Le lupus érythémateux systémique (LES) est une maladie rare qui touche préférentiellement la femme en âge de procréation caractérisé par un large spectre de manifestations cliniques et par des anomalies prototypiques du système immunitaire. Le LES a un impact considérable sur la qualité et l’espérance de vie de la personne affectée. La création d’une cohorte suisse pour l’étude longitudinale du LES dénommée Swiss systemic lupus erythematosus cohort study (SSCS) répond à la nécessité de mieux comprendre l’histoire de la maladie, les mécanismes pathogéniques, d’identifier et d’appliquer de nouvelles mesures thérapeutiques et de prévention, d’analyser l’impact que le LES a au niveau social et sur la personne qui en souffre en Suisse. La SSCS se veut un instrument à disposition des chercheurs de tout horizon culturel intéressés à apporter des réponses aux personnes souffrant de LES.
Le lupus érythémateux systémique (LES), qui dans le jargon médical français est aussi dénommé lupus érythémateux disséminé (LED), est une maladie inflammatoire qui évolue par poussées et rémissions. Le LES est caractérisé par une triade qui comprend des symptômes constitutionnels, une atteinte d’organes spécifiques et des anomalies biologiques. Fièvre, fatigue et perte de poids constituent les symptômes généraux. L’inflammation du LES peut s’attaquer à tout organe ou tissu du corps humain. Les anomalies immunologiques comprennent la production de plusieurs autoanticorps, la consommation du complément et l’altération d’autres marqueurs de l’inflammation. A cause de sa grande diversité dans les manifestations cliniques et biologiques, le LES est considéré comme l’archétype des maladies auto-immunitaires systémiques.1
Le LES affecte principalement les jeunes adultes. La maladie débute habituellement entre 15 et 40 ans, mais peut apparaître à tout âge. Les femmes sont six à dix fois plus souvent atteintes que les hommes. Ainsi, le LES se manifeste principalement chez les femmes en âge de procréer. La prévalence du LES en Suisse n’est pas connue. Elle est estimée à 15 à 50 cas par 100 000 habitants aux Etats-Unis.2 La maladie semble plus fréquente chez les personnes d’origine africaine ou asiatique. L’incidence varie selon les études entre 2 à 8 par 100 000 personnes par an. Ce chiffre a triplé en 40 ans,3 ce qui est vraisemblablement dû à une meilleure identification du LES, en particulier de formes fruste ou peu sévère.
En dépit d’efforts considérables, on ne comprend toujours pas vraiment les causes et les mécanismes pathogéniques du LES. Beaucoup d’observations suggèrent un dérèglement du système immunitaire sur la base d’une prédisposition génétique et déclenché par des facteurs hormonaux et environnementaux. Des anomalies ont été identifiées tant au niveau de l’immunité innée qu’acquise. Plus spécifiquement, des anomalies ont été décrites au niveau de la présentation d’antigène, du seuil d’activation des lymphocytes T et B, de la capacité d’éliminer les débris cellulaires, de la production de cytokines et de la cascade de complément.4
Une des hypothèses actuellement privilégiée postule que le dérèglement immunitaire à la base du LES soit dû à une élimination défectueuse de cellules mortes ou mourantes.5 La mort programmée de cellules (apoptose) génère des débris cellulaires ou corps apoptotiques qui sont habituellement éliminés par le système immunitaire sans générer de réponse inflammatoire. Or, dans le LES, ce système d’ébouage semble être défectueux et génère une accumulation de débris cellulaires et une réponse inflammatoire générant une production démesurée d’anticorps dirigés contre ces résidus cellulaires.6 Effectivement, les autoantigènes classiques du LES sont concentrés dans ou à la surface des corps ou des vésicules apoptotiques.7 Ceuxci comprennent surtout des composants du noyau, comme les acides nucléiques, les nucléoprotéines et les histones, mais aussi des composants de la membrane cellulaire. Les corps apoptotiques exposent des phospholipides auxquels peuvent se fixer le fragment du complément C1q et d’autres protéines présentes dans le plasma et importantes dans la réponse immunitaire. Les personnes avec une prédisposition génétique peuvent de cette façon développer des autoanticorps dirigés contre l’ADN double brin, les protéines nucléaires, les histones, la cardiolipine, le C1q et la bêta-2glycoprotéine-1 parmi beaucoup d’autres. Cela peut mener alors à un LES. En effet, l’apparition des auto-anticorps précède habituellement de plusieurs années l’apparition de la maladie clinique.8
Cependant, personne n’a jusqu’à présent pu expliquer pourquoi la maladie se déclenche à un certain moment et surtout la grande variété de différents phénomènes biologiques et de manifestations cliniques typiques des patients souffrant de LES.
