux effets délétères d’un système fragmenté – égarant tant le patient, ses proches que les professionnels.

Ainsi, des mots comme « empathie », « bienveillance », « compassion », « respect », des notions comme celle du « patient au centre » ou d’« empowerment du patient » sont devenus omniprésents, sans qu’ils ne soient toujours la traduction d’une réalité concrète. Les visiteurs de l’hôpital ne sont pas dupes, ainsi cette patiente qui se moque aimablement de la campagne placardée sur les murs de cet établissement hospitalier: « Nous bénéficions d’une médecine de pointe, et je voudrais féliciter l’hôpital, mais… à côté de ces performances extraordinaires, on oublie l’humain, la personne dans son intégralité qui devrait être le centre de sa préoccupation […]. Pourtant, dans les corridors, de grands panneaux parlent de la communication, de l’écoute du malade, de l’échange ».

L’effet de cette surenchère lexicale est tout aussi abrasif pour les professionnels qui n’y voient qu’une injonction supplémentaire à satisfaire: « Soyez aimable avec votre patient ». Elle offre aussi une maigre consolation au sentiment qui pourrait les saisir d’avoir désinvesti le lien, d’avoir perdu de vue ce pourquoi ils avaient choisi le domaine du soin. Comme le notent Lombard et Vandewalle, c’est un peu comme s’il s’agissait de croire que « parler, c’est déjà faire, comme si d’une façon magique, l’existence du discours pouvait dédouaner, légitimer, faire coïncider immédiatement le devoir-être et l’être ».

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En la matière, les mots ne peuvent devancer le réel et encore moins le créer. Pour paraphraser l’artiste Ben et son désormais fameux tableau « La Suisse n’existe pas », « La communication n’existe pas ». En d’autres termes, la communication sanitaire vient en soutien, non pas en préambule. Elle doit se garder d’emballer du vide et de diffuser de fausses promesses. En milieu hospitalier, elle est contrainte de se méfier d’elle-même: de ses propres habiletés à créer des slogans, de son aptitude à envelopper les faits de trop beaux oripeaux, de n’évoquer que le versant lumineux de ce qui est accompli dans ses murs. En donnant à voir uniquement la toute-puissance de la médecine, la communication prend en effet la responsabilité de mettre face à face des patients chargés d’attentes et des professionnels qui, par définition, ne peuvent les satisfaire toutes. Elle alimente le conflit, nourrit les antagonismes et attise les ferments de la séparation.

Dans une époque qui vit une avalanche de stimuli, où chaque minute 480 000 tweets sont lancés, 2,4 millions de snaps sont publiés et 973 000 personnes se branchent sur Facebook, l’usage des mots exige de la parcimonie et de la prudence. Si à force d’en abuser, les termes d’empathie ou de bienveillance se vident de leur contenu, cela aura alors conduit à ce que l’on s’habitue à un succédané d’empathie. Celui qu’offrent déjà les sonzai-kann japonais, les robots à qui l’on confie la mission de tenir compagnie à des patients esseulés et de singer une forme d’altruisme. Ou que l’on s’accoutume à l’ersatz de bienveillance que proposera peut-être demain cet androïde-médecin qui vient de passer brillamment ses examens de première année de médecine en une heure à peine alors que ses petits camarades, de chair et d’os, redoutaient que dix heures ne leur suffisent point.

Face au développement de l’intelligence artificielle et à l’avenir que celle-ci esquisse, la communication a un rôle d’autant plus stratégique à jouer. Elle doit protéger ce que la médecine a de plus fondamental. Autrement dit, donner à voir, donner à comprendre tout projet qui a été pensé et développé par les professionnels dans le but de soigner le lien, de préserver la décence au sens orwelien du terme. Cette qualité qui « suppose un sentiment intuitif de la réciprocité qui permet à la fois de rester digne de sa propre humanité et de préserver les conditions quotidiennes d’une existence commune ».

Auteurs

Béatrice Schaad

Module d’immersion communautaire de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, sous la direction de:

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