L’ampleur de la nocivité du tabagisme actif est connue de longue date. En revanche, l’importance des effets nocifs du tabagisme passif l’est encore insuffisamment, ces effets ayant été principalement démontrés dans la population pédiatrique. Cependant, l’importance des risques augmentés de pathologies respiratoires de l’adulte est aujourd’hui reconnue notamment en Suisse où le nombre de fumeurs actifs reste élevé et où une grande quantité de sujets sont exposés. Sur la base des publications et mises à jour récentes de différents organismes, nous proposons une revue de l’historique des mécanismes et effets délétères des différentes pathologies respiratoires de l’exposition à la fumée passive chez l’adulte.
Le tabagisme passif est la première source de pollution intérieure, notamment par le fait que les concentrations de particules fines ou de dérivés d’oxyde d’azote émanant de la combustion des cigarettes peuvent être particulièrement élevées dans des locaux fermés. Bien que les preuves de la nocivité du tabagisme passif ainsi que les travaux publiés soient plus nombreux parmi la population enfantine qu’adulte, la preuve d’atteintes respiratoires multiples est aujourd’hui bien démontrée et a encore été récemment mise à jour dans un rapport de l’Agence de protection environnementale californienne en 2005.1 Alors que les risques relatifs sont certes moindres que ceux liés au tabagisme actif, le nombre important de personnes exposées au tabagisme passif soulève la question de l’impact sur la population tant en termes de santé publique qu’en termes économique. En Suisse, par exemple, environ 1000 décès par an sont attribués au tabagisme passif dont un quart à des pathologies respiratoires chroniques ou oncologiques.2
Cette brève revue analyse les relations entre l’exposition passive et la santé respiratoire. Elle ne présente pas les relations entre l’exposition passive et les autres risques pour la santé,2 comme l’augmentation des risques d’affections cardiovasculaires dont il a été démontré récemment qu’ils diminuent considérablement lorsque l’exposition passive est contrôlée.3,4
Le tabagisme passif reflète directement la prévalence du tabagisme dans une population, mais aussi l’attitude des fumeurs dans les endroits d’exposition potentielle dont font partie les lieux publics régulés ou non par une législation.5 En Suisse (données 2004), environ 32% des adultes se disaient exposés au tabagisme passif plus d’une heure par jour, cette proportion étant sujette à variations si une politique anti-tabac (privée ou publique) était mise en place.6 En outre, l’exposition est plus importante chez les jeunes ou les personnes à faible niveau de formation.7,8
L’exposition passive consiste principalement (80-90%) en l’inhalation de la fumée collatérale émise passivement par la consumation du tabac entre les inhalations, et seulement pour 10-20% par la fumée exhalée par le fumeur. Les conditions de combustion de ces deux courants de fumée sont très différentes, car la combustion passive entre les inhalations se produit à une température et à une oxygénation moindres qui conduisent à une combustion incomplète, source d’une fumée collatérale contenant des substances plus toxiques et plus carcinogènes.
Historiquement, les effets délétères du tabagisme passif sont évoqués dès les années 70 et les premières études réalisées le sont parmi la population pédiatrique. En 1980, White et Froeb9 démontrent des valeurs spirométriques inférieures chez le sujet adulte non fumeur exposé régulièrement au tabagisme passif. Plusieurs études s’intéressent alors à la santé respiratoire d’épouses non fumeuses exposées au tabagisme actif de leur mari, et en 1991, deux importantes études montrent de façon concomitante, l’une au Japon,10 l’autre en Grèce,11 une relation dose-réponse entre l’exposition au tabagisme passif de l’époux et la survenue de cancer pulmonaire. Depuis 1986, différentes revues d’organismes fédéraux américains répertorient et actualisent les effets nocifs possibles ou prouvés du tabagisme passif sur la santé respiratoire du sujet non fumeur selon les études à disposition.12-15 Plus récemment, deux nouveaux rapports, l’un américain et l’autre européen, basés sur une recherche exhaustive récente de la littérature, mettent à jour l’association causale existant entre le tabagisme passif et le cancer pulmonaire.1,2
Bien que différentes, les pathologies obstructives que sont l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) peuvent être induites par des voies pathogéniques similaires dans lesquelles le tabac joue un rôle majeur.