Les difficultés inhérentes aux études sur les maladies rares comme le LES sont nombreuses. Premièrement, la faible incidence du LES rend difficile le recueil d’un nombre suffisamment grand de cas comparables. Deuxièmement, le LES est une maladie protéiforme couvrant une large gamme de syndromes parfois semblables ou au contraire remarquablement différents. Troisièmement, les patients peuvent partager des manifestations cliniques apparemment identiques classifiées comme LES, mais émanant de causes très différentes.
Une limitation importante de la majorité des études cliniques sur le LES est leur dessin transversal. Bien que ce type d’études ait fourni une quantité impressionnante de renseignements, il ne permet pas de répondre aux questions de recherche plus raffinées. Les études transversales examinent des patients dont l’histoire de la maladie diffère en ce qui concerne l’évolution, la thérapie et les facteurs de risque environnementaux. Ces problèmes peuvent être surmontés seulement par des études longitudinales avec un suivi à long terme débutant idéalement avant l’identification de la maladie.8 De plus, les études longitudinales comportent l’avantage important de permettre l’analyse de phénomènes dépendant du temps. En effet, de nouvelles techniques moléculaires et immunologiques sont continuellement développées, et de nouvelles stratégies thérapeutiques apparaissent et peuvent être adoptées.9 Ceci comporte un changement des présentations cliniques10 et rend nécessaire l’établissement de nouvelles études adaptées aux nouveautés. Des résultats récents indiquent que de nouvelles technologies expérimentales, même appliquées à des cohortes longitudinales de petite taille, peuvent néanmoins générer des résultats significatifs.11 Ainsi, une cohorte de patients avec un LES bien documenté et suivi de manière longitudinale peut faciliter la recherche sur la pathogenèse et les stratégies thérapeutiques. La mobilité géographique relativement limitée des patients et le haut niveau des soins disponibles en Suisse sont d’excellents éléments permettant d’établir et de maintenir une cohorte de patients avec LES. Nous sommes convaincus que l’organisation multicentrique et transdisciplinaire de la SSCS (Swiss SLE Cohort Study) s’adapte bien aux systèmes de santé et de recherche suisses (figure 1).
Le but principal de la SSCS est double : il s’agit d’une part d’optimiser et de standardiser les soins des patients souffrant de LES en Suisse, en particulier en ce qui concerne le suivi et les mesures préventives et, d’autre part, de permettre de créer un réseau et une infrastructure pour encourager la recherche biomédicale sur le LES. En pratique, ces buts seront atteints grâce au recueil extensif de données cliniques et de laboratoire d’un grand nombre de patients avec LES défini ou probable selon les critères du Collège américain de rhumatologie,12 conjointement à la récolte d’échantillons de sérum, de cellules, d’urine et de matériel génétique de ces patients. La SSCS devrait devenir l’instrument pour l’enquête épidémiologique du LES en Suisse et le cadre multidisciplinaire permettant de développer des projets de recherche clinique, de laboratoire et de prévention dans le domaine du LES (tableaux 1 et 2). Finalement, un but important de la SSCS est d’encourager les efforts de collaboration entre la Suisse et d’autres pays, notamment les pays européens limitrophes, pour augmenter l’impact scientifique des études cliniques et fondamentales sur le LES.
La SSCS se propose d’améliorer les soins pour les malades de LES, de permettre aux patients de profiter directement de nouvelles avancées diagnostiques ou thérapeutiques «from bench to bedside», de standardiser les soins aux patients en Suisse, de fournir des soins optimaux dans les centres de référence aussi bien que chez les praticiens, de promouvoir des essais cliniques nationaux multicentriques impliquant de nouvelles stratégies thérapeutiques avec le but spécifique d’accélérer et rationaliser le recrutement des patients, d’encourager la collaboration internationale dans le domaine de la recherche de lupus, et finalement de permettre une collaboration entre des investigateurs de spécialisations différentes qui comprennent en particulier l’angiologie, l’immunologie, la dermatologie, l’épidémiologie, l’hématologie, la médecine interne, la néphrologie, la neurologie, la pneumologie et la rhumatologie.
