En Suisse, les serpents et autres animaux venimeux ne posent que très rarement des problèmes ; il n'en va pas de même dans d'autres vastes régions du globe. Invité au Mexique pour présenter notre étude sur les morsures de vipères en Valais,1 j'ai pris connaissance dans ce congrès international de données essentielles concernant serpents, scorpions et autres araignées, mais, plus important, réalisé combien des travaux effectués sur place, dans les pays concernés, redonnent force à certains traitements et surtout de l'espoir pour de vastes populations démunies et négligées par la recherche pharmaceutique. Un thème bien connu à l'OMS et dans les ONG. En voici quelques exemples.Le sérum antivenin est le seul traitement des cas graves (grades 2 et 3) de morsure par les serpents. Ce sérum avait, en Suisse en particulier, mauvaise réputation parce que dans sa fabrication classique (chez le cheval) il avait entraîné des chocs anaphylactiques mortels à la deuxième injection (comme le sérum antitétanique et d'autres sera). Depuis longtemps, les anticorps ont été «raccourcis», les antivenins ne contiennent en principe plus de composante «chevaline» ; ce sont des fragments d'anticorps, F(ab) avec une des deux pinces des immunoglobulines, ou F(ab)2 avec les deux pinces, donc une molécule plus grande. Les deux formes sont très actives et ne provoquent jamais de choc anaphylactique. Le Dr L. de Haro, de Marseille, a présenté une statistique française impressionnante des morsures de vipère aspic, en insistant sur la symptomatologie neurologique découverte avec une sous-espèce vivant au sud du Massif central ; le sérum antivenin français (Viperfav, avec des F(ab)2), largement utilisé, aussi chez nous, n'a entraîné aucune complication.Le Mexique produit des antivenins d'excellente qualité (Silanes,Bioclon). La Pr Leslie Boyer, de Tucson (Arizona), avait remarqué chez des patients mordus par le crotale (serpent à sonnette, rattlesnake), cousin des vipères européennes, et traités par l'antivenin américain (Fab), des rechutes après 7-8 jours sous forme de thrombopénie grave entraînant parfois des hémorragies ; elle a comparé en double aveugle l'antivenin américain à l'antivenin mexicain (F(ab)2). La réponse au traitement a été excellente dans les deux groupes, mais il n'y a pas eu de thrombopénie ni d'autres troubles de la coagulation à retardement chez les patients traités avec l'antivenin mexicain. Comme si la plus grosse molécule, F(ab)2, captait mieux et une fois pour toutes, les protéines du venin. Il y aurait donc intérêt, dans le monde entier, à utiliser de préférence des F(ab)2.En Europe, on dispose déjà d'un antivenin efficace contre les trois vipères les plus communes (aspic, péliade et ammodytes) ; il est superflu d'identifier l'espèce exacte, et il est facile, par la simple observation du patient pendant une heure ou deux, d'écarter les morsures par des couleuvres et autres serpents non venimeux. Mais le rêve d'un sérum unique contre toutes les vipères européennes tarde à se réaliser (Dr C. Bon, Paris) : concurrence commerciale ? Manque de motivation pour un problème de santé mineur ?, ou espèces trop disparates dans le sud et les nouveaux pays européens ? Le problème est différent dans beaucoup de pays tropicaux où le nombre des espèces de serpents dangereux est élevé, comme au Sri Lanka où le Dr Chris Harper en a dénombré une trentaine ; comme tous les serpents ont, en plus de leurs protéines spécifiques, pourquoi, au cours de l'évolution, les venins ont-ils conservé leur extrême complexité ? en commun une vingtaine de molécules, enzymes redoutables ou ligands, il devrait être possible d'immuniser un cheval contre un pool des venins les plus dangereux. C'est ce qu'ont tenté de faire, pour l'Afrique, le Dr Roberto Stock et le Dr J.