Une de ces voies est une augmentation du stress oxydatif induit par la fumée de tabac, ou plus exactement une modification de la balance agents oxydants/antioxydants. L’importance du stress oxydatif dans le mécanisme des pathologies obstructives a été démontrée dans la BPCO par la présence de polymorphismes génétiques pro-oxydants spécifiques favorisant le développement d’une obstruction chez des sujets fumeurs,16 mais également dans l’asthme où un background antioxydant défavorable d’une voie spécifique (glutathion S transférase) favoriserait la prévalence de l’asthme chez l’enfant.17 Le stress oxydatif induit au niveau de la muqueuse est à l’origine d’une inflammation liée à la transcription de gènes pro-inflammatoires.18 De façon similaire au tabagisme actif, il a été démontré que l’exposition au tabagisme passif mesurée par les taux de cotinine urinaire était directement corrélée avec une augmentation du stress oxydatif systémique, ainsi qu’avec une diminution des défenses antioxydantes.19,20
Une autre explication est liée à une altération des défenses immunes, causée par le tabagisme passif, et qui permet le développement d’un asthme en favorisant des infections virales ou l’entrée dans la muqueuse bronchique d’antigène respiratoire. A ce jour, il n’existe pas de preuve définitive confirmant cette hypothèse. Plus exactement, bien qu’il soit démontré que le tabagisme maternel est associé à une sensibilisation allergénique réversible chez l’enfant atopique,21 et que le tabagisme actif chez l’adulte augmente le risque d’asthme professionnel d’origine allergique,22 les études épidémiologiques n’ont jusqu’à ce jour pas démontré d’association entre tabagisme passif et augmentation de la sensibilisation par augmentation du taux d’IgE.23-25 En revanche, et en contradiction avec les données épidémiologiques, des études d’exposition aiguë au tabagisme passif ont montré une augmentation de la production d’IgE spécifiques et une aggravation des symptômes chez des sujets souffrant de rhinite allergique.26 De même, les études chez la souris ont clairement confirmé que le tabagisme passif peut induire une sensibilisation allergénique à des antigènes en principe inoffensifs (ovalbumine).27
Plusieurs études transversales23,28-30 ou prospectives31,32 confirment à ce jour que le tabagisme passif s’associe à un risque augmenté de développer un asthme bronchique chez l’adulte. De plus, dans une étude cas-contrôle chez l’adulte, tant l’exposition récente que l’exposition totale durant la vie d’un sujet augmentent le risque d’asthme à l’âge adulte.33 Dans l’étude SAPALDIA (Swiss study on air pollution and lung diseases in adults), une relation dose-réponse entre l’exposition au tabagisme passif et la présence de symptômes asthmatiques a été mise en évidence chez des adultes n’ayant jamais fumé.29 La question de l’influence potentielle d’une exposition prénatale au tabagisme passif sur le développement de symptômes asthmatiformes durant la vie adulte a également été soulevée dans plusieurs études, et notamment dans une étude de cohorte, incluant plus de 18 000 sujets nés en 1958 en Grande-Bretagne, où Strachan rapporte une augmentation de la fréquence de respiration sifflante (wheezing) parmi les adultes dont la mère fumait activement durant la grossesse.34 Dans une étude longitudinale plus récente, Skorge montre qu’environ 24% des asthmes nouvellement diagnostiqués chez l’adulte sont attribués à une exposition pré- ou postnatale au tabagisme parental.35
Il est aujourd’hui évident que le tabagisme passif est un facteur qui contribue à causer des crises d’asthme.36,37 Dans l’étude des symptômes rapportés quotidiennement par les sujets asthmatiques de l’étude SAPALDIA, les analyses ont permis de montrer une diminution des intervalles libres entre les exacerbations et une augmentation de la durée de celles-ci lors d’exposition au tabagisme passif.38 Ces effets sont confirmés par de multiples études démontrant une aggravation de la symptomatologie asthmatique, une augmentation du nombre de visites en urgence, un nombre plus important de jours d’incapacité de travail, ainsi qu’une qualité de vie moindre chez les sujets exposés.39-42 Les fonctions pulmonaires sont également altérées lors d’exposition au tabagisme passif, et ce de façon plus importante chez les femmes.41,43,44 En outre, il est intéressant de noter que la plupart des sujets asthmatiques admis en urgence pour une crise sont conscients de la nocivité du tabagisme passif sur leur symptomatologie, mais une grande proportion d’entre eux (environ un tiers) reconnaît encore y être exposée à domicile.45 A la lumière de l’ensemble de ces données, la question du tabagisme passif devrait impérativement être soulevée lors de chaque consultation avec tout patient asthmatique.
