La rage est une infection rare, mais représente une menace réelle pour les voyageurs et les résidents à long terme dans les régions d'endémie. La vaccination préexpositionnelle est recommandée pour les personnes voyageant ou résidant dans des régions d'endémie éloignées, particulièrement pour les enfants et pour les personnes à risque d'exposition professionnelle sur le terrain ou dans un laboratoire. Trois doses de vaccin, produit à partir de cultures cellulaires administrées aux jours 0, 7, 21 ou 28, donnent une protection de base qui nécessite deux à trois doses de rappel après chaque contact à risque potentiel de rage. Le traitement postexpositionnel inclut un nettoyage soigneux de la plaie avec du savon et de l'eau ou un désinfectant et un rappel antitétanique si nécessaire. Les cas n'ayant pas bénéficié d'une vaccination antérieure recevront une protection active et passive avec un vaccin sur cultures cellulaires administré aux jours 0, 3, 7, 14 et 28 et une dose de gammaglobuline antirabique humaine (20 IU/kg de poids corporel) au jour 0, injectée autour de la morsure.
Un homme de 49 ans est blessé superficiellement au bras droit en jouant avec des chiots au Sri Lanka. Un mois plus tard, il développe une fièvre suivie d'une tachypnée et d'une hydrophobie apparaissant deux jours plus tard. Il est hospitalisé pour une suspicion de psychose. Aucune anamnèse d'un contact avec un animal n'est mise en évidence et il décède douze jours plus tard.
Cette histoire dramatique a été rapportée récemment en Allemagne, avec un diagnostic final de rage. Bien que les cas de rage tels que celui décrit ci-dessus soient rares parmi les voyageurs visitant des pays d'endémie,1 le lyssavirus représente un risque potentiel pour toutes les personnes ayant des contacts avec des animaux dans des pays où la maladie est prévalante. Moins de 25% des médecins allemands et suisses donnent une information sur la rage à leurs patients avant qu'ils ne se rendent dans un pays d'endémie.2
La vaccination peut être donnée en prévention avant un voyage, ou après une exposition à une personne ayant été mordue. Plusieurs centaines de touristes sont vaccinés chaque année dans des conditions difficiles après avoir été mordus.
La rage est connue depuis plus de 4000 ans, décrite pour la première fois en Mésopotamie. Il s'agit principalement d'une maladie des animaux répartie dans le monde entier et qui est causée par un virus à ARN. Homère et Aristote ont décrit les caractéristiques de la maladie en détail et le Talmud résume le problème très clairement : «Si quelqu'un mordu par un chien enragé prétend avoir survécu, il ne dit pas la vérité». La rage reste une maladie toujours fatale. Les chiens sont responsables de plus de 90% des expositions des cas humains de rage dans les régions d'endémie.3 Chaque année, on estime à 30 et 50 000 le nombre de morts causées par la rage enregistrées en Inde, où plus de 3 millions de vaccinations sont effectuées après exposition. D'autres animaux domestiques (chats) et sauvages (singes, renards, skunks, ratons laveurs et mangoustes) peuvent transmettre la maladie.4 Les chauves-souris peuvent être porteuses du lyssavirus,5 même dans de nombreuses parties du monde où la rage n'est pas considérée avoir existé préalablement comme l'Australie. La signification clinique pour les hommes de la présence de quelques chauves-souris porteuses du lyssavirus reste débattue. La transmission d'homme à homme est considérée exceptionnellement rare, mais des contacts avec la salive d'une morsure, l'exposition à une surface muqueuse ou une griffure, à des rapports sexuels ayant eu lieu peu de temps avant l'apparition des symptômes, nécessite une vaccination complète. La transplantation de cornée a été également à l'origine de transmission de la rage.
