Les troubles dissociatifs se présentent souvent par une clinique neurologique atypique impliquant une démarche diagnostique complexe à l’interface de la neurologie et de la psychiatrie. La restitution du diagnostic aux patients et leur prise en charge nécessitent une étroite collaboration interdisciplinaire. Les connaissances actuelles sont encore limitées, mais ce domaine est enrichi par des études récentes en neurosciences cliniques. Cet article présente les principaux aspects des troubles dissociatifs et formule un concept de prise en charge.
Les troubles dissociatifs sont définis comme une perte partielle ou complète de certaines fonctions : intégration des souvenirs ; de la conscience de l’identité ; des sensations immédiates ; du contrôle des mouvements corporels, en l’absence d’un trouble physique pouvant rendre compte des symptômes (CIM-10). La présence d’une relation temporelle manifeste entre la survenue du trouble et celle d’un événement stressant ou d’une perturbation des relations interpersonnelles est requise. A noter que la CIM-10, qui est la classification officielle en Suisse, est plus large dans l’inclusion des troubles dissociatifs que la classification américaine du DSM-IV-TR qui différencie les troubles de conversion (troubles dissociatifs moteurs, sensitifs et convulsifs) des autres troubles dissociatifs (amnésie, fugue, trouble dissociatif de l’identité et de la personnalité) (tableau 1). Dans cet article, nous nous limiterons aux troubles dissociatifs moteurs, sensitifs et convulsifs.
Depuis Hippocrate qui propose la théorie d’utérus migrant (hystérie), de nombreuses personnalités ont contribué à la compréhension du trouble dissociatif. Parmi les plus célèbres, on peut citer Charcot, introduisant la notion d’état de conscience’ Janet d’attention sélective, et Freud amenant les notions d’insconscient et de conversion. Cette histoire riche implique que de nombreux termes (hystérie, conversion, psychogène, pseudo-crise) sont encore utilisés en pratique et participent à une certaine confusion. Par souci de clarté, nous nous tiendrons à la terminologie de trouble dissociatifde la CIM-10.
On peut retenir des études une incidence de 2,5-500/100 000 de la population générale et une prévalence d’environ 2,5% des patients hospitalisés en milieu somatique. Par ailleurs, sans remplir tous les critères d’un trouble dissociatif, on considère que jusqu’à 30% des nouveaux patients d’une consultation neurologique souffriraient de symptômes médicalement inexpliqués.1,2 Une majorité de ces patients présente une comorbidité psychiatrique : un tiers des patients souffre d’un épisode dépressif majeur ou d’un trouble anxieux, et une moitié d’un trouble de la personnalité.3
Le trouble dissociatif se présente sous forme d’un syndrome « pseudo-neurologique » pouvant mimer une atteinte motrice, sensitive ou sensorielle, des crises de type épileptique ou des mouvements anormaux, dont des troubles de la marche.
Le diagnostic ne repose pas que sur l’absence de signes pathologiques en relation avec le symptôme ; si un patient présente une hémiparésie, il est entendu que des signes cortico-spinaux de ce même côté seront exclusifs d’un trouble de conversion. Par contre, il est possible de trouver d’autres anomalies à l’examen neurologique et ceci n’exclut pas un diagnostic de syndrome de conversion ; un patient peut présenter des signes cortico-spinaux séquellaires d’un ancien accident vasculaire cérébral et remplir les critères cliniques pour un tremblement dissociatif.
D’autre part, le diagnostic repose sur la présence de signes dits « positifs » qui, lorsqu’ils sont présents, suggèrent fortement le diagnostic de trouble dissociatif. Si certains de ces signes (dont quelques exemples sont décrits ci-dessous) ont été validés, la plupart n’ont pas de spécificité ni de sensibilité établies. C’est donc l’ensemble du tableau clinique qui permet au neurologue d’établir le diagnostic, en évitant de restreindre ce dernier à un diagnostic d’exclusion. Récemment, une revue systématique4 de toutes les études longitudinales a pu établir que le taux d’erreur diagnostique était de 4%, ce qui est comparable à d’autres maladies neurologiques comme les maladies du motoneurone (6%), ou psychiatriques comme la schizophrénie (8%).
