Malgré tous les progrès observés dans la prévention des maladies cardiovasculaires, la mort subite demeure encore trop fréquemment la première manifestation d’une maladie ischémique pour de nombreux patients. Une identification simple du risque cardiovasculaire individuel pourrait permettre de mieux cibler les interventions capables de prévenir le développement de l’athérosclérose et de ses complications. Les scores de risque représentent une étape importante dans cette direction. Cependant, l’utilisation de marqueurs d’atteinte vasculaire précoce a le plus grand potentiel de succès dans cette tâche. La mesure de la vitesse de propagation de l’onde de pouls, la détermination de l’épaisseur de la paroi carotidienne et la mesure de l’index de pression systolique à la cheville représentent quelques-unes de ces mesures prometteuses.
Malgré les récents progrès thérapeutiques dans le domaine des maladies cardiovasculaires, une part non négligeable des patients a pour première manifestation une mort subite pour laquelle aucune prise en charge préventive n’a pu être mise en place. L’identification des individus à haut risque cardiovasculaire permet d’instaurer des mesures préventives dont le but est de réduire la mortalité et la morbidité cardiovasculaires ultérieures. Les différents outils de prédiction du risque cardiovasculaire sont revus dans cet article à la lumière de la littérature récente. Une approche très pratique est volontairement choisie dans cet article, afin de se familiariser avec ces outils.
Les facteurs de risque cardiovasculaire représentent souvent une constellation de conditions participant à la formation des lésions d’athérome ou favorisant leur instabilité. Un lien causal avec le développement de la maladie est présent. Les marqueurs de risque cardiovasculaire n’ont pas ce rôle étiologique mais ils indiquent, par leur présence et leur degré, l’étendue ou le risque de l’atteinte cardiovasculaire. On en a identifié plusieurs dizaines au cours des dernières décennies. Pris isolément, un facteur de risque ne permet d’identifier de manière satisfaisante les patients les plus à risque que s’il est très élevé. Par contre, l’association de plusieurs facteurs de risque permet d’améliorer l’estimation du risque.
Plusieurs scores facilement accessibles permettent au praticien d’obtenir sans difficulté une estimation statistique du risque de son patient. Ces scores sont issus de larges études de cohorte prospectives et sont élaborés de la manière suivante : un échantillon représentatif de la population générale est sélectionné, examiné, puis suivi sur plusieurs années. L’influence des caractéristiques de base (par exemple taux de lipides à l’inclusion, valeur de pression artérielle, etc.) sur la survenue de décès ou d’événements cardiovasculaires majeurs est ainsi mesurée, pour autant que la cohorte soit suffisamment large et le suivi assez long. Le risque lié à chaque variable permet d’identifier les facteurs de risque principaux et de les intégrer dans un outil de calcul utilisable pour chaque patient. On obtient un pourcentage d’événements ou de décès au cours d’une période donnée pour une population aux caractéristiques proches de la cohorte étudiée. Cependant, le risque individuel demeure difficile à déterminer.
Il s’agit d’une adaptation pour les patients suisses du score PROCAM,1 faite par le Groupe de travail lipides et athérosclérose (AGLA) de la Société suisse de cardiologie et de la Société suisse d’athérosclérose. Ce score tient compte de l’âge, du sexe, du tabagisme, des antécédents familiaux, de la tension artérielle et des taux sanguins de lipides. Il fournit une probabilité d’événements cardiovasculaires majeurs au cours des dix années suivantes. Ce score est disponible par internet à l’adressewww.agla.ch.
Le SCORE de la Société européenne de cardiologie (ESC) permet d’estimer la mortalité au cours des dix années suivantes en utilisant les variables sexe, tabagisme, pression artérielle systolique et taux de cholestérol total ou le coefficient cholestérol total/HDL-cholestérol.2 L’ESC recommande que les patients avec maladie cardiovasculaire établie avec diabète de type 2, avec diabète de type 1 et micro-albuminurie ou avec la présence d’un facteur de risque individuel très marqué, soient considérés d’emblée à haut risque cardiovasculaire. Pour le calcul de risque, il existe plusieurs grilles d’évaluation en fonction du pays dans lequel vit le patient. La Suisse fait partie des régions à risque faible.3 En comparaison avec le score de l’AGLA qui accorde un poids important aux taux lipidiques, le SCORE de l’ESC est plus équitable dans le poids de chaque variable. Un autre avantage du SCORE de l’ESC est de fournir une estimation du risque relatif, utilisable chez des personnes dont le risque absolu est faible (figure 1). Cela permet de montrer par exemple à une jeune personne que son risque est démesurément augmenté en raison d’un tabagisme, afin de le motiver à cesser de fumer.