-P. Chippeau, expert mondial en ce domaine.2 Les premiers résultats, au Bénin, semblent prometteurs. Mais il y a deux difficultés : les antivenins coûtent cher et, en Afrique surtout, la conservation des sera est problématique à cause des très fréquentes coupures d'électricité ; le produit ne résiste pas à des séries de congélation/ décongélation. Les Drs Stock et Chippeau ont eu l'idée de lyophiliser ce sérum, ce qui n'est pas très facile (et qui coûte aussi bien sûr) ; le procédé semble au point, la conservation et l'administration de l'antivenin sont simples, et l'on espère une prochaine commercialisation du produit. Quant au prix, il semble que, puisque les victimes des morsures de serpent, souvent mortelles, en Afrique et ailleurs sont, à quelques exceptions près (touristes), des paysans sans argent, ce serait à l'OMS, ou à des ONG, plus qu'au budget santé déjà limité de ces pays, de prendre totalement en charge la distribution (dispensaires de brousse) et l'administration gratuite dans le meilleur délai de l'antivenin aux victimes des serpents. Verra-t-on bientôt cet espoir se réaliser ? Malgré tout, il est des pays où vivent des serpents redoutables, au venin particulier, contre lesquels il faut encore et toujours un antivenin spécifique. Le Dr Laurent Thomas nous a montré les terribles lésions qu'entraîne le Bothrops lanceolatus à la Martinique et les difficultés qu'il rencontre à faire fabriquer un antisérum spécifique ; cet antivenin sauve des vies, mais, vu la dimension de l'île, sa fabrication est peu rentable ; tristesse et révolte du médecin face à un patient qui meurt, au XXIe siècle, faute de l'antivenin salvateur. Pour les passionnés de serpents exotiques, pas si rares chez nous, l'antivenin spécifique est souvent indispensable ; en général, c'est le collectionneur lui-même qui se le procure ; mais j'ai entendu que le seul pays au monde à posséder un registre à jour de tous les antivenins spécifiques est la Suisse !Le Mexique abrite de nombreuses espèces de scorpions, parmi les plus dangereuses de la planète, qui sont responsables de 280 000 piqûres par an. Les lésions locales (douleur, dème, nécrose plus rare) se compliquent assez souvent d'un syndrome dû à l'hyperactivation des systèmes parasympathique et sympathique et qui peut être fatal.3 Les propriétés de ce venin et de celui des araignées, très actifs au niveau des terminaisons nerveuses, font actuellement l'objet d'intenses recherches.Les Drs Francke et Chavez-Haro, grâce à un impressionnant travail informatique couvrant l'ensemble du pays ont pu préciser les caractéristiques de ces scorpions dangereux qui vivent dans certaines provinces du nord-est. La mortalité était très élevée, surtout chez les enfants de moins de cinq ans et les personnes âgées ; grâce à l'antivenin polyvalent, très efficace, fabriqué dans le pays dès 1930 (!), elle a diminué au cours des vingt dernières années mais elle n'est pas nulle : 6077 décès entre 1979 et 2003 au Mexique, dus surtout au manque d'accès aux soins. Plusieurs communications (Drs V. Guevara et N. Jacobo) ont fait état de grands progrès dans la tolérance et la distribution du produit. En Turquie, en Inde, en Iran,4 les piqûres de scorpion ont aussi été très bien étudiées et, dans les campagnes les plus reculées, on ne meurt plus que rarement de ces accidents très douloureux.Parmi les araignées venimeuses, la championne est certainement la mexicaine «veuve noire» (brown recluse spider, loxosceles reclusa), dont la piqûre, non douloureuse, entraîne un exanthème, puis des nécroses et une coagulopathie disséminée pouvant entraîner la mort par insuffisance rénale (loxoscelism). Les piqûres sont beaucoup plus rares que les accidents avec les serpents et les scorpions, mais les enfants en sont les principales victimes. L'antivenin mexicain est efficace, mais il doit être administré dans les heures qui suivent la piqûre. Le diagnostic précoce, pas toujours évident, peut être amélioré par un test sanguin (Dr M. Carmen Sanchez), mais c'est la formation des familles et des professionnels de santé qui est déterminante.* Compte-rendu d'un Congrès international à Queretaro, Mexico, 26-27 octobre 2007. Reunion international de expertos en enveniamento por animales ponzonosos. Pr Alejandro Alagon Cano, Universidad nacional autonoma de Mexico.Bibliographie1 Petite J. Viper bites : Treat or ignore ? Swiss Med Wkly 2005;135:618-25.2 Chippaux JP. Snakebites : Appraisal of the global situation. Bull World Health Org 1998;76:515-24.3 De Roodt A, Garcia SI, Salomon OD, et al. Epidemiological and clinical aspects of scorpionism by Tityus trivittatus in Argentina. Toxicon 2003;41:971-7.4 Pipelzadeh MH, Jalali A, Taraz M, et al. An epidemiological and clinical study on scorpionism by the Iranian scorpion Hemiscorpius lepturus. Toxicon 2007; 50:984-92.19.12.2007