Le trouble moteur dissociatif est retenu lorsque l’on observe des signes d’incohérence : par exemple un patient est plégique au niveau de sa jambe droite lors de l’examen au lit mais est capable de rester debout sur cette jambe lorsqu’il remet son pantalon en fin d’examen. La présence de lâchages, lors de l’examen, de la force est également suggestive : le patient peut développer une bonne force, mais celle-ci n’est pas soutenue et, contre résistance, la force lâche (sans qu’une douleur ou qu’une pathologie ostéoarticulaire n’en soient la cause).
Les troubles sensitifs dissociatifs sont également suggérés lorsqu’il existe des incohérences : un patient atteint d’anesthésie complète à tous les modes au niveau des jambes (y compris le sens de position) ne devrait pas présenter un test de Romberg normal ou une marche normale. La présence d’un déficit sensitif dans un territoire non organique suggère aussi le diagnostic: par exemple, une anesthésie sur une hémi-jambe, ce qui ne correspond ni au territoire d’une racine nerveuse ni à celui d’un tronc nerveux (comme le sciatique poplité externe ou le fémoral), ni à la représentation corticale cérébrale du territoire de la jambe.
Les troubles dissociatifs convulsifs (crises non épileptiques psychogènes) peuvent être diagnostiqués lorsqu’ils sont enregistrés de façon simultanée à un électro-encéphalogramme5 et que celui-ci ne montre aucune activité épileptique durant la crise. Certains signes cliniques sont très fortement suggestifs comme le balancement du bassin ; les mouvements latéraux de la tête (type non-non) ; l’arc de cercle en opisthotonos ; le début lent et progressif; la longue durée de la crise et finalement les yeux fermés (ces derniers restent ouverts lors d’une crise épileptique généralisée). Ce dernier signe a été validé et montre une valeur prédictive positive de 0,94 (sensibilité 96% et spécificité 98%).6
Les troubles de la marche dissociatifs sont reconnus lorsqu’il existe un pattern typique, comme « la marche du patineur », le patient glissant les pieds comme sur de la glace, ou lorsqu’il existe une position non économique: le patient maintenant son centre de gravité dans une position demandant un effort supplémentaire (marche genoux fléchis qui demande, en plus d’un bon équilibre, une force considérable des quadriceps).
Le tremblement dissociatif (le plus fréquent des mouvements anormaux dissociatifs) est reconnu lorsqu’il est variable, qu’il change lorsque le sujet est distrait ou qu’il est entraîné par une autre fréquence (lors d’un mouvement rythmique de l’autre main, par exemple).
On peut enfin mentionner les troubles sensoriels dissociatifs : surdité, cécité pour lesquels le concours des spécialistes ophtalmologue et ORL est souvent nécessaire. Le tableau 2 résume les principaux aspects du diagnostic différentiel.
L’étiologie des troubles dissociatifs est inconnue à ce jour. Néanmoins ces troubles sont clairement associés à des traumatismes infantiles et des études récentes démontrent des corrélats neurobiologiques intéressants.
Les patients souffrant de troubles dissociatifs présentent une incidence d’abus physiques, d’abus sexuels, d’inceste et de négligence émotionnelle plus élevée que les patients souffrant de troubles affectifs, avec un niveau de psychopathologie comparable.7,8 De plus, la durée et la sévérité de ces traumatismes à fort ancrage corporel sont plus importantes dans les troubles dissociatifs.
C’est seulement au XIXe siècle, avec Jean-Martin Charcot, qu’émerge l’implication du système nerveux dans l’origine de ce trouble. Qu’en est-il à la lumière des développements actuels des neurosciences ? Dans les années 90, avec les premières études d’imagerie cérébrale fonctionnelle, des études de cas utilisant des techniques mesurant le débit sanguin cérébral (SPECT)9 ont mis en évidence une inhibition du cortex pariétal controlatéral à un hémisyndrome sensitif dissociatif, ainsi qu’une hyperactivation frontale. L’hyperactivité de certaines régions, retrouvée régulièrement par la suite dans d’autres études (TEP et IRM fonctionnelles), a permis de formuler l’hypothèse d’une inhibition « active » de certaines régions cérébrales impliquées dans la genèse d’un mouvement volontaire ou de la perception sensitive normale. A noter que plusieurs études10,11 incluant des sujets auxquels il était demandé de simuler un déficit ont montré des patterns d’activation cérébrale différents de ceux des patients avec troubles dissociatifs. Une récente étude12 chez une patiente atteinte d’hémisyndrome moteur dissociatif, soumise lors d’une IRM fonctionnelle à des éléments biographiques concomitant à l’apparition des symptômes (annonce de séparation de la part du mari), a montré une activation de régions limbiques impliquées dans la mémoire et les émotions, de même qu’une hypopactivation concomitante du cortex moteur controlatéral à son déficit. Cette étude sur un seul cas suggère, en accord avec des théories psychologiques autour du traumatisme, qu’un élément stressant psychiquement pourrait contribuer à inhiber « activement » certaines régions cérébrales et provoquer le symptôme physique.