La première limitation est d’ordre statistique. La taille des cohortes étudiées n’autorise que l’analyse de cinq ou six variables. Les variables continues sont transformées, habituellement des quartiles ou des quintiles. Les valeurs extrêmes peuvent perdre une partie de leur poids. L’âge a habituellement une influence considérable sur l’estimation du risque, alors qu’il est un des rares facteurs non modifiable. Prenons l’exemple d’un homme de 35 ans, fumeur, avec une pression artérielle systolique de 145 mm Hg, une hypercholestérolémie élevée, non traitée (LDL-cholestérol à 6,5 mmol/l, HDL-cholestérol 1,10 mmol/l et triglycérides 1,25 mmol/l). Intuitivement, le risque cardiovasculaire nous semble élevé pour ce patient, alors que le score de l’AGLA donne un risque faible, avec une probabilité de 5% de faire un événement cardiovasculaire au cours des dix prochaines années. En ne modifiant que l’âge, ce risque est intermédiaire à 45 ans (13,1%) et élevé à 55 ans (30,8%) et 65 ans (56,2%). Jouer avec l’âge permet de se rendre compte qu’un risque bas à 35 ans peut être comparativement très élevé et n’exclut pas une évolution vers les maladies cardiovasculaires (CV) au cours des décennies suivantes. D’autre part, le sexe joue un rôle déterminant dans l’évaluation du risque. En effet, malgré la similitude des facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV), les femmes se retrouvent toujours dans les strates de risque les plus faibles. Il existe donc une disparité dans la perception du risque chez la femme en raison d’un risque absolu plus faible alors que le risque relatif est identique, voire plus élevé que chez l’homme. Ceci ne devrait pas se traduire par une moindre prise en compte du risque réel et se solder par une abstention thérapeutique limitant les bénéfices de la prévention.
L’utilisation de la grille des risques relatifs de l’ESC est utile dans ces cas (figure 1). Une grande étude de la Framingham heart study ayant suivi 7926 patients sur quatorze ans, montre que l’absence de FRCV chez des patients de 50 ans sans maladie cardiovasculaire est associée à une survie nettement plus longue et avec moins de maladies CV.4 Cette étude souligne l’importance d’un bon contrôle des FRCV avant 50 ans et la nécessité d’élaborer des outils d’évaluation du risque sur une période nettement supérieure à dix ans.
Une autre limitation importante des scores de risque est l’absence de prise en compte de la durée de l’exposition à un facteur de risque. Il n’existe pas d’ajustement pour la variation ou la correction d’un facteur déterminé. Comment introduire dans le calculateur de risque une variable longtemps élevée qui vient d’être corrigée par un traitement ? Une autre limitation est de fournir une probabilité d’événement, applicable à un ensemble de patients, mais non individuellement. Même en présence d’un risque élevé, seuls trois patients sur dix subiront un événement, alors que sept sujets recevront pendant dix ans un traitement préventif au bénéfice incertain avec un risque d’effet secondaire éventuel et un coût élevé. Pour rappel, la majorité des événements surviendront dans la population estimée à faible risque. Il y a donc un intérêt évident à améliorer la précision des outils d’évaluation du risque individuel.