Suivant l'infection, le virus se multiplie près du point de pénétration, le plus souvent dans les muscles. Ensuite, le virus pénètre dans les terminaisons des nerfs périphériques et progresse à une vitesse de 1 à 40 centimètres par jour par transport axonal rétrograde jusqu'au système nerveux central. La période d'incubation de la rage humaine est généralement de 20 à 60 jours, mais la forme fulminante de la maladie peut devenir symptomatique en cinq à six jours. A l'inverse, 1 à 3% des cas ont une période d'incubation supérieure à six mois. La latence la plus longue documentée était de sept ans.6 Les premiers signes de la maladie sont non spécifiques : fièvre, anxiété, malaise. Deux à dix jours plus tard apparaissent les signes neurologiques. Ceux-ci vont de l'hyperactivité et de l'hydrophobie à la paralysie. La mort est d'habitude causée par arrêt cardiorespiratoire. La suspicion clinique est critique afin de poser à temps de diagnostic de rage. Le virus ou des anticorps peuvent être détectés dans le sérum, le liquide céphalo-rachidien, la cornée ou la salive, mais la preuve sans appel est faite sur la démonstration post-mortem d'antigènes du virus sur du tissu cérébral par IFAT, ELISA ou PCR ou par la mise en évidence d'inclusions intra-cytoplasmiques éosinophiles (corps de Negri).
Les premières vaccinations, avec un vaccin tiré de tissus de la moelle épinière de lapins, ont été effectuées avec succès par Louis Pasteur en 1885. Par la suite, des vaccinations actives et passives (gammaglobuline) ont été développées. A l'heure actuelle, on dispose d'une variété de vaccins inactivés bien tolérés. Ces derniers sont produits à partir de virus développés sur cultures cellulaires (HDCV : human diploid cell vaccine, vaccin rabique Mérieux®) ou cultures sur embryons de canards (PDEV : purified duck embryo vaccine, Lyssavac N Berna®), inactivés, purifiés et concentrés. Ces produits respectifs peuvent être utilisés en vaccination préexpositionnelle et en combinaison avec des globulines immunes en traitement postexpositionnel (tableau 1).
Cette vaccination comporte une dose intramusculaire donnée aux jours 0, 7 et 21 ou 28, administrée dans le muscle deltoïde. Ce schéma donne une réponse immune de près de 100%. Une dose de rappel après une année est recommandée par certains auteurs. La personne vaccinée reste sensibilisée indéfiniment, mais une réponse anamnestique doit être réactivée après chaque contact, pour des raisons de sécurité. Si la morsure (contact) a lieu dans l'année qui suit la vaccination, deux doses de rappel sont administrées à trois jours d'écart et trois doses de rappel (jours 0, 3, 30) sont nécessaires si le contact se produit plus d'une année après la vaccination préexpositionnelle. Des titres d'anticorps supérieurs à 0,5 IU sont considérés comme un niveau de protection acceptable, mais la mesure après une vaccination préexpositionnelle n'est pas recommandée de routine en Suisse. L'administration intradermique de fraction de la dose vaccinale est utilisée dans de nombreux pays d'endémie pour des raisons économiques.7 Cette méthode nécessite une dextérité particulière qui n'est pas nécessaire pour les voyageurs qui peuvent payer le prix de doses entières. La vaccination préexpositionnelle est recommandée pour les personnes exposées professionnellement à des mammifères, chauves-souris incluses, dans les régions où la rage est endémique et pour les personnes travaillant en laboratoire qui sont exposées au virus.
Une étude en Thaïlande a montré que 1,3% des voyageurs sont mordus par des chiens,8 la fréquence était respectivement de près de 2% pour des résidents long terme dans des régions d'endémie.9 Aussi, les voyageurs et les résidents long terme doivent être conscients du risque potentiel et une vaccination devrait leur être proposée selon leur risque d'exposition. Les voyageurs utilisant des vélos ou des motos sont un groupe particulièrement à risque qui devrait bénéficier d'une vaccination préexpositionnelle. La vaccination devrait être également proposée aux voyageurs se rendant dans des zones éloignées et isolées, sans accès à des services médicaux. Il en va de même des enfants se rendant dans des zones d'endémie, étant un groupe particulièrement à risque de contact avec des animaux qui de plus, risquent de ne pas signaler une exposition potentielle.
