L'homocystéine est un acide aminé soufré dont la concentration dépend de facteurs génétiques et surtout de la qualité de l'apport vitaminique (vitamines B12, B6 et folates). Une augmentation modérée de l'homocystéine plasmatique est associée à des atteintes artérielles coronaires, cérébrales et périphériques. Chez le sujet âgé, la fréquence élevée des dénutritions protéino-énergétiques rend compte d'une augmentation de fréquence de l'hyperhomocystéinémie modérée. L'hyperhomocystéinémie reste alors un facteur de risque vasculaire dont le traitement réside en premier dans l'amélioration de la qualité des apports alimentaires.
L'homocystéine est un acide aminé soufré dépendant des apports nutritifs vitaminiques, dont l'élévation des taux plasmatiques est associée à la survenue d'événements vasculaires. Ces deux caractéristiques en font une cible privilégiée d'intervention sur le risque vasculaire chez le sujet âgé.
L'homocystéine est un acide aminé appartenant au métabolisme de la méthionine, situé au carrefour de deux voies métaboliques : la transsulfuration et la reméthylation (fig. 1). Environ 50% de l'homocystéine s'oriente vers la voie de la transsulfuration où elle est irréversiblement transformée en cystathionine en présence de Cysthathionine Beta Synthase (CBS) et de vitamine B6. La voie de la reméthylation recycle l'homocystéine en méthionine à l'aide de la méthionine synthase, dont l'un des substrats est synthétisé par la N5,N10 Méthylène Tétra Hydro Folate Réductase (MTHFR). Cette réaction demande la présence de méthyl-cobalamine (vitamine B12). Une deuxième voie de reméthylation est catalysée par la bétaïne-homocystéine-méthyl-transférase. Ainsi, la concentration de l'homocystéine dépendra de la concentration en folates, vitamine B6, vitamine B12 et de l'activité des CBS et MTHFR.
La grande majorité des études cliniques dose l'homocystéine totale plasmatique (hcyt) qui inclut l'homocystéine liée en disulfide (cystéine-homocystéine et homocystéine-cystéine (hcyt)), l'homocystéine thiolactone, l'homocystéine liée aux protéines et l'homocystéine libre.
Les valeurs normales d'hcyt varient d'une étude à l'autre et selon la méthode de dosage. Classiquement, les valeurs normales d'homocystéine à jeun sont de 5 à 15 µmol/l ; entre 15 et 30 µmol/l, il est habituel de parler d'hyperhomocystéinémie (hyperhcyt) modérée ; entre 30 et 100 µmol/l, d'hyperhcyt intermédiaire ; et, au-delà de 100 µmol/l, d'hyperhcyt sévère.1L'hcyt est plus élevée chez l'homme que chez la femme et chez la femme s'élève après la ménopause, sans atteindre les valeurs observées chez l'homme.
Les déficits génétiques du métabolisme de l'homocystéine totale plasmatique sont représentés par les déficits en CBS et en MTHFR. Les déficits en CBS sont rares
(1/200 000 naissances), et n'intéressent pas l'hyperhcyt modérée du sujet âgé. Par contre, S. Kang et coll.2 ont rapporté l'existence d'un variant thermolabile de la MTHFR dû à une mutation (C677T : substitution d'une valine par une alanine) du gène de la MTHFR. Cette mutation a une prévalence élevée variant de 5 à 15% selon les populations étudiées. La mutation C677T à l'état homozygote est associée à une élévation de l'hcyt.3
Toute dénutrition intéressant les vitamines B6, B12 et folates est associée à une augmentation de l'hcyt. Il existe une corrélation négative étroite entre le taux de folates et celui de l'homocystéine. Cette relation avec les vitamines rend compte de l'augmentation de fréquence d'hyperhcyt chez les sujets âgés qui présentent souvent une malnutrition. Ainsi, les conditions de vie influencent les valeurs, comme le montre une enquête auprès de 972 Britanniques de plus de 65 ans,4 où les valeurs moyennes d'homocystéine étaient de 13,8 µmol/l chez les hommes vivant à leur domicile, et étaient plus élevées chez ceux vivant en institution (15,2 µmol/l).
D'autres facteurs élèvent le taux d'hcyt, tels que les altérations de la fonction rénale, l'hypothyroïdie, les cancers (seins, ovaires, pancréas) et au cours des leucémies aiguës lymphoblastiques. Les médicaments qui agissent sur le cycle des folates, tels que le méthotrexate ou des anti-épileptiques vont également augmenter l'homocystéine plasmatique. A l'inverse, les dérivés de la cystéine tels que les mucolytiques contenant de l'acétyl-cystéine vont diminuer le taux d'homocystéine.
Les premières descriptions d'un lien entre hyperhomocystéinémie et thromboses artérielles et veineuses concernaient les homocystinuries de l'enfant où les valeurs
d'hcyt peuvent atteindre 300 µmol/l. Dans les années 70, les techniques de dosage permettent de montrer des élévations modérées de l'hcyt en référence aux valeurs d'une population témoin. Depuis, plus de vingt études colligeant environ 2000 patients ont confirmé la relation entre hyperhcyt et risque vasculaire.5 Les arguments expérimentaux suggèrent que l'athérome associé à l'hyperhcyt résulte d'une dysfonction endothéliale, d'une hyperagrégabilité plaquettaire et de la formation de thrombi.