De nombreux marqueurs biologiques corrèlent avec le risque d’événement cardiovasculaire. Plusieurs d’entre eux, étudiés individuellement, ont montré un potentiel intéressant. L’étude de Wang et coll. clarifie leur utilité.5 Dans cette étude, 3209 individus de la cohorte Framingham (The Framingham heart study) ont subi au cours d’une des nombreuses visites de suivi, un dosage de dix biomarqueurs de risque cardiovasculaire : protéine C réactive (CRP), peptide natriurétique B (BNP), N-terminal pro-BNP, aldostérone, rénine, fibrinogène, D-dimères, inhibiteur type 1 de l’activateur du plasminogène, homocystéine et quotient urinaire albumine/créatinine. Au cours du suivi médian de 7,4 années, 207 patients sont décédés et 169 ont eu un premier événement cardiovasculaire majeur. Après ajustement pour les autres facteurs de risque, l’analyse montre que le BNP, la CRP, le quotient urinaire albumine/créatinine, l’homocystéine et la rénine sont de puissants prédicteurs de la mortalité. Le BNP et le quotient urinaire albumine/créatinine sont les meilleurs prédicteurs de la survenue d’événements cardiovasculaires majeurs. Un score réunissant ces marqueurs permet de discriminer les patients à risque de décès ou d’événement. Par contre, cette estimation n’est pas supérieure à une estimation basée sur les facteurs de risque conventionnels. De manière similaire, dans la Cardiovascular health study qui a inclus 5808 sujets américains âgés, l’addition de six nouveaux biomarqueurs n’a pas amélioré la prédiction du risque au-delà d’un score conventionnel, chez les patients avec ou sans insuffisance rénale chronique.6
Une autre étude de taille plus modeste a évalué l’intérêt du dosage de marqueurs biologioques, reflétant l’atteinte ventriculaire gauche, rénale et la réponse inflammatoire, comme prédicteur du risque cardiovasculaire au-delà d’un score conventionnel dans une population de patients âgés.7 La troponine I, le pro-BNP, la CRP et la cistacine-C ont été dosés chez 1135 individus participant à l’Uppsala longitudinal study of adult men, dont 661 n’avaient pas de maladie CV à l’inclusion. Au cours d’un suivi médian de dix ans, 315 sujets sont décédés dont 136 de maladie CV. Dans cette étude, l’addition de chacun des quatre marqueurs améliore significativement le modèle de prédiction basé sur les FRCV conventionnels, le pro-BNP étant le plus significatif. Cette amélioration peut s’expliquer principalement par un modèle de prédiction dérivé des scores conventionnels de moindre performance. L’inclusion de sujets âgés (âge moyen : 71 ans) en est probablement la cause principale. En effet, les scores de risque ont leurs meilleures performances chez des sujets âgés de 40 à 65 ans. On constate les limites des scores conventionnels pour les âges en dehors de ces limites. On retiendra que le dosage du pro-BNP a peut-être une valeur pronostique dans cette population.
Une des limitations des scores de risques CV est le long intervalle entre l’exposition à un FRCV et l’apparition d’une athéromatose symptomatique. Ce délai dépend de la charge des FRCV mais aussi de la susceptibilité individuelle de facteurs génétiques. Un des moyens de contourner cet obstacle est d’évaluer directement chez un patient l’importance du développement athéromateux en investiguant l’état de ses parois artérielles. Les changements fonctionnels et structuraux précoces peuvent être évalués par une étude de la fonction endothéliale, telle que la dilatation flux-dépendante (FMD en anglais). Cependant, il s’agit d’une technique nécessitant un appareillage sophistiqué, dont la reproductibilité est loin d’être parfaite, influencée par de nombreux médicaments, la caféine et la nicotine. Elle n’est pas utilisée dans la pratique clinique en dehors de protocoles de recherche.
L’élasticité des grandes artères dépend principalement du rapport élastine/collagène et de l’épaisseur de leur paroi et, dans une moindre mesure, de la fonction endothéliale et de la pression artérielle au moment de la mesure. Toute diminution de l’élasticité de la paroi artérielle a une influence défavorable sur le système CV. En effet, en raison de la perturbation du couplage œeur-vaisseaux, un retour précoce des ondes de pression va engendrer une augmentation de la postcharge du ventricule G et une réduction de la capacité de perfusion du myocarde durant la diastole (figure 2). L’estimation de l’élasticité artérielle peut être obtenue par un tonomètre, aplatissant une artère périphérique, couplée à un électrocardiogramme. Il s’agit d’une mesure facile à effectuer, permettant l’analyse de la vitesse de propagation de l’onde de pouls (VOP), de la compliance des grandes et des petites artères, de la tension artérielle centrale diastolique, systolique et différentielle, et de l’index d’augmentation. Dans l’ensemble la reproductibilité de la mesure est bonne, quel que soit l’observateur ou l’appareil utilisé, mais les mesures de compliance ou de pression centrale peuvent être modifiées par certains médicaments. La VOP est la mesure la plus reproductible et la plus utile pour la prédiction du risque CV. Plusieurs études prospectives ont démontré que la VOP est un déterminant indépendant de la mortalité dans plusieurs catégories de patients, dont les patients avec hypertension, les patients en insuffisance rénale terminale, les patients diabétiques et les patients âgés.8 Bien que très prometteuse cette technique d’investigation doit encore faire la preuve de sa relevance clinique au cours d’études d’intervention randomisées et contrôlées