Toutes les personnes souffrant d’un LES probable ou avéré selon la définition du Collège américain de rhumatologie, qui habitent en Suisse et qui ont donné leur consentement éclairé, sont éligibles pour être incluses dans la SSCS. Puisque le but de la SSCS est d’étudier l’ensemble des patients avec LES, l’inclusion comprend des patients avec LES nouveau ou ancien, actif ou en rémission. Lors de l’inclusion et par la suite une fois par année et/ou à l’occasion d’exacerbations cliniques, on récolte les données cliniques, des échantillons biologiques, et les patients remplissent les formulaires pour l’évaluation de leur qualité de vie. A ce propos, des formulaires standardisés et validés (SF36) sont disponibles dans trois langues nationales et en anglais. Tout médecin peut inclure des patients avec LES soit personnellement, soit en les référant au centre d’étude le plus proche par l’intermédiaire d’un des auteurs de cet article. Des centres supplémentaires s’ajouteront au fil du temps. Un site Web est en cours de création et devrait être disponible à partir de l’été 2009. Il sera alors possible de télécharger les formulaires nécessaires pour la récolte des données. Actuellement, les formulaires sont disponibles auprès des auteurs de cet article. Le protocole de recherche de la SSCS a en effet été approuvé par les comités d’éthique des cantons de Bâle, Berne, Genève, Schaffhouse, Valais, Vaud et Zurich. L’avantage direct du praticien participant à la SSCS, en incluant ses patients, est celui du suivi systématique de la progression du LES et de sa thérapie et les échanges fréquents et discussions de cas avec des collègues qui suivent eux aussi des patients atteints de LES de manière systématique.
Jusqu’à ce jour, 117 personnes avec LES ont été enregistrées dans la base de données de la SSCS, dont 88,9 % sont des femmes. Leurs caractéristiques cliniques sont illustrées dans la figure 2. Comme c’est souvent le cas au début d’une étude de cohorte qui inclut tous les patients avec LES et pas seulement les nouveaux cas, la population représentée est enrichie en cas sévères (64% d’atteinte rénale), avec une durée moyenne de maladie élevée (moyenne 9,4 ± 8,7 années), mais elle était relativement jeune au moment des premières manifestations lupiques (29,6 ± 13,7 ans). Enfin, le délai entre les premiers symptômes et le diagnostic est en moyenne de presque deux ans.
La SSCS a l’ambition de devenir une ressource et un instrument de haute qualité pour la recherche orientée vers et pour les patients souffrant d’un LES. La SSCS souhaite pouvoir répondre aux questions cliniques et scientifiques actuelles ou futures concernant le LES et participer à l’établissement de nouvelles approches thérapeutiques. Pour cela, il est nécessaire de récolter un nombre élevé de données cliniques de bonne qualité ainsi que les échantillons biologiques appropriés. La force et à la fois la limitation principale de cet effort résident dans la nécessité de voir collaborer entre eux des spécialistes qui appartiennent à des disciplines complémentaires et parfois en concurrence entre elles. La SSCS représente donc une opportunité pour renforcer les liens entre les différentes disciplines, les centres de soins et les cabinets médicaux, ce qui devrait en fin de compte profiter aux personnes souffrant d’un LES, une maladie souvent mal vécue et mal comprise.
> Une étude de cohorte sur le lupus érythémateux systémique (LES) à la possibilité de :
• Améliorer la prise en charge des patients qui souffrent de LES
• Mieux définir l’histoire de la maladie en particulier l’impact des traitements sur son évolution
• Permettre la récolte d’échantillons biologiques utiles à la recherche de base sur le LES
• Permettre aux médecins intéressés par cette maladie d’échanger des informations pratiques sur les progrès récents réalisés dans le domaine
Systemic lupus erythematosus (SLE) is a rare disease mainly affecting women of childbearing age. It is characterized by a very large spectrum of clinical manifestations accompanied by prototypic abnormalities of the immune system. While recent advances in therapeutic approaches have taken place, SLE still has a profound impact on the quality of life and life expectancy of affected persons. The Swiss cohort for longitudinally studying SLE named SSCS responds to the necessity of better understanding the history of the disease, the mechanisms involved in its pathogenesis, to identify and apply new therapeutic and prevention strategies, as well as to analyze the impact that SLE has at the social and personal levels in Switzerland. SSCS is a tool to be used by all researchers interested to provide answers to the many open questions in SLE.