De nombreuses études rapportent l'association entre hyperhcyt et insuffisance coronaire, soit chez des sujets de moins de 60 ans, soit chez des sujets de tout âge. Parmi elles, la plus large, celle de Stampfer et coll.,6 réunit 14 916 hommes âgés de 40 à 85 ans. Au cours d'un suivi moyen de cinq ans et après ajustement sur les autres facteurs de risque vasculaire, les auteurs déterminent pour des valeurs situées au-dessus de 15,8 µmol/l (95e percentile), un risque relatif de 3,4 (IC 95% : 1,3-8,8). Nygard et coll.7, avec 587 patients ayant une insuffisance coronaire prouvée par angiographie, montrent qu'un taux d'homocystéine supérieur à 20 µmol/l augmente par 4,5 le risque de mortalité après cinq ans de suivi et qu'il existe une relation entre le taux d'hcyt et la sévérité des lésions coronaires. Il convient de souligner que d'autres études n'ont pas montré l'association entre hyperhcyt et infarctus du myocarde. Pour certaines de ces études cas-témoins l'absence de différence provient du niveau élevé de l'homocystéine dans la population témoin probablement en relation avec une carence relative en folates dans l'ensemble de ces populations.
Deux études ont inclus uniquement des patients âgés. Aronow et coll.8 comparent 153 hommes et 347 femmes âgés (81 + 9 ; extrêmes : 60-99 ans) hébergés en institution : l'hcyt était plus élevée chez les patients ayant des antécédents d'insuffisance coronaire. Herzlich et coll.9 sur un collectif de 367 sujets âgés présentant une insuffisance coronaire prouvée angiographiquement montrent une relation entre une hcyt supérieure à 16 µmol/l et une diminution de la fraction d'éjection ventriculaire gauche. L'hcyt est ainsi un facteur indépendant de risque d'infarctus du myocarde qui persiste chez les sujets de grand âge.
L'hyperhcyt est plus fréquente chez les patients ayant un accident vasculaire cérébral par rapport à des sujets contrôles. Le risque relatif d'accident vasculaire cérébral associé à l'hcyt augmente progressivement en fonction du quartile de distribution de l'hcyt de l,2 pour le quartile le plus élevé à 4,l pour celui le plus bas.10 Par contre, Verhoef et coll.11 sur une population issue de la Physicians' Health Study comparent 97 patients ayant un accident vasculaire cérébral et 97 sujets témoins appariés. L'hcyt, bien que plus élevée, est comparable entre les deux groupes (11,1 vs 10,5 µmol/l ; ns) ; sans doute que les médecins recrutés dans cette étude avaient une alimentation équilibrée qui réduisait les différences entre cas et témoins.
Dans une vaste étude12 qui intéresse 1041 sujets âgés de 67 à 96 ans issus de la cohorte de Framingham, l'augmentation de l'homocystéine est corrélée de manière linéaire avec les sténoses carotidiennes. La relation entre hyperhcyt et sténose carotidienne persiste après ajustement sur les autres facteurs de risque (sexe, âge, HDL-cholestérol, pression artérielle systolique, tabac). Chez les sujets âgés, la relation entre accident vasculaire cérébral et hyperhcyt persiste, constamment associée à des taux bas de vitamine B12 et de folates.
La survenue d'une artérite oblitérante des membres inférieurs chez des sujets jeunes est associée une hcyt plus élevée que les sujets exempts de cette atteinte. La prévalence de l'hyperhcyt varie de 20 à 30% selon les études. Plusieurs auteurs notent une association forte entre tabagisme et hyperhcyt. Une relation linéaire existe entre le niveau d'hcyt et la largeur des plaques d'athérosclérose de l'aorte thoracique.13La relation avec les vitamines est inconstante chez les sujets jeunes contrairement aux autres territoires. Par contre, chez les sujets âgés, la relation est associée à une baisse des folates plasmatiques.
La FDA propose un apport de 126 µg par jour chez les femmes enceintes afin de diminuer le risque d'anomalie du tube neural.14 Mais, Malinow et coll.15 ont montré que cette dose est insuffisante pour diminuer l'hcyt et qu'il conviendrait de proposer des doses de l'ordre de 400 µg par jour. Entre ces deux doses, reste à établir une courbe dose-réponse permettant de définir pour une population donnée l'apport minimum efficace pour réduire l'hcyt. En gériatrie, la très grande fréquence des diminutions des folates sériques et de la vitamine B12 rend compte de la très grande fréquence de l'élévation de l'homocystéine dans cette population. La réduction de l'hcyt rejoint alors en gériatrie le traitement des malnutritions protéino-énergétiques sachant qu'une alimentation équilibrée apporte les folates nécessaires. Mais des études d'intervention jugées sur la morbi-mortalité seront nécessaires pour que l'hyperhcyt modérée soit une indication de prescription vitaminique.