La BPCO est moins fréquente chez les sujets non fumeurs hormis lors d’exposition professionnelle à des poussières organiques (par exemple, fermiers) ou lors d’exposition à des produits de combustion fossiles utilisés pour la cuisine ou le chauffage dans des locaux mal ventilés.46,47 Les résultats concernant l’association causale entre le tabagisme passif et la BPCO sont controversés, plus particulièrement depuis la publication récente de l’étude NHANES III (National health and nutrition examination survey), étude de surveillance épidémiologique réalisée aux Etats-Unis chez plus de 16 000 sujets adultes48 où la prévalence de non fumeurs parmi les sujets remplissant les critères de BPCO (définie selon les critères spirométriques gold) était de 23%; l’analyse multivariée a montré un rôle de l’âge, d’un indice de masse corporelle bas, de la présence d’allergie, mais n’a pas confirmé de lien direct avec le tabagisme passif comme facteur associé à la BPCO. Cette analyse est en contradiction avec de nombreuses études précédentes ; la source de cette confusion étant en partie à rechercher dans l’absence de consensus de définition de la BPCO dans ces différentes études, les critères gold étant remis en cause comme critères de choix de la définition d’une BPCO.49,50 Les premières études remontent aux années 80, lorsque Hirayama, s’intéressant primairement au cancer pulmonaire, montre dans une étude prospective de plus de 90 000 femmes non fumeuses que celles-ci ont un risque plus élevé de développer un emphysème en cas d’exposition au tabagisme passif à domicile.10 Dans une autre étude longitudinale de douze ans chez plus de 90 000 sujets non fumeurs, la mortalité globale était plus grande chez les sujets exposés au tabagisme passif ainsi que la mortalité spécifiquement liée à l’emphysème ou à la bronchite chronique (risque relatif (RR) de 5,6).51 En 1990, Kalandidi montre dans une petite étude cas-contrôle une augmentation non significative du risque de BPCO (RR de 1,8, NS) parmi les épouses de fumeurs.52 Ces résultats sont confirmés par une étude populationnelle parue quelques années plus tard, dont il ressort une association significative du même ordre de grandeur (RR de 1,86) de risque de développement de BPCO lors d’exposition journalière à plus d’un paquet de cigarettes au domicile.53 En étudiant plus spécifiquement les symptômes chroniques de la BPCO, Robbins retrouve également un rôle significatif (RR de 1,72) de l’exposition ancienne (durant l’enfance) ou plus récente (à l’âge adulte) au tabagisme passif, même après ajustement pour de multiples facteurs confondants potentiels. En conclusion, plusieurs études montrent une augmentation du risque de BPCO, même si celui-ci n’est pas toujours significatif. Ce risque ne peut actuellement précisément être estimé et se doit d’être encore étudié dans de futures études populationnelles. Les effets au long cours du tabagisme passif chez le sujet déjà connu pour une BPCO sont encore peu étudiés. Cependant, l’effet bénéfique de l’arrêt de l’exposition passive sur la santé du personnel, en particulier sur la fréquence des symptômes d’irritation des voies respiratoires, a été démontré dès l’entrée en vigueur des premières réglementations en Californie54 et a été confirmé depuis lors dans les pays où l’exposition à la fumée passive est contrôlée.55
La présence de carcinogènes multiples dans la fumée du tabac est connue de longue date, et la plupart de ces carcinogènes peuvent être détectés en concentrations plus élevées dans la fumée collatérale dégagée de façon passive par la consumation du tabac entre les bouffées d’inhalation.56 Un dosage biologique de marqueurs cancérigènes dans l’urine de sujets exposés au tabagisme passif a été démontré.57 La relation causale entre tabagisme passif et cancer pulmonaire chez l’adulte fut la première à être reconnue dès 1986 dans les rapports d’agences fédérales américaines,12 et les méta-analyses les plus récentes estiment que le risque de développer un cancer pulmonaire est augmenté d’un facteur compris entre 21 et 76%.58 Comme mentionné précédemment, les premières études se sont intéressées à des femmes non fumeuses épouses d’un mari fumeur actif, et ont montré une incidence accrue et proportionnelle à l’importance de l’exposition de tous les types histologiques de cancers pulmonaires.10,11,59 Dans une étude méthodologique totalement différente, basée sur l’autopsie de patients décédés d’une cause non respiratoire ou oncologique, Trichopoulos a démontré que l’examen pathologique de femmes exposées au tabagisme passif de leur époux montrait un nombre plus élevé de lésions précancéreuses pulmonaires diverses.60 Finalement, il est important de noter que la plus grande