La paroi artérielle des artères carotides, dont le trajet est superficiel et parallèle à la peau, peut être évaluée par ultrason en mode B. Cette technique permet une mesure précise de l’épaisseur de l’intima-média. La validité de la mesure de l’intima-media thickness (IMT) par mode B est communément admise puisque plusieurs études ont démontré une bonne corrélation entre les mesures ultrasonographiques et histologiques. La mesure est plus reproductible sur la carotide commune, mais les mesures sur le bulbe et la carotide internes, plus difficiles, amènent d’autres informations. L’épaisseur de l’IMT est corrélée avec la mortalité et les événements cardiovasculaires dans de nombreuses études prospectives.9,10
La mesure de l’index de pression systolique (IPS) cheville-bras permet de détecter les patients ayant une athéromatose suffisamment développée pour que la pression artérielle aux membres inférieurs soit abaissée en comparaison avec la pression mesurée aux bras. La mesure est facilement réalisable après un court apprentissage et ne nécessite pas de matériel sophistiqué. Elle permet de détecter les patients avec artériopathie périphérique bien avant que les premiers symptômes de claudication artérielle ou d’ischémie n’apparaissent. Les patients avec un IPS abaissé ont un risque CV augmenté, démontré par de nombreuses études longitudinales. Une baisse de l’IPS implique des sténoses artérielles serrées ou en série et est le reflet d’une athéromatose avancée. La mesure de l’IPS n’est donc pas très utile dans une population à faible risque, mais le devient auprès de patients cumulant plusieurs FRCV ou âgés. La mesure de l’IPS peut être particulièrement adaptée à des populations spécifiques à haut risque CV.11
La détermination du risque cardiovasculaire individuel est souhaitable aussi bien pour les patients que pour les médecins. Les différents scores à disposition des praticiens représentent un outil intéressant dans cette direction mais demeurent insuffisants pour l’identification du risque individuel. L’utilisation des marqueurs de risque cardiovasculaire et de détection précoce d’athérosclérose, simples à déterminer, permettra peut-être de mieux définir ce risque individuel et de proposer des traitements préventifs plus ciblés diminuant l’exposition à des effets secondaires. La pertinence de certains de ces marqueurs doit cependant faire l’objet d’études complémentaires avant que l’on diffuse leur usage à grande échelle pour la prévention des maladies cardiovasculaires au-delà de ce que les FRCV classiques peuvent apporter.
> Les scores d’estimation du risque cardiovasculaire sont utiles pour identifier les patients qui vont bénéficier le plus de mesures préventives, pour autant qu’on respecte quelques règles d’utilisation
> Les patients avec maladie cardiovasculaire établie, les patients avec diabète de type 2, les patients avec diabète de type 1 et micro-albuminurie ou les patients avec seul facteur de risque individuel très élevé doivent être considérés d’emblée à haut risque cardiovasculaire
> Plusieurs études montrent que le dosage de biomarqueurs tels que le BNP, le pro-BNP, la CRP, le quotient urinaire albumine/créatinine, l’homocystéine et la rénine n’améliore pas de manière significative l’évaluation du risque basée sur les facteurs de risque conventionnels
> Dans certains cas, l’estimation du risque individuel peut être améliorée par une mesure de l’athérosclérose asymptomatique (mesure de l’épaisseur de l’intima-média carotidien ou mesure de l’index de pression systolique cheville/bras) ou par une mesure de la rigidité artérielle (mesure de l’onde de pouls)
Despite enormous progress made in cardiovascular prevention and treatment, sudden death remains the first manifestation of ischemic heart disease for too many subjects. A better individual cardiovascular risk assessment would definitely help select the most efficacious interventions allowing to prevent the development of atherosclerosis and its complications. Risk scores, although not used as frequently as expected in everyday practice are a first step towards helping decision making to reduce cardiovascular diseases. The use of vascular markers for early atherosclerosis detection should be even more profitable to reduce CV diseases. Pulse wave velocity, intima-media thickness and ankle brachial index measurements are among the most simple and promising markers of early vascular disease are discussed briefly in this paper.