Dans la plupart des régions d'endémie, les gammaglobulines antirabiques humaines ou équines ne sont pas largement disponibles. Moins de 65% des hôpitaux en Thaïlande, un pays avec un niveau satisfaisant de services médicaux, ont de tels produits en stock. De plus, la qualité des vaccins actifs disponibles est douteuse dans de nombreux pays où les services médicaux sont sous-équipés.10 La couverture vaccinale des chiens et des chats dans les régions d'endémie est généralement basse. De plus, les chiens vaccinés en Thaïlande perdent leur taux d'anticorps en moins d'une année dans plus de 40% des cas.
Les raisons en faveur et contre la vaccination préexpositionnelle pour les voyages et les résidents long terme sont résumées dans le tableau 2.
Toute plaie potentiellement contaminée doit être nettoyée très méticuleusement et une vaccination active associée à l'administration d'immunoglobuline antirabique doit être effectuée au cas où la personne n'a pas été préalablement vaccinée. Le nettoyage de la plaie doit être effectué par application généreuse de liquide avec du savon ou de l'alcool à 70% ou une autre solution désinfectante. Un rappel antitétanique et des antibiotiques seront administrés si nécessaire.
On définit trois types d'exposition à la rage et l'attitude thérapeutique qui en découle :
Catégorie 1 : toucher ou donner à manger à un animal, léchage d'une surface cutanée intacte : aucun risque.
Catégorie 2 : mordillement de la peau découverte, griffures et abrasions mineures sans saignement, léchage de surfaces cutanées déchirées.
Catégorie 3 : morsures ou griffures transdermiques, contaminations de surfaces muqueuses avec de la salive.
Pour les contacts de catégorie 1, aucune mesure thérapeutique n'est nécessaire, alors que pour les catégories 2 et 3, une vaccination active et l'administration de globulines immunes immédiate (dans les 48 heures suivant le contact) sont nécessaires chez les personnes non vaccinées.
Si l'indication à un traitement postexpositionnel est posée, les globulines humaines antirabiques sont données au dosage de 20 IU/kg de poids corporel. Dans les pays où les globulines humaines ne sont pas disponibles, les globulines immunes équines sont données à la dose de 40 IU/kg de poids corporel. On recommande généralement d'instiller autour de la morsure la totalité de la dose de globuline immune antirabique, ceci afin d'essayer de neutraliser le virus localement. Toutefois cette application locale dépend de la localisation de la morsure.
L'immunisation active est à débuter simultanément à l'administration des globulines immunes antirabiques. Le schéma accepté internationalement comporte cinq doses données aux jours 0, 3, 7, 14 et 28. La vaccination offre une protection contre les sept sérotypes de lyssavirus. Si une vaccination sans administration de globuline immune a été débutée plus de six jours dans la consultation (par exemple dans le pays où le patient a voyagé), il n'y a pas lieu d'administrer des globulines immunes. Les échecs de traitement documentés se sont tous révélés n'avoir pas suivi une vaccination standard. La cause a pu être attribuée à une désinfection et à un lavage de la plaie insuffisants, à l'omission d'une vaccination passive (immunoglobuline) ou à l'administration d'un nombre insuffisant de doses de vaccin. La prise simultanée de chloroquine au moment de la vaccination est suspectée de supprimer la réponse immune. Mais à l'heure actuelle, ce médicament est rarement recommandé comme prophylaxie contre le paludisme. Des effets indésirables sévères ont été rapportés dans le passé, suite à l'administration des vaccins d'ancienne génération, particulièrement ceux produits sur les tissus nerveux. Ils sont à l'origine d'une mauvaise réputation dans le grand public de la vaccination antirabique. Les vaccins modernes peuvent causer une douleur locale ou un érythème chez un certain nombre de personnes vaccinées, mais ces effets secondaires sont en général discrets. Un syndrome de Guillain-Barré a été rarement rapporté et son association avec le vaccin n'est pas prouvée. Des réactions anaphylactiques après l'administration de gammaglobuline immune antirabique humaine sont rapportées dans moins de 1% des cas.
Il n'y a pas de contre-indications vraies à la vaccination, et cette dernière peut être effectuée chez les femmes enceintes et les enfants. Comme pour les autres vaccinations, les personnes infectées par le VIH avec des CD4 bas répondent faiblement et des doses supplémentaires de vaccin peuvent être nécessaires.