partie des études s’intéressant à une exposition ancienne au tabagisme passif, soit durant l’enfance, soit datant de plus de quinze ans chez l’adulte, semblent indiquer qu’une exposition ancienne n’augmente pas le risque de cancer ;61-63 cependant, ces résultats sont contrebalancés par deux études cas-contrôles suggérant que l’exposition durant l’enfance pourrait augmenter le risque, et même de façon dose-dépendante, de développer un cancer pulmonaire à l’âge adulte,64,65 motivant dès lors des études complémentaires bien conduites et de grande échelle dans le futur afin de clarifier cette controverse. En conclusion, le tabagisme passif est reconnu depuis 1992 comme un agent carcinogène «A» pour l’homme, et une évaluation statistique récente rapporte qu’en Suisse le tabagisme passif est la cause d’environ 190 décès annuels causés par un cancer pulmonaire.2
L’influence possible du tabagisme passif sur l’incidence de la tuberculose est un problème de santé publique majeur plus principalement dans les pays à haute endémie, soit les pays en voie de développement. En raison de ses propriétés irritantes sur les voies respiratoires et de son impact sur les défenses immunitaires, le tabagisme actif est depuis longtemps reconnu comme un agent nocif augmentant l’incidence de l’infection et de la maladie tuberculeuse. Une étude prospective incluant plus de 42 000 sujets à Hong Kong a confirmé un risque significativement plus élevé de développer une tuberculose pulmonaire chez le fumeur (RR de 2,87).66 Les premières études s’intéressant aux effets potentiels du tabagisme passif datent d’il y a à peine dix ans. Deux études cas-contrôles, l’une espagnole et l’autre thaïlandaise, montrent un risque augmenté de développer une tuberculose pulmonaire lorsqu’une personne est exposée au tabagisme passif, qu’elle soit elle-même fumeuse ou non.67,68 Le même groupe espagnol a également montré, lors d’enquêtes d’entourage dans les familles où l’un des membres avait développé une tuberculose, que les enfants qui étaient exposés au tabagisme passif avaient un risque dose-dépendant plus élevé de développer une tuberculose pulmonaire active.69
Le tabagisme passif et ses conséquences sur la santé notamment respiratoire chez l’adulte représentent un problème de santé publique que l’on retrouve à l’échelle mondiale.70 Une augmentation significative de la mortalité parmi les sujets non fumeurs exposés au tabagisme passif est aujourd’hui certaine, chiffrable entre 15 et 34%, et 25% de cet excès de mortalité peuvent être attribués à des pathologies respiratoires.2 Cette évidence grandissante de la nocivité de la fumée passive sur l’ensemble de la population appelle aujourd’hui politiciens et citoyens à considérer les mesures adéquates visant à bannir l’exposition passive dans les bâtiments publics, et beaucoup d’entreprises, villes, cantons et pays ont mis en place de telles dispositions.71 Plusieurs études ont montré depuis lors que les régions avec les régulations les plus strictes sur la qualité de l’air intérieur ont non seulement les taux les plus bas d’exposition rapportée au tabagisme passif,6 mais permettent également d’améliorer la santé respiratoire des non-fumeurs.54,72 Ces régulations influencent également la prévalence du tabagisme chez les jeunes73 et diminuent la consommation, voire permettent de stopper le tabagisme actif d’un plus grand nombre de fumeurs.74,75
> Il est aujourd’hui démontré que le tabagisme passif est responsable d’une augmentation de la mortalité chez les sujets non fumeurs qui y sont exposés, chiffrable à environ 1000 décès annuels en Suisse
> Vingt-cinq pour cent de cet excès de mortalité peuvent être attribués à des pathologies respiratoires et, devant leur survenue, le médecin traitant peut évoquer avec son patient la possibilité d’une exposition passive au tabagisme
> La connaissance plus précise par le corps médical des effets nocifs du tabagisme passif doit permettre d’informer les patients et leur entourage, également en vue des prochaines votations populaires
Hazards due to active smoking are known since a long time. On the other hand, the importance of the harmful effects of passive smoking are less recognized, having been shown initially mainly in the paediatric population. However, the importance of significant incrossed risks on various respiratory pathologies of the adult are well known today, in a Swiss society where the number of active smokers remains high, leading to a high prevalence of passive smoking exposure On the basis of recent publications and updates of various organizations, we propose a review of the history, noxious mechanisms and effects on various respiratory pathologies of the exposure to passive smoke in adults.