Avec le développement de l’imagerie cérébrale, tant structurelle que fonctionnelle, et des différentes techniques de neurophysiologie, il est ainsi possible de voir émerger à l’avenir une meilleure explication pathophysiologique des troubles dissociatifs.
A ce jour, il n’y a pas d’études contrôlées des traitements du trouble dissociatif. Le consensus retient un traitement psychothérapeutique en premier lieu. Un traitement adjuvant par hypnose n’a par contre pas démontré de bénéfices.13
Ces patients pouvant développer des handicaps chroniques et très invalidants, il est indispensable d’élaborer des prises en charges spécifiques. Au CHUV, les services de neurologie et de psychiatrie de liaison proposent un concept de prise en charge conjointe. Les étapes-clés sont présentées dans le tableau 3.
Après des investigations neurologiques complètes dans le service de neurologie, une consultation de psychiatrie de liaison est proposée. Lorsqu’un trouble dissociatif est retenu, la restitution du diagnostic au patient se fait conjointement par un neurologue et un psychiatre. La manière de restituer ce diagnostic au patient (sans termes stigmatisants) est capitale dans la création d’une alliance thérapeutique. Le terme de trouble fonctionnel est actuellement préféré, car il a été démontré comme étant le mieux accepté par les patients.14 Les comorbidités psychiatriques étant fréquentes, il est important d’en tenir compte et de les traiter. A noter qu’il n’y a pas d’indication à l’introduction d’office d’un traitement par benzodiazépines.
En général, l’hospitalisation en neurologie ou en neuroréhabilitation est poursuivie jusqu’à la résolution de la symptomatologie. Une prise en charge à la consultation ambulatoire de façon conjointe est alors proposée (consultation neurologique, entretien commun neurologue-psychiatre), consultation psychiatrique, avec pour but l’évaluation de la symptomatologie, l’information du patient et une orientation vers une psychothérapie spécifique. Nous conseillons la poursuite de cette consultation conjointe en cas de persistance des déficits somatiques, de difficultés à accepter le diagnostic ou en cas de récidive.
Les troubles dissociatifs sont relativement fréquents dans un centre tertiaire. L’association avec des traumatismes durant l’enfance a été clairement établie. La présentation clinique neurologique comprend des signes cliniques positifs (fluctuation, incongruence) mais nécessite aussi la recherche de pathologies somatiques avant qu’un diagnostic de trouble dissociatif isolé ne puisse être posé. En effet, une concomitance entre maladie neurologique et trouble dissociatif est possible. Les traitements n’ont pas été étudiés de façon contrôlée, mais sont en développement. Nous considérons que la phase d’investigation et de restitution du diagnostic ainsi que la prise en charge initiale doivent se faire en collaboration entre neurologue et psychiatre pour optimiser l’évolution des patients.
> Une association entre trouble dissociatif et traumatismes a été démontrée
> Il existe des signes neurologiques positifs : incongruence, fluctuation du status clinique
> Une prise en charge conjointe neurologue-psychiatre avec restitution du diagnostic en termes de trouble fonctionnel permet d’établir une alliance thérapeutique
> Les traitements n’ont pas été étudiés mais le consensus retient un traitement par psychothérapie
Dissociative disorders often have an atypical neurological presentation requiring a complex diagnostic process at the interface between neurology and psychiatry. A strong interdisciplinary collaboration is needed for diagnosis restitution and patient treatment. Current knowledge is still scarce but recent studies in clinical neuroscience enrich this field. This article presents the main aspects of dissociative disorders and suggests a treatment framework.